derrière les lourdes draperies de velours, elle observe. jamais au repos, jamais les deux yeux fermés ; lorsque ce n'est pas elle qui s'offre en spectacle dans l'arène, les pupilles fendues s'offrent sans vergogne les mouvances des autres panthères. c'est qu'elle pourrait s'avilir, devant ces juteux fruits défendus. s'avilir et chuter sur le banc des charognes, déchaînées en contrebas. elle n'en est pas bien loin, lorsque saillit entre les côtes un trait d'envie – un appétit pour la dévoration, irrépressible, pour faire siens leur sang et leur grâce. car les corps ne l'intéressent pas. contrairement à la beauté et l'individualité, si intimes d'une muse à l'autre, qui émanent de leur derme effeuillé. à bas, la vulgarité de l'enveloppe tangible. josie, c'est l'éthéré qu'elle convoite. et ses soifs voyeuristes ne sont jamais si bien rassérénées que dans cette jungle aux lianes velouteuses et aux étoiles néonisées, où les fauves sont lâchés, libres,
magnificents. à l'en faire trouver ennuyante de simplicité la beauté d'un ballet, où tout n'est que conventions, rythme, placements. les créatures qui ondulent là, sur le tempo secret d'un myocarde bien gardé, sans maître ni chorégraphie, l'enivrent de leur audace.
et josie, que ne sacrifierait-elle pas
pour être de celles-là ?
et maintenant, préparez-vous à accueillir
la somptueuse
r o s a
et le sang qui n'fait qu'un tour ;
et, dans sa tête,
la clameur qui enfle. l'alias putassier repris en cœur, murmuré de lèvres en lèvres, épousant les bouches faute d'un baiser tant fantasmé. elle n'embrasse pas, elle ne caresse pas. elle ne touche même pas,
rosa. elle se contente d'onduler, assez envoûtante pour leur offrir l'illusion d'avoir joui dix fois, quand réellement, pour elle, ils n'existent pas. muée en tigresse, au même titre que ses sœurs, le maître a été égorgé d'un coup de griffe, et c'est elle qui mène la danse. l'envie s'embrase un peu, quand eden chaloupe vers elle, rétrocédant son territoire. et le cœur s'enflamme franchement, faute d'un regard ou d'un frôlement.
eden est la seule à ne jamais la voir,
la seule à l'abaisser au niveau des affamés crevards.
rosa a la sauvagerie facile ; dès les premiers pas sur le ponton des damnées, c'est elle qui se débat. et ne rend la lumière que dans les coulisses sombres, à en occulter ses déhanchements outranciers. y'a des soirs où josie voudrait l'étouffer, la sinistre danseuse. arracher les faux cils d'un coup sec et blanchir les lèvres à l'ammoniaque. d'autres où elle s'agenouille en une prière indécente, pour que son poumon nécrotique ne cesse de battre. et la voilà qui prie, sitôt qu'elle s'engouffre dans le vestiaire ; du casier, ne tire pas les amples tissus destinés aux fuites discrètes, mais ce qu'elle a de plus près du corps. la nuit est encore jeune, et rosa n'en a pas fini de s'amuser – pas plus que josie n'en a fini d'
oublier.
sont deux dans le couloir exigu, dans le silence ; les souffles entremêlés comme seules preuves que les succubes ne sortent pas tout droit d'un infernal mouroir, en y ayant laissé le palpitant cadenassé. car on pourrait les croire trépassées, décharnées qu'elles sont, mouvantes seulement pour quelques billets, amorphes par ailleurs. on pourrait les croire divines apparitions, dans leurs flottements mutiques, incapables de se toucher, de s'observer. mais face au battant verrouillé, la première madone se réincarne dans sa chair maudite. et sa voix claque comme un fouet, déjà sur l'échine de josie, les lacérations suintent. des semaines à espérer une considération de la sorcière, sans en entrevoir les conséquences. les mots n'ont rien de soyeux, loin de l'image enchanteresse que lui confèrent les minauderies scéniques. elle a quelque chose de brutal, l'eden doucereuse – s'imagine-t-elle un si parfait miroir, que celui tendu par une rosa non moins animale ?
je ne suis pas là tous les soirs, ça a dû m'échapper. insidieuse, la harpie ne peut s'empêcher de rappeler, subtilement, sa supériorité. qu'elle, elle ne marche pas dans les pas des autres malheureuses, destinées à laisser pourrir en ces murs leur carcasse affriolante. carte qu'elle n'aurait pas tirée de sa manche, si le fauve encagé ne lui avait pas sauté à la gorge.
ainsi soit-il. tu es claustro, ou c'est ma présence qui t'indigne autant ? l'inadmissible déférence imprègne ses mouvements, tandis qu'elle se change à nouveau ; exit la soie épousant ses hanches, sans personne désormais pour qui se donner en spectacle.
car, face à eden, ce n'est plus une parade nuptiale qui se prépare ;
mais un combat à mort.