You don't play it safe.

or nah.
j'ai cru qu'elle devenait folle, le jour où je l'ai vu parler à son ventre. j'devais avoir cinq ans, je m'en rappelle parce que ma mère venait de m'offrir ma première robe de couturier, c'est ce qu'elle avait crier en italien avant de m'écraser contre sa poitrine débordante d'affection. puis les mois ce sont écoulés et ma mère est devenue grosse, de plus en plus grosse alors qu'elle ne bouffait presque rien. samuel est né et samuel a tout changé. moins de temps pour moi, beaucoup trop pour lui. mes crises de larmes ne rivalisaient jamais avec les siennes. mes plus belles tenues de princesses passaient inaperçues face à ses premiers pas. j'ai bien essayé de lui casser un bras mais j'me suis retrouvée punie pendant presque une semaine.

genie in a bottle.
ils m'ont longtemps cru atteinte d'une maladie incurable, tout ces gens ayant eu vent de ma naissance. d'autres ont même pensé que je n'existais pas, que je n'étais que le fruit de l'imagination de ma mère déjà bourrée aux anxiolytiques. je regardais les portes de la villa sans avoir la moindre envie de sortir, bercée par ses paroles, sans jamais la remettre en doute. ce monde est ignoble, dangereux, ce monde ne te mérite pas, ce monde ne te méritera jamais. j'passais mes journées entourée par les domestiques, les meilleurs précepteurs qui parfois avaient un air de famille. j'ai même cru que l'mec qui nettoyait la piscine était mon père. mais mon père n'était qu'un trouillard. mort pour son propre bien  

The world's been asking us to lose control
All we ever do is French like Brigitte Bardot

le soleil disparait tout juste sur Madrid quand Ava absorbe la fin de son dernier gramme de cocaïne, ce n'est pas le soulagement qui s'infiltre en elle comme à chaque fois. seulement l'agacement de voir le pochon vide se froisser entre ses doigts peinturlurés. la toile devant elle est brouillonne, autant que ses neurones qui s'emmêlent sans parvenir à établir les connexions adéquates. le modèle frissonne sur sa chaise, elle est assise là depuis des heures, un foulard vert pour seul vêtement, immobile. tu bouges trop. tu bouges trop, c'pour ça que j'arrive à rien. elle crache, s'arracherait presque les cheveux mais c'est la future peinture qui en prend pour son grade, le chevalet s'écrase contre le sol. sara se crispe, sara ne dit jamais rien, sara est belle. le genre de fille qu'elle aime et qu'elle déteste. celles qui n'ont jamais besoin de faire d'effort, celles qui n'ont même pas à sourire pour que le monde se retourne sur elles. puis tu ressembles à rien, ça aide pas. putain de menteuse, putain d'envieuse. ses lippes s'étirent, sara ne dit toujours rien mais elle se lève et récupère son portable abandonné sur le lit, lui aussi témoin des ses mensonges éhontés.
l'italienne s'allume une clope, observe ce loft gentiment payé par maman. les œuvres s'entassent sans jamais se voir terminées, synonyme d'une vie d'artiste bousillée. je méritais un appart' plus grand, ça étrique mon inspiration. sa langue ne se délie que pour la complainte, la gamine insatisfaite reporte la faute sur tout ce qui l'entoure. si ce n'est pas elle, c'est sa mère, ou bien son frère, son professeur d'art plastique alcoolique, sa tutrice bordélique, son modèle qu'elle baise plus qu'elle ne la peint. elles se sont dit des mots d'amours, la veille, enlacées comme ces amantes des films français, les yeux larmoyants et le goût de l'alcool toujours sur les papilles. aujourd'hui, ce soir, maintenant, elle la déteste. sara prend une photo dans un cliquetis qui sonne désagréable à ses oreilles, avec le réflex acheté à un vieux aigri. arrête. elle siffle, c'est un autre instant qu'elle capture à l'aide de son téléphone, elle pianote sur l'écran, les bruits indiquent qu'elle vient de poster le cliché sur instagram. t'en fais pas, d'quoi gagner un peu plus de notoriété. elles se regardent enfin, si Sara ne porte rien sur ses épaules, Ava non plus. les deux ricanent bêtement. j'espère que t'as mis un filtre.
dix mille "like" plus tard, les deux jeunes femmes se remplissent encore les nasaux.
quinze mille "like" de plus et Ava s'éteins lentement dans l'ambulance qui la conduit à l'hôpital central.
vingt mille, trente mille, quarante mille, (...) cent mille, Ava est assise à côté de sa mère dans un taxi la conduisant à l'aéroport. c'est la dernière fois, tu m'entends ? ça va, c'est qu'une overdose. que la gamine souffle avec lassitude, tu m'rends mon téléphone ? non. tu le récupéreras après ta cure. ava frappe sa tête contre le cuir de la banquette, j'sais pas pourquoi tu te fatigues encore à m'y enfermer alors qu'on sait très bien comment ça va se terminer. tu rentres à new-york avec moi et on part directement pour la californie. sa mère est imperturbable, elle ne parvient pas à voir ses yeux cachés derrière des lunettes qui lui bouffent la moitié du visage, non. ce n'est pas une question ava. c'est ça, ou je t'enferme pendant six mois avec ton frère. elle se met à râler, resserre ses bras contre elle avant de se tortiller sur son siège, tu me donnes tes prada alors.