broken wings (brynn)

tu es retournée au 230 fifth. splendide rooftop à l'ombre de la cinquième avenue, offrant l'une des plus belles vues sur l'empire state building. et les fumeurs amassés devant la porte ne t'avaient pas donné l'impression d'avoir encore gâché quelques années de ton sablier de vie. ce bar s'était rapidement tout désigné comme votre qg. à brynn et toi. tu ne sais pas ce qu'elle est devenue la gamine. vous vous êtes perdues de vue, sous la pression de vos deux mères qui avaient fait éclabousser sur vous les débris de leur rancune tenace, avant de faire peser sur vos frêles épaules le poids des vérités irritantes que l'une se bornait à ne pas accepter de l'autre. ici, même les barmen avaient été remplacé. à croire que tu étais venue courir après des fantômes et autres cocktails dont tu avais oublié le nom. vous y aviez vos places, assises au bar, au beau milieu de la pièce. elle était belle et déconnectée du reste du monde brynn, aussi blonde que tu étais brune. vos tailles quant à elles, se confondaient presque. deux faces miroir d'un même astre qui s'imbriquaient si facilement.
tout lui paraissait si semblable et pourtant si différent à la fois. elle ne reconnaissait plus les odeurs. devinait à peine les restes, devenus aujourd'hui de simples souvenirs, du mobilier d'origine.
et ces visages habitués qu'elles discernaient autrefois à l'angle de chaque coin n'étaient plus.
une vague de modernité avait tout emporté sur son passage. comme si à la suite de leur départ, un autre cycle de vie s'était emparé des lieux pour y faire ses premières armes. le passé s'était envolé en même temps que les effluves d'une vieille amitié.
le tapis de l'entrée est foulé et c'est l'esquisse d'un demi-sourire empli de nostalgie qu'elle affiche au monde. au lieu de rejoindre les assises du comptoir qu'elle avait si souvent usé à une autre époque, elle préfère les fauteuils encadrant les petites tables posés ici et là.
le sentiment est réconfortant, quoiqu'un brin mélancolique. à l'image d'un retour aux sources après plusieurs années passées loin de la ville. parce qu'elle l'a boudé pendant au moins deux ans, ce refuge qui avait abrité et gardé enfoui en lui tous les secrets qu'elle avait pu conter. un journal intime nouvelle génération qui n'avait jamais failli, ne les avait jamais trahi. à sa manière et avec sa chaleur, il avait su remplacer le divan d'un psy qui lui aurait paru si froid et hostile.
le regard vogue à l'intérieur, se cogne aux murs porteurs. alors qu'elle revoit les célébrations qu'elles venaient exposer en un tintement de verres, les larmes des coeurs brisés qu'elles venaient éponger aux creux des bras amicaux et les clins d'oeil appuyés quand elles remarquaient un mec plutôt à leur goût qui, de ses iris brillants, les observait.
s'il avait pu parler, le 230 fifth aurait su relater un bon nombre de leurs histoires. les plus belles, les plus tristes. celles qui les avaient construites.
ramenée abruptement à la réalité, c'est pour un banal jus de fruits qu'elle opte quand le serveur s'approche de son emplacement. et ce n'est pas même un cil qui cligne quand la porte s'ouvre sur celle qu'elle n'attendait plus. pas un mouvement du corps, ni un souffle qui pourrait tout faire capoter. qui pourrait avoir le pouvoir d'effacer la scène et la reléguer au rang de simple illusion.
elle ne pense plus livia, elle est comme figée en plein coeur d'un film dont elle n'est même plus l'actrice principale. drôle d'impression de voir sa vie continuer sans elle, en l'oubliant sur le bas-côté. le myocarde s'emballe, ne répondant plus à aucun rythme raisonnable. et l'inattendu de la situation lui ôte toute son aisance habituelle.
ne la quittant pas des yeux, elle suit le manège de ses gestes et de ses déplacements, incapable de prendre une décision.
t'as envie d'y mettre un terme à cet éloignement forcé, celui sur lequel vous n'aviez eu aucune incidence. ni elle, ni toi. comme si vous n'étiez pas concernées, comme si ça ne vous regardait pas.
elle attend un signe, elle attend que le chemin s'ouvre devant elle, que quelqu'un lui montre la voie. mais il n'y a personne ici. mis à part brynn et livia. elles seules pouvaient décider de ce que serait leur futur, une fois n'est pas coutume.
alors elle s'octroie un instant de flottement au cas où la blonde ferait le premier pas, si tant est qu'elle la remarque. et sa prière est presque immédiatement exaucée quand les deux regards se croisent. se percutent, s'agrippent, pour mieux se quitter et finalement se retrouver.
elle s'apprête à ouvrir la bouche livia, pour souffler quelques mots qui restent coincés au fond de sa gorge. la voix est éteinte. alors que la lune brille haut dans le ciel, veillant de ses pupilles maternelles sur les jeunes étoiles naviguant dans son sillage.
les retrouvailles étaient orchestrées. l'alignement des astres, complet. le ballet pourrait bientôt commencer. le roman n'était pas définitivement terminé. l'écriture d'un nouveau chapitre pouvait débuter.

les planètes étaient en décalage.
comme deux âmes sauvages qui auraient pris le large. loin, l'une de l'autre. l'une, sans l'autre. dans un océan de quiproquos.
ce sont ces deux gamines qu'elles imitent à la perfection. dans chacune de leurs actions, pas dans les sentiments qui avaient étouffé sous la pression des deux mères. les choix avaient été imposés, les décisions prises à mille lieux de leur consentement. et comme deux gosses incapables de se dresser face à l'autorité, elles avaient opiné.
dans les faits, pas dans les coeurs.
ceux qui s'étaient vu écorchés d'être ainsi séparés contre leur gré. les souvenirs sont intacts. tapis dans les recoins des têtes, à l'ombre de ce que l'on garde aussi précieusement que l'on tient à sa vie.
brynn faisait partie des plus beaux morceaux de toi, des étapes qui t'avaient construites même en si peu de temps. et vos endroits n'avaient jamais quitté ta mémoire. si tu ne les avais plus foulé, c'était simplement pour éviter de saigner.
le 230 fifth est de ceux-là.
de ces lieux encore habités de sa présence, de sa silhouette se matérialisant tous les trois mètres. c'est ce qui étire ce demi-sourire empli de nostalgie sur les lèvres rosées. et c'est quand son corps trouve des bras pour le maintenir qu'elle se pose la question. qu'elle s'interroge sur la véritable raison de sa présence ici.
est-ce qu'inconsciemment c'était elle qu'elle était revenue chercher ? est-ce que secrètement elle espérait qu'elle venait toujours pour l'y retrouver aussi facilement qu'autrefois ?
les réponses sont indistinctes. pourtant, elle est là. au milieu d'une pièce bien trop grande pour elle. une pièce qui perd de sa superficie à l'instant même où le visage de brynn se matérialise. diapason des battements retrouvé. le sablier semble arrêter de s'écouler, les murs se rétrécissent. parce que quand elle est là, elle apparaît toujours aussi proche. comme si elles étaient incapables de se détacher l'une de l'autre.
la scène parait irréelle et elle se fige livia. ne sachant plus ce qu'elle avait le droit de faire ou non, tant on s'était évertué à faire ces choix à sa place. aujourd'hui, elle est seule maîtresse à bord du navire qui l’emmènera vers son futur. et elle est presque certaine de savoir si elle veut que brynn fasse partie du voyage ou non. l'assurance s'était décuplée au fil des années. ce pourquoi elle ne laisserait plus personne prendre le pas sur les décisions qui concernaient ses relations. plus jamais elle ne prendrait le risque de perdre des êtres chers à son coeur, elle s'en était fait la promesse silencieuse.
une litanie rassurante qui hantait ses moments de doute les plus intenses. le temps semble ralentir son ascension vers demain, leur offrant de précieuses minutes pour apprécier des retrouvailles tant de fois espérées. j'ai rêvé de ce moment tellement de fois, mais là... ça semble beaucoup trop réel.
c'est simplement quand elle brise le silence environnant, qu'elle l'écoute. le son de sa voix, comme une tendre mélodie traînant dans son sillage les arômes d'autrefois. les souvenirs en bandoulière, les échanges qu'elles avaient multiplié.
tu n'sais plus aligner tes propres mots livia, quand elle parvient si bien à les poser sur les émotions qui t'étreignent. rien n'avait changé, pas même la superposition si évidente des sentiments qui vous habitaient.
ses lèvres qui ne savent plus, elle imite un rire ou un sourire. elle se perd dans ce qu'elles avaient été, dans ce qu'elles avaient complètement raté et dans ce qu'elles deviendraient peut-être. si seulement le destin leur en accordait le droit, cette fois.
promets-moi que si je te serre dans mes bras je n'embrasserai pas le vide.
tu lui promettras bien ce qu'elle voudra, tant qu'elle t'assure qu'elle ne repartira pas, qu'elle ne partira plus. que votre amitié ne se limitera plus à un vulgaire abandon, que vos familles n'interviendront plus jamais dans votre relation.
la tête qu'elle secoue négativement pour imager ce que son coeur et son corps hurlent déjà trop fort.
promets-moi d'être là pour de vrai.
ses mots te brisent autant qu'ils te réparent. ils font écho à des blessures d'antan autant qu'ils éclairent déjà des lendemains meilleurs. parce qu'ils ne pourront pas être plus sombres.
ses bras enveloppent sa fine silhouette alors qu'elle referme déjà les siens autour de brynn. son soleil, sa petite bulle de bonheur. une moitié d'âme qu'elle avait perdu en chemin, comme on perdait un bout de papier griffonné. alors qu'elle était tellement plus que ça.
on n'aurait jamais dû laisser faire ça, j'aurais jamais dû les laisser m'éloigner de toi. des murmures qu'elle glisse entre elles deux, dans leur étreinte qu'elle se refusait à partager avec quiconque d'autre qu'elle. j'te promets qu'on y arrivera cette fois.
à être plus fortes qu'eux. à vous dresser face à eux. à imposer vos besoins, plus qu'à accorder du crédit à leurs envies. à vous écouter vous, et seulement vous.
jamais aussi complète qu'à ses côtés, elle reprend immédiatement des couleurs qui l'avaient quitté des années plus tôt.
tu m'as tellement manqué. ça glisse comme des confidences que l'on fait à coeur ouvert, uniquement à ceux qui compte. à celle qui compte.
son absence a rendu ton existence si morne. l'a sans doute tâché d'un tas de mauvaises ondes. et étrangement, t'as la certitude que c'était ça ta malédiction. pas celle que sa grand-mère avait soi-disant jeté sur votre famille.