scarface

01. Son père était médecin en Haïti. Ned Donavon. Sa mère, journaliste. Nylda. C’est resté sa signature aujourd’hui, deux N majuscules entrelacés. On n’y voit qu’un gribouillage de barbare à peine alphabétisé. Deux âmes engagées, deux corps menacés de mort. Elle est venue accoucher sur le sol américain en espérant pouvoir mettre tout le monde à l’abri. On n’a gardé que l’enfant. Main d’œuvre bon marché pour plus tard. Ouais, c’est ça. La prison est pas près de lui mettre la main dessus, sa grosse main de béton où, il le sait, il mourra instantanément, comme un papillon de feu.
02. Hey, hey, I wanna be a rockstar. Une enfance  bercée par ce qui circule au pensionnat, les jeux vidéo qui tachent, les tubes bourrins, les western spaghetti. Une génération de retard parce qu’ici, ce qui passe la censure doit être cautionné par les pions. L’un d’eux met à profit la force de ce gamin grandi trop vite, pour bloquer le camarade handi qui tape une crise. Le camarade meurt dans ses bras avant que les secours arrivent. Avant qu’ils soient prévenus. Première phrase que Markey entend : « ça vaut sans doute mieux pour lui. » Les funérailles, classiques : « réjouissons-nous pour celui qui a trouvé la paix au royaume des cieux. »
03. Quatorze ans, personne ne l’a jamais adopté, personne ne l’adoptera. Premières fugues et premières conneries. Le mopping, c’est le vol à l’étalage pour habiller les drag queens qui défilent dans les bars undergrounds. La House of Diamonds, c’est un refuge pour jeunes à la dérive, tenu par une grosse poupée hawaïenne trop sexy qui se rase le menton tous les matins. Markey l’adore, c’est sa nouvelle maman. Et l’All American Runway, c’est l’un des types de défilé auxquels il prend part pour l’impressionner. Le jour où elle se fait crever par un flic dans une ruelle, il découvre qu’il est capable de tuer. Premier surpris. Fuir ne lui vient même pas à l’esprit. C’est un gros souci de Markey, il n’a jamais eu peur de rien.
04. Mineur, sans famille, noir et tueur de flic, y a pas beaucoup d’options pour toi. On lui propose l’armée, en dernier recours. Risquer sa vie, plutôt que sa liberté. L'uniforme lui brûle la peau d'avance, mais il va tenter le coup. Il s’en sortira plus facilement que de la prison, et avec plus de trucs intéressants en poche, son permis, des fringues solides, un bon sac à dos, des bottes, des armes… Il signe par avance et passe en maison de correction en attendant son heure. Seize à dix-huit ans. On lui forge le caractère. Il serre les dents. Il se fait de bons potes, ceux qui comprennent pourquoi il a fait ça. Une bonne boussole morale qu’il ne lâchera plus jamais : dans la vie, y a les vrais alliés et les autres.


05. Après deux ans d’entraînement sur le sol américain, c’est la Somalie puis la Libye. L'USS Kearsarge, un amphibie, disons une sorte de petit porte-avions. Pourquoi la marine ? Il a supposé que le paysage l’empêcherait de devenir complètement dingue. Et puis, quelque part entre sa conception et sa naissance, le premier voyage qu’il a fait était en mer. Il aime bien ce navire, la légende qui entoure son nom, le fait qu’il revient de secourir des civils d’une inondation meurtrière. Il déconne avec les aviateurs, toujours les plus sympas dans une armée, ceux-là. Les seuls qui planent un pu.
06. Il ne fera pas carrière, mon capitaine. La gueule ouverte, la mâchoire disloquée, un œil en sang, quelques dents fracassées et une oreille qui carillonne, il a trébuché jusqu’à l’infirmerie. Qu’est-ce qui s’était passé exactement ? Rien à voir avec l’ennemi. Le vrai, c’est l’ennemi intérieur. Do you wanna know how I got these scars? Oh, comme elle l’avait fait rire, cette scène, au cinéma. C’était ce qu’il allait devenir et il l’avait toujours su. Et maintenant c’était lui. Dishonorable discharge. Sauf que dans la vraie vie, Batman n’existe pas. Markey a réintégré la nuit et s’est amusé à faire peur. Trop facile. Même pas drôle. Se faire peur à lui-même ça demandait plus d’effort, toujours plus.
07. Les princes des nuits n’ont pas besoin d’armures. Lancé sur une trajectoire ascendante, Markey se paye un demi-troquet et se fait une copine de l’ancienne propriétaire, qui allait devoir mettre la clé sous la porte. Elle continue à gérer, il apporte la thune, et surtout elle ne demande pas d’où ça sort. Entre ces murs couverts d’affiches déchirées, c’est lui le roi. S’y côtoie toute une faune nocturne avec pour seul point commun, la bénédiction des astres. Une ligne de motos campe jour et nuit devant la terrasse où dort un vieux chien pelé. Mais il n’y met pas tellement les pieds, il entre dans les palaces pendant vos vacances aux Bahamas, telle une Boucle D’Or revisitée par Tim Burton : il mange dans vos assiettes, dort dans vos lits, et repart avec votre veston préféré, votre montre au poignet, vos chaussures aux pieds. Si vos portraits lui ont plu, il a laissé son numéro sur votre table de chevet.
08. Traîner avec des flics ripou, ça a du bon. Il retrouve la trace de son père. Toujours en Haïti. Toujours engagé. Sa mère a été tuée, la même année que Queem Diamond, il s’en doutait. Il pleure quand même. Ça fait mal quand on n’a pas l’habitude. Il entame une correspondance avec son père, il lui raconte des craques. Qu’il tient un petit pub étudiant sympathique, qu’il fait pas mal d’argent, qu’il peut en envoyer pour ses projets. Mytho ? C’est plus compliqué que ça. Comme d’hab, la pègre ne comprend pas, mais ses potes comprennent, c’est tout ce qui compte. Eux, ils ne doivent jamais de trahir, sinon sa raison se fera la malle une fois pour toutes... et ce sera le néant.