hiver 1996.quatre bougies à peine soufflées, et tout un avenir à inventer. haute comme trois pommes, on savait déjà qui elle était.
un nounours sous chaque bras, gagnants face aux poupées qu'elle avait toujours détesté.
on entendait sa voix résonner entre les murs fins comme du papier à musique, de la vieille bâtisse. ses petites histoires de gamine, ses éclats de rire soudains avaient le pouvoir d'appeler ceux de maman.
tous les soirs. mais pas ce soir.
interpellée, elle a cessé toute activité isis.
s'est prostrée contre la porte entrouverte de sa chambre.
et elle a attendu. et c'est l'oreille qu'elle a tendu.
les mouvements mécaniques, les bruits usuels. pourtant, rien n'avait changé. pas même la casserole de soupe et la flamme de la gazinière qui s'allume. ni le ricochet des assiettes posées sur la table de la cuisine. jusqu'à la porte du frigo qui flanque, une fois les aliments extraits.
mélodie entonnée à chaque dîner, inchangée. et le son quotidien avait cet effet rassurant. parce que c'était évident maintenant, tout était exactement comme avant.
son jeu qu'elle reprend le coeur plus léger. ses gestes qui reviennent le rythmer.
jusqu'à l'odeur nauséabonde. jusqu'à l'odeur qui la fait grimacer.
maman, ça sent mauvais. un murmure à peine audible qu'elle échappe en direction de la cuisine.
c'est rien ma chérie. un reniflement et une main qui essuie des yeux embués.
je... j'ai pas fait attention, le gaz était resté allumé.puis, la fenêtre qu'elle s'en va ouvrir pour se débarrasser de l'excès de fumée, pour libérer leurs pensées.
maman, pourquoi tu pleures ? la fine silhouette qui approche pour y voir de plus près.
j'pleure pas chérie. c'est... c'est le gaz qui m'fait mal aux yeux.elle fait de son mieux pour te préserver maman. elle fait de son mieux pour ne pas t'inquiéter. sauf que t'es pas dupe isis. même si t'es bien trop jeune pour comprendre le fond du problème. même si t'es bien trop jeune pour savoir comment apaiser sa peine.les maux vont se noyer dans un mouchoir alors que les deux prennent place.
installe-toi ma puce, j'vais te servir. les assiettes pleines, chacune mangea dans le silence le plus complet. maman n'était jamais très bavarde. mais ce soir, c'était pire.
cette fois, l'évidence n'était plus. il se passait quelque chose. pour une raison qui lui échappait, elle savait que ça ne tournait pas rond.
et le dîner s'est terminé comme il avait commencé. isis fût éclipsée là-haut, dans l'attente d'un baiser magique. celui qui introduit chaque nuit. sagement, elle a attendu.
cinq minutes, dix minutes, quinze minutes... vingt minutes, vingt-cinq minutes...sa hauteur de gamine qu'elle reprend pour rebrousser chemin. pour faire face à la fenêtre grande ouverte. à maman debout sur le rebord du balcon.
maman, tu viens pas m'faire un bis...demande avortée quand la femme prend son envol. comme si la voix de son enfant n'était jamais parvenu à son oreille.
d'instinct, tu te précipites à la fenêtre isis. inconsciente du danger, tu commences à grimper pour voir où elle était passée. et c'est l'arrivée de papa qui te coupe dans ton élan. in extremis.et c'est là qu'il la vit. baigner dans une mare de sang, en bas de l'immeuble. son visage s'est assombri, les secours ont été appelé.
et tu te rappelles qu'à cet instant, il t'a serré dans ses bras. fort, très fort, jusqu'à t'en étouffer. et tu l'as entendu sangloter.papa, elle est où maman ? innocente interrogation. un silence qui en dit long. début des désillusions.
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printemps 2016.un cas d'école brillamment retourné en sa faveur.
une victoire maîtrisée, suivant l'art des avocats les plus réputés.
sa destinée toute tracée s'étendait à perte de vue devant son propre regard fier.
célébration improvisée avec les collègues du cabinet. parce que c'était la première, parce que c'était le début d'une grande carrière.
ou plutôt, ça aurait dû l'être.
canon sur la tempe.
à l'ombre d'une ruelle mal famée, la solitude retrouvée.
silence de mort entre les différents partis. et elle se retient de broncher isis. autant qu'elle se force à ne pas baisser le regard.
brutalité des gestes, tenue en joug.
succession d'incohérence, des propos enchaînés dont elle peine à saisir le sens premier.
gang, papa, cavale, menace. ils ont beau s'additionner, elle ne sait pas mieux les assimiler.
si tu veux pas qu'on lui fasse sauter le caisson, tu vas gentiment nous suivre. réponse étouffée, inutile. parce que ça tombe sous le sens. parce qu'elle a besoin de comprendre.
t'as gardé la tête haute isis. et t'as suivi, presque de bonne grâce, le chemin amorcé par les types. shootée à l'adrénaline, t'as pas compris dans quoi tu foutais les pieds. si t'avais su, peut-être que t'aurais reculé.erreur de débutante. trop tard pour revenir en arrière.
et on lui a tout expliqué. de l'implication à la participation de papa. son rôle, ses actes. jusqu'à sa trahison.
parce qu'il a merdé. il s'est embourbé en pensant pouvoir se sauver. aujourd'hui, il est seul quelque part sur cette planète. dieu sait où. seul, sans ressources, sans partenaire et à deux doigts d'être vendu par les siens.
t'es son dernier espoir de s'en sortir isis. t'es la dernière carte qu'il n'a jamais joué et qui pourtant aurait pu le sauver à maintes reprises.carte maîtresse d'un jeu pipé d'avance.
c'est bon. rappelle tes chiens, je marche.et c'est comme ça que la flamme de l'allumette a réduit à néant l'avenir brillant qui se profilait. le rideau venait de s'abaisser sur le destin de maître castellano.
parce qu'il était le dernier rempart qui te reliait à la vie. parce qu'il était l'unique personne qui te restait. parce que t'aurais préféré crever que de l'abandonner. parce qu'il était ta plus grande faiblesse, autant que tu étais la sienne.tel père, telle fille.
membre des hellhounds, de père en fille.