Très haut amour

traits de caractère / Cigarette aux lippes sans jamais d’écart, la toux du vieux fumeur et la voix grave, rauque de celui qui raille, qui moque, qui confronte, qui ennuie, Virgil c’est le cynisme en étendard, le désespoir dans les pupilles, c’est l’atrocité d’une pluie de décisions passées qu’il assume, comme il assume il dénigre, tous, Virgil ne met pas de point à la fin de ses phrases, il laisse le silence assourdir les périples philosophique, il sort des phrases, des discours, par-ci par-là pour mieux masquer son intelligence sous un masque de de garnement toujours furieux. C’est vrai que ses poings se cognent, partout où ils peuvent, ils frappent surtout les mâchoires, les nez, les joues, les pieds aussi mordent les parties faibles des adversaires, c’est qu’il traîne souvent en boite pour s’anéantir dans les dérives spectaculaires d’une jeunesse décadente, lui c’est le vieux loup dandy, toujours bien vêtu dans son costume qu’il troque souvent pour des vêtements plus confortables, chez lui. Et chez lui le capharnaüm, un jeu d’ombre et de lumière, les rideaux toujours tirés sur les volets toujours sales, dans un quartier où la violence se partage des manières avec la politesse de la classe moyenne. Il préfère vivre dans le pandémonium des pauvres plutôt que d’afficher des richesses – qu’il possède. Le bonhomme est anarchiste faut dire, ça lui tient à cœur la politique, d’ailleurs il aurait voulu changer le monde dans son idéalisme hargneux. Séditieux, il ne supporte pas l’autorité des nantis, ces bourgeois, ces aristocrates, ces hommes chantant le privilège. Il rive ses yeux de braise dans les autres, y lit des douleurs ou de l’orgueil et cela l’énerve alors il gueule, il feule, il geint parfois, ressasse en redressant ses manches pour cuisiner, dessiner, composer, programmer. Il a appris des choses, dans plein de domaine, une culture qu’il ne partage pas ou très peu, aux gens qu’il aime, et dieu ! il n’en aime pas beaucoup des gens, il crache sur eux, c’est plus facile de dénigrer puisque le péché d’orgueil il connait aussi, il vit avec, cohabite avec la condescendance, dans le grain de sa voix des notes blessantes quand il ordonne ou insulte, t’es con, t’es nul, t’es débile, tu comprends rien, laisse-moi tu fais des conneries, il est insupportable à contrôler le moindre geste de ses proches, la peur rôde, le désir de la perfection, Virgil, quand il a décidé de créer ou d’encenser un projet il te fabrique cela en deux jours minimum, en deux semaines maximum, parce qu’il comprend vite mais se ferme sur des obsessions métaphysiques. On le voit parader dans son appart’ les mains dans les poches, emmerdant ses filles, leur posant des questions quand il est d’humeur égale, parce que oui, on ne sait pas trop, entre les poings ou la parole, il vogue chaque jour sur une nouvelle planète. Lunaire on le définit, ou bipolaire a-t-il été diagnostiqué, c’est que l’humeur peut vite danser en dent de scie. Virgil c’est le mec décadent, qui aime sa solitude mais la déteste aussi, ce besoin de s’entourer, cette sociabilité dans le sourire, dans les yeux, dans les traits. Cette séduction un peu obscure, un peu mystérieuse, toujours il darde ses pupilles sur les plus belles filles, les plus belles femmes, leur tend une cigarette ou les sauve de la noyade, mais faut pas trop s’accrocher à lui, c’est pas la peine, lui il fuit un peu depuis que son dernier amour s’est fait la malle avec un gaillard qu’il a bien égratigné par vengeance et colère, t’as pas le droit de partir putain reste ici ! qu’il lui a gueulé en la frappant elle aussi, parce qu’il est de sang chaud Virgil, même les femmes il punit. Bref, vraiment, c’est le gars qui sera là parfois, quand il t’aime bien. S’il t’aime pas il se moquera, retiens bien, ou te testera, au choix.  

L’histoire débute de manière aléatoire, un bébé qui braille dans une clinique dans la banlieue de Naples, un petit garçon qui sera choyé, adoré par sa mère, parfois surprotégé, culture italienne de la maternité, Virgil comme le poète antique, la mère une comédienne renommée issue d’une vieille famille bourgeoise dans les artères de la Sicile, privilégiés, ils ont su partir avant les crises, aux Etats Unis puisqu’ils croyaient comme tous, le rêve américain, eux, ils l’ont vécu, ils avaient les moyens, l’argent pleuvait, ce n’était pas un problème. Virgil est né, dans ses yeux déjà se lisait la flamme de l’auti-conservatisme, les délits contre l’autorité.

Va crever, t’es pas capable de cracher sur les riches de merde, tu t’es prostitué pour un job parce que tu te sentais si pauvre que tu souhaitais t’agenouiller face aux compliments, mais mec t’es rien qu’un vendu. La cigarette aux lèvres depuis ses années collège, Virgil a croisé les bras, a serré les poings, l’envie forte de cogner la mâchoire de l’ancien ami dont il se sent trahi sans comprendre que le privilégié c’est lui, d’ailleurs le traître lui dit, bien dans les yeux, la voix glaciale et le Moravia ne supporte pas l’affront, alors les mains frappent de bon cœur la joue du mécréant osant répliquer, c’est qu’il a raison en plus, deuxième poing venant s’échouer sur le nez. T’es qu’un crevard, t’as vendu ton cul pour des billets verts, t’as fais quoi, t’es allé sous le bureau pour être pris, t’as même pas les compétences requises pour ce job ! Exulte-t-il, colérique. Ils sont sortis du lycée les rêves de refaire le monde et de courir les manifestations, de provoquer les houles de violence et de révolte contre les gouvernements successifs qui entraîne vers la chute le pays, Virgil se sent américain jusqu’au bout des ongles, la lassitude d’être bassiné chaque matin, chaque soir, de l’histoire de son pays natale, l’Italie, c’est que la mère regrette les paysages méditerranéen, les mers, les collines, les champs, les oliviers, le vent, Virgil lui répète qu’il a grandi ici, qu’ici c’est son pays, qu’il chiera des menaces, fabriquera des armes afin de libérer du joug du capitalisme le peuple s’abrutissant à coup d’écran de télévision et de programmes imbéciles, lui il lit, dans sa chambre quatre grandes bibliothèques encadrent son lit, dedans des socialistes George Orwell, puis Camus, et Sartre, des intellectuels dont il a épluché la pensée, les professeurs ont toujours l’admiration dans leur pupille quand le gamin prend la parole, un air lassé sur ses traits lunaires, balance quelques citations et des bouts de réflexions, matière préférée que la philo, des vingt à chaque dissert, dans les matières littéraires il excelle, on lui promet un avenir brillant, d’écrivain ou d’éditeur, de flair ou de politicien. Erreur de parcours alors puisque Virgil s’est mis en tête que la meilleure société se construirait à partir des ruines, tout massacrer pour mieux recommencer, mais ça aussi c’est réducteur. Je veux plus te voir, tu me dégoutes, va crécher sous les jupes de Trump va, tu deviendras exactement comme le psycho de Breat Easton Ellis.

L’amour tombe sur ses épaules, dans son cœur, dans son ventre, sans prévenir, un cliché de jeune amoureux, elle est belle, d’une beauté glaciale et insolente, une brune dont il fera sa muse, ils discutent, s’entraînent, s’enchaînent, elle réclame sa liberté qu’il lui laisse, puisque madame se réclame polyamoureuse, elle cumule les relations, elle sera la mère de son ainée, qu’elle lui léguera des années plus tard, elle l’aura aimé comme une tornade, une tempête, ils se seront hais aussi parce que l’amour, la fougue se lient avec la violence du rejet, c’est que l’histoire est tumultueuse, l’angélique aussi possède la voix des convictions et des ardeurs, la joie du militantisme, anarchique comme lui, c’est avec elle qu’il a fait ses classes, ses gammes, dehors ou dans les cafés, dans les bars, dans les parcs, à discourir devant un public communiste, les grands ennemis de l’Amérique, communiste comme fasciste, associé aux russe, les indigents, les semeurs de guerre, elle n’a jamais touché à la fumette ni à la coke, Virgil y a veillé, Cerbère surveillant sa santé, c’est qu’il a des comportements de machiste, bien sûr les filles ont le même cerveau que les hommes mais elles sont différentes, plus faibles, elles pleurent, elles s’émerveillent, elle gueulent pour des détails insignifiants, tu me fais chier Héloise, parfois lui crie-t-il parce qu’il a envie d’être regardé d’elle et elle, elle part rejoindre ses crevards d’amants, premier enfant, une fillette, une petite blonde aux grands yeux de biche, il tombe une seconde fois amoureux Virgil, d’un tout petit être humain qui braille comme lui. Du jour au lendemain il quitte Héloïse, emporte avec lui sa gamine, c’est qu’il veut la garder pour lui, ne considère pas capable sa concubine de s’occuper d’un angelot, je te laisse la garde puisque tu le désires tant et qu’on te la confiera, toi qui deviens réputé dans ton métier, qui passe les échelons. On lui propose à trente ans, le poste le plus convoité de l’université, directeur du département de philosophie. Il accepte en haussant les épaules car il sait qu’il se range dans la bourgeoisie toujours honnie, mais pour éduquer, élever un enfant il faut bien gagner de l’argent et mettre l’innocence en dehors des besoins.

T’auras rien, plus d’argent de poche, plus de droit de sortie plus rien ! La voix enfle dans la gorge caverneuse de Virgil appuyé sur le plan de travail, ses yeux d’éclair qui assomment et qui broient la ferveur d’indépendance de la première, la deuxième est assise sagement sur la chaise, penchée sur ses devoirs devant les baies vitrées qui éclairent le loft luxueux hissé au dernier étage d’un immeuble de standing, on lui a conseillé d’acheter, pour l’avenir de ses filles. Je veux voir ma mère, c’est tout ce que j’ai fais. Ta mère était une pute, mais tu deviens comme elle. Et la petite de dix huit ans qui ne dit rien mais regarde, angoissée à l’idée d’une nouvelle dispute, elles se terminent souvent en dent de scie, les cris et les portes qui claquent, le père qui se noie dans la fumée des clopes qu’il fume enfin, se les aligne dès que la première est terminée il en enfourche une seconde, et le vin qui se versera dans un verre, de ses pas raillerait le parquet et gueulera encore un coup qu’elle a beau avoir vingt ans, elle vit sous son toit. C’est de la mauvaise foi, c’est de l’amour, mais de l’amour terrible qu’il exprime et qu’il éprouve pour elles. La maison vit des affres et des moments de bonheur, en dedans, cependant, règne et se mêle l’incompréhension et les non-dits, les partages et la ferveur de ne jamais se quitter, la peur de l’abandon, ou la peur de lâcher ses gamines dans un monde qui ne lui convient pas à lui.