ad vitam aeternam (ismaël)

elle n'ondule plus, la sirène. moutonne seulement entre les ombres corporelles en abandonnant une traîne poussiéreuse derrière elle. l'empreinte de ses pas vieillie par son histoire, tant piteuse que poignante, n'a pour utilité que celle d'annoncer l'arrivée d'un fantôme lui-même hanté. loin le temps des talons qui l'élevaient au-dessus du monde, sur le point culminant du globe et de ses hôtes, quand elle régnait encore sur la moindre terre qu'elle effleurait. eden portait la couronne sur ses plantes, jouissait d'une paire aux semelles rouges qui lui tombait le monde à ses pieds. mais à l'instar de son vieux jardin, nikita a fané, s'enterrant juste à chaque claquement dépensé au sol. comme une descente aux enfers qui jamais n'a de cesse. elle qui pensait déjà tout connaître du royaume d'hadès, elle ignorait qu'il y avait plus cuisant que la haine. et c'était l'amour. c'était la mort. en l'un et l'autre qui s'assemblent, elle y avait découvert que son purgatoire terrien ne ressemblait finalement pas à un vide intersidéral qui confisquait l'émotion, mais au contraire, à un puits sans fin vociférant dont les parois étaient construites d'échos sentimentaux. la sentence n'était pas le silence, mais le vacarme constant. son issue n'était pas la mort, mais finalement la vie qu'elle devait poursuivre malgré son extinction intrinsèque.

alors elle n'ondule plus, la sirène. fait seulement suivre sa carcasse lourde, qu'une balance même estimerait radicalement saturée. et quand elle s'assoit ; s'écrase lourde encore, opprimée sous le poids de son jugement dernier. les jours aériens ne sont plus. l'indépendance d'une âme indolente s'est tue. la sensibilité est apparue. et aujourd'hui, le martyre s'inscrit en tout lieu. sur sa seule ligne d'horizon, sur ses pensées cycliques, sur son reflet terni, sur son café noisette. nikita n'est que les os d'une femme estropiée, à laquelle on a sectionné la tête et remembré d'un cœur qu'on force à pulser.

« j'ai déjà réglé. » se lasse-t-elle de devoir répéter alors qu'elle lève les yeux pour mépriser les compétences d'un serveur qui l'a déjà encaissée. mais la silhouette qui s'est dressée face à elle ne ressemble en rien à celle du serveur - a tout de celle d'un spectre qui la hante que trop souvent. elle se croit d'abord victime de ses hallucinations, parce qu'il y a de ça deux ans, aux contours brumeux du visage de charles s'étaient ajoutés ceux d'une paire d'autres amours perdus qui l'avaient cette fois véritablement envoyée au trépas. mais le regard de l'être cher s'entête, et lui apparaît si tangible qu'elle ne s'efforce même pas de cligner des yeux dans l'espoir de le faire disparaître. elle le sait. le ressent. il est là. outre ses cauchemars endeuillés, physiquement là. elle reconnaît la profondeur des épines amoureuses qu'il porte sur sa chair et que ses mirages n'ont jamais réussi à simuler aussi puissamment. alors elle entrouvre ses lèvres gercées - abîmées par les passages de ses clients, incapable de prononcer une simple syllabe. et au même instant, s'éveille subitement en elle un éclat de passion auquel elle finit par sourire très discrètement, comprenant qu'elle est enfin sur le point de revivre.

@ismaël sartier  

le mirage apparait une nouvelle fois.
à la terrasse d'un café et il happe toute son attention.
aussitôt les paroles qui parviennent à ses tympans n'ont plus le moindre sens, un brouhaha insignifiant duquel il se détache en une fraction de seconde. au travers des vitres teintées de la berline, ismaël se fige au même titre que le temps. le souffle se fait la malle et coincé à un feu rouge, il ouvre la porte de la bagnole à l'image d'un gosse souffrant. abandonnant mère et chauffeur, c'est le bitume qui esquinte ses pompes quand il se précipite sur le trottoir. il se met à jouer des épaules entre les passant, de peur qu'elle ne parte en fumée, se retrouve vite immobile quand son cerveau continue à lui jouer des tours.

la blonde est toujours là.
c'est son buste qu'il observe en premier, y cherchant la vie.

impossible. mais le myocarde s'emballe à mesure que l'attraction fait son œuvre et bientôt le voilà au dessus d'elle. j'ai déjà réglé. ta dette ? comme un rencard attendu depuis des siècles, ismaël s'installe sans mot dire. les iris s'attardent sur le visage de la femme, l'émotion le prend aux tripes et il ressent avec force l'impact de la balle, là, sous sa chemise. le monde ne tourne plus, il ne voit plus, n'entends plus, ne sent plus. le champ de vision recentré sur l'être aimé comme s'il n'avait existé qu'au travers de son imagination.
« vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu...» lâche-t-il, dans un sourire vague empreint de nostalgie. c'est qu'il se revoit adolescent, coincé entre quatre murs avec pour seul arme la force des souvenirs qu'elle était en train de créer en lui. eden le plus féroce des poisons. « il y a longtemps. dans une autre vie.»

une autre vie. avant qu'il ne meurt, ce soir là. elle l'avait tué, arrachant son âme par égoïsme, ne laissant à ce monde qu'un pantin. à présent sartier exceller dans son rôle de premier fils modèle, était même prêt à offrir une descendance à ses géniteurs. il avait pris la route toute tracée pour lui, sans une once de rébellion. jusqu'à aujourd'hui, maintenant, ses yeux rivés aux siens, qui le ramenaient à tout ces méfaits. il aurait dû partir, tourner les talons et agir avec la même lâcheté que tout les hommes de sa famille, mais il fouillait d'une main distraite dans sa veste, sans parvenir à la quitter du regard, attrapant un paquet de cigarettes qu'il ne parvint même pas à ouvrir.

@nikita aleïev    

la silhouette qui s'est imposée à elle soumet ses moindres stimulations cérébrales. les cellules s'énervent, s'affolent envahies d'un souvenir si conséquent qu'il ranime une conscience qui n'existait plus. à la manière dont on donne un orgasme, ismaël généralise une épilepsie en elle. l'explosion de sérotonine dans son encéphale névralgique serait capable de la faire bruire, hurler même. c'est l'entièreté de son cortex qui lui procure une extase incandescente, et la performance est telle qu'elle lui moyenne l'une de ses meilleures voluptés. paralysée sur sa chaise, il n'y a que ses yeux pour lui faire l'amour. ses azurs caressent sa peau trop hâlée pour celle d'un squelette rescapé. embrassent et mordent ses miroirs. les provoquent, les possèdent et les baisent. s'y complaisent. dans ce reflet de leurs flammes jumelles. alors, l'ombre qui s'est manifestée sous ses yeux devient lumière. nikita retrouve l'oxygène de l'eden. et respire. comme elle ne savait plus le faire.

enveloppé de lascivité, le rapport aurait pu s'étendre. la putain aurait passé des heures à étreindre son regard, dans un mutisme criant de sentiments qu'ils n'ont jamais su saisir. la puissance d'un amour psychopathe porté par l'absurdité - la passion folle, la rancœur démentielle, l'éréthisme éternel. il semble donc presque d'un moment d'exception, quand ce silence impartial les enclave, eux, ces êtres qui n'ont toujours su s'aimer que par la haine, s'haïr que par l'amour. pour rien au monde, l'amoureuse venimeuse ne céderait cet instant. mais ismaël use enfin de sa langue. et elle se rappelle qu'ils n'ont jamais entrepris les mêmes concessions. « vous ressemblez à quelqu'un que j'ai connu... » il évoque sûrement un quelqu'un qui fait partie d'elle. un quelqu'un aussi qu'il ressuscite. à la seule force de sa présence. comme s'il était simplement fait pour elle. pour son âme même. « il y a longtemps. dans une autre vie. » sourit-il trop pondérément. « vous ressemblez à un fantôme. » sourit-elle de la même façon. vous ressemblez au spectre qui habite les restes de mon cœur, aurait-elle pu dire. vous ressemblez à l'épouvantail qui m'a percé l'échine et qui fait fuir les gens, vous ressemblez à mes cauchemars de chaque jour, à mon ennui chronique, à mes cendres. vous ressemblez au fardeau, monsieur, à une raison de vivre. mais le restreindre oralement à un esprit est suffisant. à la limite, un survivant.

après goût, le café est salé. sûrement par l'une de ses larmes qui n'a pas coulé. bien qu'elle aurait pu, pleurer. imprégnée de cette émotion intense. nouvelle. mais à la place, elle choisit de se présenter. restituée d'un humour, qui, maintenant et d'ordinaire, ne se retrouve plus que sous came. « melinda gordon, enchantée. vous êtes ? » un mirage, un oracle, un ultime sacrifice ? qui êtes-vous, aujourd'hui, entend-t-elle. qui êtes-vous, dans cette vie ? avait-il choisi de la vouvoyer pour de nouveau la rencontrer ? était-ce une marque de respect, ou d'indifférence à son égard ? étaient-ils encore capables de se percuter ? de brûler, ensemble ? dans cette vie comme les anciennes, dans cette vie comme toutes celles qui s'en viennent ?

@ismaël sartier  

 « vous ressemblez à un fantôme. »
des années en arrière, ismaël s'en serait réjoui, son visage alors synonyme des excès commis la veille. aujourd'hui, face au seul spectre l'ayant mis à terre, ses traits et son corps ne portaient que les stigmates de la plus douloureuse des peines de cœur. l'ignorance le prenait encore en étau, noyant sa matière grise sous un tas de pensées plus incohérentes les unes que les autres. pourquoi ? pourquoi alors que j'avais flanché, mon genoux à terre pour l'éternité à tes côtés. pourquoi, eden ? j'avais dépassé les bornes ? avions nous seulement des limites ? en opinant, il concède pourtant sa remarque. au placard la prestance, le masque de l'héritier parfait est tombé et montre au monde la gueule d'un homme épuisé.

et plus le myocarde frappe, plus il s'essouffle. la cigarette devient un remède, ne calme pas ses nerfs mais lui permet de garder la face. « melinda gordon, enchantée. vous êtes ? » en soufflant la nicotine il s'octroit un demi-sourire. son regard ne se détache du siens que pour glisser sur sa pommette, le creux de sa joue jusqu'aux courbes de ses lèvres qu'il survole d'une caresse. il n'y avait que par le regard, qu'il savait être doux, sartier. en soit témoin le filtre de la clope malmené entre ses doigts. et dans son observation chirurgicale, ismaël cherche la dite melinda. serait prêt à la voir juste par amour du jeu. pour la séduire, une nouvelle fois. s'approprier sa bouche, s'approprier ses chairs, y trouver les réponses, le goût de la trahison, même quelques minutes. juste quelques minutes. tu étais mienne, hier autant que demain. « louis, de passage à new-york. » qu'il répond enfin, écrasant son mégot dans le cendrier, quittant pour la première fois l'intensité de son regard. mais quand il le retrouve, il ne voit que les mensonges, le manque, l'amour-fantôme, propulsé près d'une décennie en arrière.

« presque un fantôme finalement. » et il est prêt à mettre les pieds dans toutes ses supercheries, récupérer sa main pour la jeter avec lui du bord de ce précipice. « à vrai dire, je connais très mal cette ville. quelque chose me dit que vous en connaissez toutes les subtilités. » une invitation, ou alors est-ce une mise en garde ? que plus jamais il ne la laissera prendre la fuite, ici ou ailleurs. qu'il récupérera, d'une manière ou d'une autre ces années qu'elle lui a enlevé et pour quelques heures, quelques jours, pour elle, il prendrait l'identité qui lui conviendra le mieux. jusqu'à être assez proche pour enserrer sa gorge.

@nikita aleïev       

à le voir batailler contre son paquet de cigarettes, elle lui en propose une. la pose sur la table. avec une innocence qui ne l'est pas vraiment. parce qu'il a réveillé quelque chose en elle, ismaël. quelque chose qui lui était autrefois inné. un génie. un cerveau en ébullition qui n'a de cesse d'anticiper. une maîtrise. une emprise. sur les autres, tous ceux qu'elle rencontre, mais surtout, surtout, sur lui même. l'homme à qui elle avait pensé retirer la vie. l'homme qui la poussait à vivre. jusqu'alors, nikita avait délesté son poison pour une quelconque salive. elle était devenue passive. s'était éteinte d'une indifférence sans nom. qu'importe le temps, qu'importe, les émotions. plus rien ne lui était précieux. rien, si ce n'était qu'une ligne blanche - capable de lui gommer son noir. devenue néant, le nez qui aspire et la tête qui s'excave. se creuse. jusqu'au rien. jusqu'au lendemain. à le voir batailler, lui, contre son paquet de cigarettes, elle s'était trouvée un échappatoire. un halo d'espoir. sa réflexion naquit comme neuve et et ses desseins clandestins autant. il prend la cigarette, et elle esquisse les contours indistincts d'un sourire malsain. il prend la cigarette, et elle se réveille d'un mauvais rêve qui n'avait encore jamais pris fin. celui où elle marchait sur les deux genoux en attendant son propre génocide.  

il prendrait n'importe quelle identité qu'elle savourerait d'avoir retrouvé ce corps humain. ce corps capable d'éveiller en elle son instinct animal. plus que de survie, d'amour pour la vie. d'amour pour régner, et de n'être jamais oubliée. « louis, de passage à new-york. » de passage, dit-il. pour toujours, pense-t-elle. tu resteras, ismaël. tu habiteras le queens, sur la rive de mes esquisses, dans l'embrun de mes entraves et jusqu'au fond de mes entrailles. tu resteras. sinon, je te ferai partir. parce que je passerai plus un jour sans toi, maintenant que tu es là. « presque un fantôme finalement. » elle acquiesce d'un mouvement léger. il n'était qu'à un coup de couteau de le devenir, finalement. peut-être un énième coup de cœur. son presque lui crisse entre les organes. et résonne comme une promesse. tu fais de moi une miraculée, obsédée par le fait de vouloir t'offrir l'absolu. ils sont à presque, de se retrouver. presque de se perdre. presque de s'aimer. presque de se tuer. mais, ils sont, sans nulle mesure approximative, à tout de subsister ensemble. pour deux secondes. ou l'éternité. à tout, de redevenir ce qu'ils étaient.

« à vrai dire, je connais très mal cette ville. quelque chose me dit que vous en connaissez toutes les subtilités. » invente-t-il. « d'où venez-vous, louis ? » persiste-t-elle. est-il seulement capable de se rappeler ? le gamin sur le parking, aux poings enserrés, de sang, le blasphème sartier ? parce qu'il vient de là ; de l'excès d'une nuit que le soleil n'a jamais percé. alors elle est curieuse, eden, du mensonge qu'il s'apprête à lui confier comme une idylle. « je pourrais vous accompagner. » je pourrais t'escorter, mon amour. « vous avez déjà des idées ? des.. subtilités que vous voulez découvrir ? » quels reliefs voudrait-il discerner, aujourd'hui ? quels détails, quelles parts d'ombre voudrait-il éprouver ?

@ismaël sartier  

« d'où venez-vous, louis ? » tu le sais, mon amour. là, je viens de là. baisse les yeux et regarde ce cœur qui bat dans ta poitrine. j'y suis né le jour où tu as ondulé jusque dans ma cage, le jour où nos iris se sont percutés. le jour où nos corps se sont apprivoisés. j'viens de là, tu le sais et aujourd'hui plus que jamais. eden lui colle tellement à la peau qu'il aurait pu en oublier sa vie avant elle: le gamin sartier collé au trou pour un coup de sang irréparable. et quand il se concentre assez, il peut encore sentir les os se rompre sous ses coups assassins, comme il peut la sentir, elle, embrasser la moindre parcelle de son épiderme. « d'europe, Paris, vous y êtes déjà allée ? » annonce-t-il, feintant la curiosité. ismaël vibre de souvenirs, se remémore ce dernier voyage comme s'ils y étaient la veille, un énième chapitre de leur histoire, des fiançailles consommées abusivement. il peut sentir ses plus bas instincts crépiter sous sa peau, prêts à exploser comme du pop-corn. mais à l'image des amoureux nostalgique devant une photographie abimée par le temps, il sourit. il lui sourit à elle, au temps, à cette journée qui restera précieuse.

« je pourrais vous accompagner. vous avez déjà des idées ? des.. subtilités que vous voulez découvrir ? » le sourire s'élargit, le mauvais joueur d'échecs pense placer convenablement ses pions, n'a pas peur de la reine ayant déjà coupé la tête du roi. c'est qu'il se saboterait volontiers pour parvenir à la mettre à terre. tu étais mon début, je serai ta fin, je te le promet. « je veux tout voir. » de vous, de toi. « le beau autant que le moins beau. votre première impulsion sera la mienne. » en quelques mots c'est comme s'il lui confiait une nouvelle fois sa vie. qu'elle en fasse ce qu'elle veut pour les heures à venir, jusqu'à ce que sonne minuit et que les masques se déforment.

« juste quelques heures. » sa main glisse sur la table, paume ouverte pour qu'elle s'en saisisse. il ne tremble pas, le pourrait, mais ne fait que la sonder davantage. dévore même les opales qui lui font face. prend ma main. prend la. que tout ces autres pâlissent en se rendant compte qu'ils n'ont jamais connu pareille étincelle. viens renaître à mes côtés, jusqu'à ce que nous nous donnions une nouvelle fois la mort, de s'être trop aimé.

@nikita aleïev       

et la putain retombe amoureuse. déserte le tapin pour regagner les souterrains. les cloisons sinistres qui élèvent les résonnances funestes, la voix du diable. les flammes lucifériennes - celles qui l'embrasent avidement, qui la consument d'une passion inégalable. elle retrouve l'essence d'une vie, le seul carburant d'assez fonctionnel pour lui permettre de l'affronter. elle rejoint cette contrée enténébrée, et elle y retrouve enfin la paix, eden. là. sous ce soleil plongé dans l'obscurité, à l'ombre de cet astre noirci qu'elle n'avait plus perçu depuis des années. elle rassemble les morceaux d'elle qui lui avaient échappé, pour reconstituer la chimère fatale qu'elle a toujours incarné. mais dans le déferlement, elle oublie de déraciner la fille de sa mère, l'enfant de catin - la came et le sale veineux, comme un poison héréditaire. dans la frénésie d'une renaissance, le phenix abrège déjà sa croissance. les capacités cérébrales embuées par les palliatifs, nikita n'a jamais su, comment réinterpréter eden. n'est pas aussi douée qu'elle pour les calculs, surtout celui à s'en sortir vivante. partout. n'est pas aussi menaçante, avec ses yeux remplis de fumée au lieu du feu. n'est pas aussi mortelle, avec son corps qui a déjà perdu la vie. elle ne se rend pas compte, l'excessive. animée par les effets euphorisants de mauvais médicaments, elle pense juste avoir retrouvé, et repris le contrôle sur une chasse viscérale. celle de la poursuite de la mort par amour.

elle profite seulement. admire un visage dont elle connaît les moindres imperfections. sent son myocarde pulser de nouveau en écho avec un autre. et plus il ment, le cœur adverse, plus il bat, le sien. louis, comme un retour au paradis. louis, comme un aimant ennemi. « d'europe, Paris, vous y êtes déjà allée ? » feinte-t-il à son tour, pourvu d'une innocence frauduleuse. et comment pourrais-je oublier, cette promesse d'éternel ? comment pourrais-je oublier, la moindre de nos nuits qui dominaient chaque aurore ? le fanatisme que tu m'éveillais jusqu'aux tripes, à la violence de tes coups de reins, tes coups de poings ? comment pourrais-je oublier d'avoir porté ton cœur à mon doigt, mon amour ? « non, jamais. » rompt-elle dans l'insolence d'un sourire rusé, qui pourrait vouloir dire, oui, et mon âme y est restée.

« je veux tout voir. » je t'en empêcherai. les failles de la damnée pourrait devenir les armes de son condamné. et il pourrait l'enfermer elle, l'emprisonner dans ses songes emplis de sentences. et la tuer. alors qu'il vient de la ressusciter. « le beau autant que le moins beau. votre première impulsion sera la mienne. » l'idée est dangereuse. nikita s'effraie. eden s'enivre. et leurs corps s'emballe. les pulsions sentimentales portées par la puissance d'ismaël obligent l'ensorceleuse fragilisée à rester. « juste quelques heures. » ou juste une existence. il lui tend la main. elle faiblit. « de la ville que j'ai connue, il ne reste rien, monsieur. » avoue-t-elle sans le quitter des yeux. elle ne pourrait sûrement l'emmener qu'à un chantier. l'abandonné. finalement le seul qui ne s'est jamais effondré. et qu'en penserait-il, l'aîné sartier, de voir de ses yeux la déchéance qu'elle s'est infligée ? la dégradation sous laquelle elle croule depuis trois ans ? que penserait-il, de l'eden sacrément défloré ? lui offrir une possibilité de jugement n'est pas dans ses plans. et la sirène désenchantée préfère se forcer à onduler. elle pose sa main dans la sienne. prouve qu'elle est immortelle. et que lui, n'aura jamais fini de demeurer en elle. « allons-y. et sans dire au revoir à personne. » allons-y. allons redécouvrir les rues que nous avons habitées. allons courir dans les allées comme deux amoureux, écraser les fleurs du queens de nos foulées cruelles, s'étendre sempiternellement sur un champ de bataille. allons-y, mon amour. faire tomber le monde de notre avènement.

@ismaël sartier  

« non, jamais. » la menteuse avoue en un sourire tout ce qu'ils ont partagé. et il ne lui en faut pas plus pour chuter à même les souvenirs qui l'avalent tout entier. ce sont eux qui le poussent à rester assis face à elle, c'est son coeur qui l'empêche de faire le moindre mouvement de recul. au contraire, c'est sa main qu'il lui tend, comme un cadeau, une promesse qu'ils s'étaient faite des années en arrière. eden et ismaël jusqu'à ce que le monde tombe en ruine. « de la ville que j'ai connue, il ne reste rien, monsieur. » de la vie que j'ai connue, je pensais qu'il ne restait rien. les secondes qui s'écoulent lui paraissent insoutenable. c'est un nouveau souffle qu'elle lui offre dès l'instant où les épidermes se rencontrent, preuve de la réalité de l'instant. elle est là. il la sent. la chaleur qui émane de son corps, se répercute en lui, traverse ses organes pour atteindre le myocarde qui s'affole. « allons-y. et sans dire au revoir à personne. » et avant qu'elle ne s'échappe il referme sa paume, la menotte à son être quand il se redresse.

aujourd'hui signe le début du deuxième acte.

et comme tout les débuts, l'ambiance ne laisse rien entrevoir de la fin chaotique. c'est lui qui entreprend leur fuite, se mettant à marcher d'un pas assuré le long du trottoir. sa main dans la sienne, il délaisse le court de sa journée, le court de sa vie. qu'elle l'enlève pour l'éternité si c'est ce qu'elle désire, qu'ils se retrouvrent dans un huis clos où aucun d'eux n'aura la moindre échappatoire. qu'ils se laissent envahir par les ressentiments avant d'acceuillir ces sentiments qui les rendent si humains. sa main dans la sienne, dans la peau d'un autre, il oublie presque le jour de la détonnation. tu as voulu mettre fin à mes jours eden, s'en prendre peur de ce que tu aurai pu faire renaître. sa main dans la sienne, il demeure silencieux ismaël, se laisse bercer par les battements frénétiques habitant sa poitrine. peut-être qu'il la poussera sur les roues d'une voiture, à l'angle de cette rue, ou celle d'après. peut-être qu'il agrippera sa gorge, dans cette ruelle mal famée, rajoutera un cadavre à son placard. peut-être. c'est de cette façon qu'ils avaient vécu leurs vies, imprévisibles dans chacune de leurs décisions.

c'est de cette même façon, qu'ici, au milieu du peuple il ramène son corps contre le siens. se fout pas mal de la bienséance. et  il a le sourire facile ismaël, la joie de vivre raviver par l'adrénaline qui le parcoure. « rassurez-moi, vous ne manquerez à personne aujourd'hui ? » dans cette vie.  « je ne voudrai pas qu'un quelconque fiancé me tombe dessus. » il ne retient pas le crissement si singulier de ses mâchoires, l'acteur se tend un piège.

@nikita aleïev       

sa main dans la sienne, elle suivrait cet inconnu au bout du monde. jusqu'à la mer, jusqu'au ciel. sur les berges de la bile des marins, sur les limbes enduites d'arsenic. jusqu'à en tomber, de la sphère, jusqu'à en chuter de mille lieues si fort qu'ils finiraient dans l'oubli de l'univers. qu'ils ne manqueraient à personne, mais qu'ils auraient marqué la terre de leurs empreintes scellées. qu'ils auraient laissé la preuve que l'amour existe, et qu'il est dépourvu de limite. aucune. la preuve qu'aimer, c'est dramatique. que les pulsions sont pathétiques, que la passion est immorale. ils serviraient de catharsis. finiraient œuvres et arts. s'encreraient à jamais sur la peur des gens. par leur faute, les gens angoisseraient. comment feraient-ils, pour aimer, s'ils n'avaient que le modèle de deux âmes enterrées par leurs sœurs ? ils penseraient qu'il faudrait être fou, pour s'aimer. pour ne pas redouter l'intensité d'une idylle, ne pas empêcher sa conduite vers la mort. il faudrait être fou, pour se suivre jusqu'au chaos, jusqu'au cosmos. fou pour se suivre jusqu'au tout et au plus rien, jusqu'à la fin, mais, toujours, main dans la main.

le temps d'une traversée, elle se pense immortelle. déifiée par l'amour éternel. longtemps que la vie n'avait pas été aussi somptueuse, longtemps que les bâtiments ne s'étaient plus revêtus d'un noir qu'elle voit en blanc. la grandeur des édifices n'existe plus, lorsqu'il la mure à lui. l'effervescence des autres se tue, lorsqu'il miroite d'elle. parce qu'il arbore des sourires comme s'ils n'avaient jamais éprouvé le pire. « rassurez-moi, vous ne manquerez à personne aujourd'hui ? » mais peut-elle vraiment manquer à quelqu'un, depuis qu'elle ne partage plus rien ? nikita ne connaît pas, l'amour. rien des sollicitations et inquiétudes de ses rencontres, qui ne sont qu'éphémères, que pour passer le temps qui, un jour, lui offrira précieusement son heure. récupèrera ses éclats pour l'escorter enfin à ses fantômes. rassurez-vous, ceux à qui je pouvais manquer s'en sont déjà allés. bien à un ailleurs, le premier aux étoiles, le second au désert, le troisième dans une autre vie. une nouvelle où il s'appelle louis.

« je ne voudrai pas qu'un quelconque fiancé me tombe dessus. » il ne connaît décidément plus rien d'elle. ou plutôt, de son épigone. la fille de putain devenue putain porte l'alliance de l'anathème. n'est promise qu'à la perte et ne s'engage qu'avec ce qui l'y précipite. alors elle secoue doucement la tête. « pensez-vous qu'un fiancé m'aurait laissé redécouvrir le queens avec un autre ? » ne serait-il pas resté ? jusqu'à l'apocalypse ? « soyez serein. je n'ai personne. » personne et rien. personne depuis la survie. mais lui, depuis qu'eden revit. je serais donc la seule, capable de vous tomber dessus. la seule pour vous dévisager, mon amour, vous humilier et vous jalouser. je serais l'amante et son maître, pour vous, l'amour et sa possession. la blonde porte l'une de ses mains jusqu'à sa nuque, posant son pouce sous les grincements de sa mâchoire. « et vous ? à qui allez-vous manquer aujourd'hui ? » ses yeux accrochés aux siens, alors, que, dans une autre vie, ils auraient habilement glissé jusqu'à sa main et son anneau. mais elle ne fait qu'éclore encore, eden, avec des sentiments qui l'aveuglent, et ne se souvient plus de comment détailler les traîtres. plus de comment ne pas faire confiance aux inconnus. et ne jamais les suivre. mais toujours les acheminer.

@ismaël sartier

« pensez-vous qu'un fiancé m'aurait laissé redécouvrir le queens avec un autre ? » tu as raison. je n'en aurai rien fait. tu as toujours connu ma propension à vouloir t'enfermer à double-tour. celle de te garder égoïstement, loin des yeux et des cœurs des autres malheureux qui auraient pu croiser ta route. et c'est entièrement de ta faute. tu en es la seule responsable, maîtresse d'un fauve que tu as volontairement laissé en liberté. dans le regard de l'éternel l'amant se perd, ses pensées divaguent, s'égarent jusqu'aux contrés de ses désirs enfouis. il n'y avait plus rien, maintenant le voilà avec le tout. « soyez serein. je n'ai personne. »  et le mot personne fracture les rempart du myocarde de l'amoureux, personne ressemble à un début, raye d'un trait la fin prématurée qu'ils ont connu. quand sa main glisse jusqu'à sa nuque ismaël sait qu'elle le précipite une nouvelle fois vers une mort certaine. la véritable. et il s'y love dans cette caresse, y appuie son crâne tel un animal en manque tandis que ses doigts chiffonne le tissus couvrant ses reins. « et vous ? à qui allez-vous manquer aujourd'hui ? » mes affaires, ma mère et cette autre femme. mais plus je te regarde, plus les contours de son visage deviennent flous, c'est elle qui s'évapore à présent, devient mirage maintenant que je te tiens entre mes mains. a-t-elle seulement existé ?

« personne. » nouveau murmure, « celle qui m'attendait n'ai plus ici. » elle s'est enfui un soir d'hiver. sartier pourrait se laisser tenter, s'emparer de ses lèvres dans l'instant, sceller ce pacte d'une danse macabre, mais il ne fait qu'humer son parfum. caresse de l'arrête de son nez les contours d'une mâchoire. il lui faut la force de cent hommes pour se détacher. un sourire nostalgique toujours accroché aux lèvres. « mais vous ne m'avez accordé que quelques heures, alors ... » sans rien ajouter de plus, louis plus qu'ismaël reprend la marche.

et sur le chemin où ils ne comptent plus les minutes, il lui racontera quelques anecdotes de son enfance parisienne, des vraies comme des fausses. il jouera les innocents, longuement, les touristes aussi parfois juste pour la regarder et l'écouter parler. il lui offrira une glace, comme un gamin à son premier rendez-vous amoureux, essaiera même de la faire rire en oubliant le monde qui, autour d'eux, ne s'est pas arrêté de tourner. il n'oubliera pas de tomber en amour pour elle, deux fois, peut-être trois.

et à vingt-trois heures, alors qu'ils sont installés à la table d'un vendeur de tacos bon marchés et qu'il la regarde avec attention, l'homme demande: « est-ce ainsi que l'amour nait ?  » avec simplicité, sans le moindre effort ? est-ce ainsi que je t'ai aimé, eden ? pourtant, nous savons toi et moi ce qui nous attend, ce qui nous a toujours attendu. qu'adviendrait-il si nous nous glissions pour de bons dans des personnages créés sur mesure ? nous aimerions-nous à l'abris du sang et des larmes ?