(wp #06) red desert.

ça fait un bail

t'ignores où t'es quand ces mots te parviennent. c'est futile, hors-sujet. de toute façon, entendre sa voix te propulserait n'importe où, ou bien ferait s'estomper le paysage comme dans un voyage interstellaire. le noir, les étoiles et c'est tout. il l'a toujours détenu, ce pouvoir d'éclipser les autres. par ses blagues, ses conneries, ses yeux bleus qu'auraient pu finir projetés sur les toiles. on dit que la voix s'oublie un premier, quand le temps s'acharne à effacer quelqu'un, mais t'es persuadée que tu reconnaîtrais la sienne. orgueilleuse à ainsi défier les lois de la nature. orgueilleuse d'avoir cru que t'aurais pu faire tourner la vapeur. heureusement que cette ineptie t'est passée.
quoique.
tu le regardes et les billes bleues te happent, comme la première fois que tu l'as vu. tu l'imagines pas bien changé, un peu de barbe peut-être (ça te ferait bizarre, mais ça lui irait peut-être bien). tu replonges -
dans les premiers paquets, achetés pour le plaisir de partager des taffes avec lui,
dans les aiguilles suintantes de poison fichées dans le coeur devant cette fille qu'avait dérobé le sien (égoïsme ou clairvoyance, tu savais qu'elle en ferait n'importe quoi, mais comme chaque fois la lâcheté t'a tranché la langue de ses griffes acérées),
dans ces confessions de décembre, veillées par la bouteille descendue et les illuminations de noël. seuls avec du monde autour, à braver le froid pour les ignorer, les autres qui n'existaient pas, les phares des voitures qui te semblaient filer droit sur vous au travers des vapeurs d'alcool - what a way to go - et les lèvres avides se découvrant enfin,
dans ce cocon d'éternité tissé un soir d'hiver, bulle fragile percée par les premiers rayons de soleil, ta boucle temporelle idyllique eut-il fallu en choisir une,
dans cette dernière après-midi, automnale peut-être, temps pluvieux de toute façon en miroir parfait à des idées sombres, quelques instants volés aux inéluctables adieux, et la portière rouverte enfin, want you back qui jouait comme si elle avait été écrite pour ce moment précis -


et la chanson, à lui irrémédiablement liée - ton groupe préféré qui lui appartient maintenant, encore une raison de lui en vouloir - comme les lèvres fades qui ont pu chercher les tiennes après, ne faisant que te rappeler qu'elles n'étaient pas les siennes, feu ardent en hiver, feu qu'il rallume sans même craquer une allumette lorsqu'il s'approche de toi. ça fait un bail oui, ça t'en tirerait certainement des larmes acides, chargées du souffre d'années de rancoeur injuste - car peut-on en vouloir à quelqu'un de ne pas nous aimer - et d'espoirs déçus. il n'est plus le même, pas autant à cause des années qui vous séparent que parce que t'as eu que ça à faire, de lui inventer un jumeau parfait pour loger dans ton esprit, et dont il différerait trop maintenant.
parce que c'est lui et qu'on ne t'a jamais appris à laisser partir, parce qu'il n'en existe pas deux comme lui sur cette terre désolante ou parce que t'as pas voulu voir les autres, d'instinct tu le suivras. mais peut-être que tu ne l'aimeras plus.

ça fait un bail
tu les as attendus ces mots, tu les as rêvés
t'attends encore qu'ils s'extirpent du rêve
et t'attendras longtemps, tu t'es fait une raison : t'as la réponse aux paroles de la chanson - y'avait rien à dire, c'était des larmes et pas la pluie, ou peut-être un peu de pluie mais surtout de l'amour tombé de tes yeux, c'était la dernière fois qu'il t'offrait son visage. ton amour malvenu ne l'a pas retenu, la mélancolie ne le fera pas revenir à toi, seule prisonnière de souvenirs merveilleux mais d'une rigidité de mort.