Le grincement identifiable du frein à main secoue le silence rompu par les derniers frémissements du moteur. Misha se laisse soudain aller à un affairement assidu, celui de se noyer dans ses pensées, si lourdes qu’elles parviennent à faire courber la nuque contre l’appui-tête L’odeur du cuir tanné de la berline et des parfums poudrés de leurs lupanars de luxe envahit ses narines, fronce son nez puis son front, en prévision d’une migraine fulgurante. Tout contre son crâne la tempête, mêlée à trop de réflexions, de doutes et de craintes ; Misha sent la fatigue tirer dans ses jambes et se déployer jusqu’au bout de ses phalanges comme il se remémore brièvement la semaine dantesque passée auprès du père. Six jours de chasse et de battues, pour lesquels la morale s’encanaillait de plus de vices que de vertus, entrecoupés d’altercations auprès du patriarche. De celles qui remettent tout en question, du fond jusqu’à la forme, et agitant en l’instant ses synapses de tant de réflexions que Misha ne savait plus qu’en penser. Il avait saisi la cruauté du père, bien au-delà de ce qu’il entrevoyait déjà, et la dangerosité de laisser Orphée se baigner dans le marasme de leur toxicité. C’est dingue, comme tout était parti de rien. Si tu pouvais m’accompagner, aller voir ma mère, et me voir douter. Que j’t’invite chez moi, et pas juste le temps d’un thé à la menthe, mais que je t’ouvre mon lit pour qu’on s’y réchauffe. C’était parti de rien, s’emploie-t-il à penser, mais ça avait abouti sur tout. Et pas que sur des bonnes choses. « это бесит. » Fait chier, qu’il susurre entre les dents comme il consent enfin à ouvrir la porte de la berline et déployer un pied au dehors. Prendre une belle bouffée d’air frais et lorgner sur cette maison qui l’a vu grandir, muer, prendre de la force, de la vigueur, de la brutalité avec acharnement. Comme il la toise de son oeil d’un noir brutal et mauvais, soudain, comme il la honnit. Et comme il s’en veut, de ne pas avoir prédit le cynisme de leur histoire aux tournants fatidiques.
Il a passé le seuil d’un pas leste et déterminé pourtant, dissimulant à peine l’agitation lovée dans son regard. Ce flottement dans la pupille lui donnait l’air ahuri ou fatigué, corroboré par une mine blême typique des lendemains de gueule de bois. La joie des clébards l’accueillant par des aboiements tonitruants lui arrachent un mince sourire, factice, cela va sans dire. Ces palabres en bord de lippes, brodées dans son mutisme actuel, lui déchirent le coeur et la conscience. Cet instant d’égarement, Aleks, s'avançant dans l'entrée, le remarque ; « Ca va aller, Misha ? » La question l’interroge, autant lui que Orphée. C’est qu’il l’interpelle de cette manière, en filigrane et entre les lignes ; t’es sûr que ça va, j’veux dire, tu vas pas déconner hein, pas avec Orphée quand même ? Lorsque la concernée arrive alors, la pupille d’Aleks a la rondeur moite et désolée de l’après ; Misha pourtant lui ouvre les bras, bienheureux de la sentir contre lui. Un baiser sur le front, et voilà qu’il s’excuse ; « J’ai besoin d’une douche, attends-moi dans l’salon. » Se décrasser des vices, du stupre sale, de la turpitude, et faire couler l’eau comme le rituel de purification défectueuse. Misha endosse ses vêtements propres, soulagé par l’odeur idoine, parfaite, seyante, de lessive et non plus de chancre.
Lorsqu’il la retrouve dans le salon, sublimée par la beauté naïve des retrouvailles, Misha sent sa gorge se serrer. Pour lui, pour elle, les deux peut-être. L’homme prend place dans le canapé et la toise de son regard tendre ; c’que tu m’as manqué, j’te jure, c'est viscéral, qu’il pense sans le confier. Parce que l’heure est propice à d’autres confessions, bien plus ardues. « En fait, faudrait que j’te parle. » Mais ça va aller, lui confie son sourire désolé, un peu gauche bien qu’attendri. Misha hésite, tente de cracher ses palabres s’agrippant au gosier, indolentes et lâches. Puis se reprend, s’assure que la difficulté est de la laisser partir. « Ca m’a donné à réfléchir, cette semaine loin de toi et... » Misha bute, embrasse la pièce d’un regard de dégoût, réplique encore : « Je pense vraiment qu’il faut que tu vives ta vie. Loin d’cette baraque malsaine. Tout est toxique ici, rien n’est vrai. J’veux pas qu’tu restes ici, près de Grisha, à subir ses sessions de psy. T’as pas besoin de tout ça, de cette sale ambiance, des hommes qui défilent sans cesse. T’as besoin de vivre. De vivre la vraie vie, j’veux dire. » Ce que ça lui coûte de la pousser à l’abri, loin des tares phalliques, des vices et des menaces. Et ça se sent, à la manière qu’il a de la regarder, que l’entreprise lui coûte et le déchire. « J’t’avais dit. Que je finissais toujours par tout foutre en l’air. » Et justifier sa soudaine réflexion par son besoin de se défaire d’elle, sans jamais évoquer le véritable fondement de son élan vindicatif ; l’éloigner de ce monde, et la mettre à l’abri.
Moya Palk Celestial (avatar), Ethereal (icons) Messaline, Grisha, Virgil, Céleste, Eleusis 720 965 22 Elle vogue, libre et sereine. Dans le coeur, elle a tissé le garçon aux cheveux de lin et aux orbes protectrices. Elle reprend les cours de fac, reconversion, elle bifurque et rejoint les livres de contes et d'histoire.
Il était parti laissant derrière lui une semaine d’absence et de vide, rempli par les livres et les recherches de stage, la spontanéité de l’élan pour une futur carrière, Orphée, allongée sur son lit, celui de Misha, avait souhaité retrouver la stimulation du cerveau, ces petites choses apprises lors de sa première année d’étude en psychologie. De cette semaine, elle avait aspiré les futurs afin d’en construire un brin d’espoir représenté sous la forme d’un concours auquel l’on pouvait s’inscrire, sans diplôme, le texte prévenait cependant que les plus talentueux pourraient prétendre aux places disponibles. Si la police n’arrive pas à arrêter le meurtrier de ma famille, alors je le ferai moi même. Pensée d’enfant confronté au fer sanglant de l’impuissance, elle s’était inscrite sur un coup de tête, avait envoyé son dossier. Et dans l’attente, Orphée pensait, à son odeur, à sa peau, à sa voix, à Misha. Chaque jour, imprégnée de son image, baignée d’amour, elle enfilait ses chemises. Chaque jour, cependant, ses pensées s’envolaient loin de lui. Chaque jour, elle tenait dans sa paume l’ancienne clé de cette maison inhabitée, hantée par les images des morts et le désir brûlant de retrouver ses mémoires, celles d’antan. Je suis prête peut-être, à quitter un nid que je n’ai pas choisi, Grisha n’étant jamais là, étant majeur, je pourrai traverser les portes de mon ancienne demeure, retourner à Césarée. Mais Misha alors ?
La porte s’est arquée sur sa stature puissante, douteuse, elle a senti ses muscles contractés par la contrariété d’une annonce, puis l’hésitation en bord de lippe, l’affection aussi, elle a senti ses lèvres contre sa peau comme une promesse lointaine faite depuis quelques mois, rigide est-il quand il lui demande de l’attendre dans le salon, quand il s’en va dans la douche, loin d’elle. Orphée sait, et cela suffit. Ce caractère du corps distant par rapport aux souhaits funèbres, ce désir de la rupture, elle sait. Lorsqu’il lui avait confié qu’il détruirait ses transports d’amoureuse, elle avait défendu corps et âme sa passion pour lui, et, le soir, avait pleuré sur la fatalité d’un futur, celui de la chute. Parce que tu n’as jamais eu de bonnes images des femmes Misha et qu’il est temps que je parte, pour toi. Partir ne semblait pas synonyme de tristesse, bien sûr, le ventre se nouait, des serpents s’insinuaient, elle l’aimait. Intensément, douloureusement, naïvement. Elle l’aimait. Elle a attendu assise sur le tabouret du piano, a touché quelques notes avant qu’il ne revienne, avant qu’il ne s’installe. Il lui a sourit comme l’on sourirait à la faucheuse ou à un cadavre. Je serai toujours là pour veiller sur toi Misha. Et tout se passera bien.
Elle l’écoute, rivant son regard sur la beauté de son visage, elle paraît songeuse, distraite, l’illusion du détachement pour ne pas augmenter l’effroi, elle sait mais cela n’empêche pas la vague d’émotion lorsqu’il aborde ce sujet redouté du départ. Je te quitte Orphée car je ne peux faire autrement. Ce qu’il lui énonce, Orphée ne s’en vexe pas, elle s’approche de lui, s’empare de sa paume, ce qu’elle est fragile dans son tremblement et sa moiteur ! Elle l’embrasse, sur le front, un parallèle de tendresse pour tous ces détails qu’elle a perçu, qu’elle a recueilli dans son coeur afin de s’en faire un royaume. « Je ne t’en veux pas. De ce que tu essaies de faire. De me protéger, de prendre soin de moi. On se quitte parce qu’on tient à l’autre. Et, je crois, que c’est le plus bel acte d’amour. » Elle se retourne, essuie une larme, l’enfant toujours se réveille par les sanglots, de joie, de tristesse, de colère, les larmes montent et glissent sur les joues froides de la gamine. Elle comprend. Cela ne retient pas l’écho de souffrance de ces moments gâchés certainement. Ces bonheurs de le voir rentrer le soir, de le serrer dans ses bras, de se confier à lui… Enfin de ne pas éprouver ce poignard nommé Solitude qui déchire maintenant le myocarde, qui pénètre le sang. C’est qu’elle sourit, pourtant, son visage illuminé par la joie mi factice, mi-réelle. Elle pensera à lui chaque soir, loin de lui. On appelle ça la vie. « Je ne suis pas très bavarde je suis désolée. » J’ai besoin de digérer ce choc, la perte, encore une fois, mais ne t’en fais pas pour moi, j’ai de la ressource pour te laisser libre. « Tu me laisses le temps, disons vingt minutes, pour que je puisse faire ma valise ? J’aimerai bien que tu m’accompagne chez moi. » Dit-elle, confuse mais déterminée. Les pas redescendent, le bruit d’une valise que l’on tire à soi, lourde des décombres, de l’affection que l’on porte aux objets. « Je t’ai pris une chemise, t’en as tellement que je me suis permise ! Pour te garder près de moi la nuit. » Devant la porte, elle s’autorise ses doigts sur une caresse, effleure ses joues, sa barbe. Je t’aime Misha, ça ne changera jamais et cela me réjouit.
Sujet: Re: Kiss me goodbye (ft. Orphée) Ven 12 Fév - 10:54
kiss me goodbye
Orphée & Misha
« Even for me life had its gleams of sunshine. »
« Je ne t’en veux pas. »Et moi je crève, entends-tu, je crève à l’idée de te laisser partir. J’ai la bouche flétrie de te mentir encore et d’avancer ma couardise, celle de ne pas savoir tisser les fils d’une relation belle, indélébile, intarissable. Alors qu’il n’en est rien et que ma seule motivation, au-delà de l’égoïsme qu’elle présage trompeusement, est de te préserver des vices de mon monde, des menaces que tu n’entends pas, des violences que tu subis alors mais que je honnis pour toi. Y a pas de fatalité lorsque le soleil plante son dard cuisant au-dessus de nos têtes, mais t’as pas idée du marasme dans lequel tu t’enfonces. A user ta jeunesse et ta beauté dans ces tourbières, tu ne brodes que le suaire des afflictions. Ce que j’aimerais te dire, au-delà de mes lèvres tues, par-delà le mutisme étreignant ma gorge et mouillant ma pupille, c’est de combien ma vie demeurera vide sans toi. Et combien d’hivers, combien de rires, combien de baisers, lassés par les échos fantômes, se seront perdus, envolés sous nos souvenirs et sous nos regrets peut-être.« Je ne suis pas très bavarde je suis désolée. » Misha redresse sur elle la pupille, encore trouble et évasive, luttant contre les maux sentimentaux il scelle alors ses lèvres blêmes. Puisque la gorge s'approprie ses palabres raréfiés à trop s'entasser sur elles, cet étau forcené lui serrant le cou, et le coeur, et les poumons, et l'esprit. Ainsi acquiesce-t-il de concert ; moi non plus. Mais toi t'as le courage féminin de te distinguer encore, par ta noblesse de coeur et ta bonté d'esprit.
Et c’est alors que, pareillement à la franchise sans ambages de Misha, Orphée se livre à sa requête. La tristesse au coin des lèvres qui sembleraient heureuses, elle lui parle d’un départ précipité, de valises et d’un chez elle. Engourdi par leurs sentences, Misha lève péniblement ses yeux sur elle, déjà levée et prompte à rejoindre sa chambre. Le dos gracile et blanc à la merci de ses pupilles agitées s’éloigne lorsqu’enfin, mais trop tard, il lui confie alors : « Orphée, tu n’as pas à partir cette nuit. » Sa demande fait retentir le silence, et c’est d’un soupir qu’il s’engonce dans le canapé, las de leur sinistre. Il a courbé la nuque contre l’appui-tête, a pincé l’arête de son nez comme il convient de le faire lorsque les pensées deviennent trop invasives, et a songé aux menaces du père afin de se conforter dans cette décision. Mais c’est péniblement, le coeur lourd, la pupille humide et la gorge sèche, que Misha a approuvé insidieusement son dessein.
Lorsque Orphée est revenue, chargée de sa valise dans laquelle elle entassa son coeur et ses souvenirs, Misha l’a rejointe à la porte. Il a apprécié le geste, cette caresse à sa joue, s'est délecté de chaque frisson, de chaque battement, et a serré fort la mâchoire. Puisqu’un homme ne pleure pas, c’est le corps qui se crispe. Et lorsqu’elle parle, il écoute, mutique, passionné, affamé de sa voix qui, il l'espère, ne s’évaporera pas dans leurs souvenirs. Et comme il aimerait lui répondre de cette même aménité qu’elle a, à lui parler dignement malgré les poumons contrits, malgré ce coeur qui bat, cyclique comme un tambour, et qui s’écharde à chacune de ses palabres. Ainsi opine-t-il du chef, un bref rictus en coin de lippe lui suggérant qu’elle, pouvait tout se permettre. Mais finalement las de l’abandonner ainsi, la laissant se débattre dans son mutisme, Misha, enfin, finit par parler ; « T’es sûre de vouloir revenir chez toi ? J’avais plutôt pensé t’aider à trouver un appartement dans lequel tu te sens bien. » Et dans lequel tu t’épanouiras, vive et solaire. Je t’imagine tant reprendre tes études, te savoir entourée, fraîche et spontanée, tu f’rais sourire l’azur du ciel. Moi, j’te vois bien finir ta vie avec un type bien, propre et poli mais pas trop. Il ne faudrait pas que tu te lasses ni même que tu t’ennuies. « Orphée... » Misha ne peut se résoudre à demeurer dans le pragmatisme fantoche. « Je veux que tu saches que j’aurais aimé te rencontrer dans une autre vie. Tout aurait été plus simple. » C’est cryptique qu’il se livre et pourtant, la flamme des regrets sincères flamboie dans l’âtre de ses pupilles.
Moya Palk Celestial (avatar), Ethereal (icons) Messaline, Grisha, Virgil, Céleste, Eleusis 720 965 22 Elle vogue, libre et sereine. Dans le coeur, elle a tissé le garçon aux cheveux de lin et aux orbes protectrices. Elle reprend les cours de fac, reconversion, elle bifurque et rejoint les livres de contes et d'histoire.
Elle porte sa valise à bout de souffle, réfrénant les larmes qui la tue et la taise, Orphée se perd dans la contemplation des briques et des maisons alentour, celle de Grisha se distingue par des formes plus dures, plus caractérielles, des briques rouges, sanglantes, abreuve le paysage d’émeraude et de glace. Il fait bien froid dans son coeur et son âme, l’hiver recouvre le bonheur, l’emporte vers l’anéantissement de la chute qu’elle ne méditait pas. Orphée ne pleure pas, paradoxalement, non par fierté, juste par amour. Elle ne voudrait pas inquiéter son prince démuni par cette rupture. Ce qu’il arbore inconsciemment, son corps tendu, rigide, elle le préfère souple et heureux. « J’ai envie de rentrer chez moi Misha, parce que c’est ma maison, celle où j’ai vécu toute mon enfance. C’est une sorte d’appel, comme si je ne pouvais pas me résoudre à la quitter. » Comme je ne me résoudrai pas à te délaisser, je prendrais mes distances pour te laisser respirer, pour te laisser vivre mais j’apparaîtrais à tes souvenirs, je le sais, je ne pourrai m’en empêcher. Tu as allumé la lumière dans ma nuit, ce phare que je ne retrouvais plus, noyée dans l’abysse de cette vision d’horreur, tu as effacé mes troubles pour tisser des bonheurs, ces petits moments éphémères que je garde dans ma boite des douceurs. Te laisser me rassure car il est temps, pour toi, de soigner tes périples. « Tu sais Misha, c’est pas une fin, ce qui nous arrive. C’est peut-être même un début d’autre chose. Tu m’as éclairé de toute ta force, de tout ton amour, tu m’as permis de me soigner, de ne plus angoisser, de me dire que je pouvais encore faire quelque chose de ma vie. Et je vais te faire honneur. » Dit-elle, fraîche et spontanée, entourée de ce paysage de brume et d’aube.
Les nuages mangent les quelques rayons encore survivant, les branches gémissent le vent de Février, c’est triste sur terre, dans le ciel. Elle évite le regard de son ancien amant, il ne faudrait pas qu’elle l’apitoie, qu’il se sente acculé par sa décision. Leur décision. Orphée réalise que la colère ne naît pas dans son coeur, le ressentiment semble une image d’Épinal sans consistance, elle ne ressent rien que l’abattement de la séparation. Elle ne pourra plus le voir le soir, quand il rentrait de son boulot, elle ne pourra plus le serrer dans ses bras, sentir son parfum, écouter sa voix, admirer sa beauté, toucher sa peau, s’enivrer de lui. Devant lui, elle sourit. Se permet le bisou esquimau, son nez sur le sien avant de disparaître dans la voiture. Il s’installe à son tour. Le moteur ronronne, seul le silence de l’après envahi l’habitacle. Sur les routes de la grande pomme Orphée guide son conducteur, l’emmène vers les quartiers lointain où les pelouses disparaissent au profit des grands chênes ; elle entend déjà le bruissement des feuilles. Ils se garent et l’enfant contemple la baie vitrée, le jardin qu’elle n’a plus revu depuis des mois, elle contemple les glaïeuls, les acacias, toutes ces plantes qu’elle a aimé, qu’elle a choyé. Ils n’ont pas dépéri de son absence. « C’est chez moi. Et je voulais te montrer la maison où j’ai habitée. » Elle récupère sa valise, ouvre la porte, pénètre dans la cuisine ouverte, le grand salon où le piano rutile. Elle se souvient des jours heureux près de son frère, à le taquiner des notes qu’elle créait, mal. Elle dépose sa valise, rejoint le seuil des départs. « Tu viendras me voir j’en suis sûre ! Il fallait donc que tu connaisses mon adresse. » Elle arbore une moue espiègle afin de taire le contraire, ce coeur qui bat, qui pulse, qui arrache la sérénité. Un coeur lourd à porter.
Sujet: Re: Kiss me goodbye (ft. Orphée) Lun 22 Fév - 11:26
kiss me goodbye
Orphée & Misha
« Even for me life had its gleams of sunshine. »
Comme la parole se terre lorsque le bonheur dort, et comme ils s’emploient à appliquer le baume de leurs sentiments sur des remords glacés. D’abord ce vacarme étrange emplissant leurs bouches de silences et leurs paumes de caresses, puis la résignation lorsque Misha consent à siffler le vieil ami d’Orphée. Mercure accourt, s’engouffre dans la berline tandis que l’homme à l’estomac scindé tasse la valise dans la gueule béante d’un coffre vide, aussi vide peut-il être que leurs myocardes égarés. Et ce n’est pas une fin, a-t-elle confié, d’un sourire des baies relevant son teint lilial. Misha le ressasse lorsqu’il s’affaire à charger la voiture de leurs souvenirs, le coeur lourd de peines et de rancoeurs lorsqu’autrefois il s’égayait entre ses reins. C’est d’un soupir qu’il cloisonne ainsi ses pensées puis s’engage derrière l’habitacle, sans un mot, sans un bruit, sans un souffle. Le grincement de cuir tanné a avalé leurs échos lorsque le moteur ronronne et que la symphonie millimétrée des clignotants s'affaire à guider leurs chemins sous les directives d'Orphée. Toujours ce mutisme brodant les lèvres, cette mâchoire qui se crispe, la furieuse envie de perforer sa gorge d'autant de cris désespérés pour la retenir alors. Misha pourtant, farde son glabre faciès d’une placidité exemplaire lorsqu’il se remet aux menaces du père ; il ne la laissera pas en prise de ses instincts ni de ses vices, pas plus qu’il ne la noiera dans les marasmes de sa propre vie.
« C’est ici ? » La pupille se lève sur des hauts lierres étouffant une bâtisse ceinturée de glaïeuls, quand le moteur s’est tu face à l’accalmie des lieux. Fragrances, odeurs safranées des gynécées, chants des oiseaux, pépiement des arbres ; maison et jardin respirent, hantés par les fantômes du passé. Et comme elle s’engouffre vers la bâtisse, Misha se souvient. Des livres qu’elle emportait avec elle lorsque, se lovant contre lui sur le canapé de brocard, elle lui lisait ce qui l’enchantait alors ; “Si tu t'en vas, je peux mourir. Crois-moi, il se peut que je cesse d'exister à cause de ton absence, puisque je t'aime. Il n'y a pas de plus grand désastre que celui que tu causes, rien qu'en détournant de moi tes pas*.” C’que c’est beau, avait-il confié au terme de la lecture. C’est l’Entrave, qu’elle répliquait. Et l’entrave, c’est l’amour, paraît-il. Misha, jusqu’alors, ne l’avait pas bien saisi.
Lorsqu’il la rejoint au sein de la bâtisse, demeurant sagement auprès des encadrements de porte, il ne peut ainsi s’empêcher de glisser plein de fausse assurance fardant l’inquiétude : « C’que c’est grand, pour une si p’tite demoiselle. » Avalée par la grandeur du monde, il craint qu’elle ne s’écorche les genoux. « Tu viendras me voir j’en suis sûre ! Il fallait donc que tu connaisses mon adresse. » Le sourire qu’elle déploie trouve le reflet sur les lippes de l’ancien amant. Et de faire l’effort que rien n’est grave, que tout continue encore. « Ouais, promis. Faut pas hésiter si t’as b’soin. Même pour un sunday chocolat. D’ailleurs... » Il ne devrait pas, se dit-il. Alors qu’il dégaine son téléphone et y pianote un numéro ; envoyé par texto, ce délire cryptique trouve pourtant réponse dans sa réplique : « Ca, c’est mon numéro d’urgence. Tu sais, mon autre portable. » Celui dont je me sers pour tanner les chairs, torturer les âmes, encenser les priapées. Celui-là même, qui fut la source de nos premiers échanges.
Moya Palk Celestial (avatar), Ethereal (icons) Messaline, Grisha, Virgil, Céleste, Eleusis 720 965 22 Elle vogue, libre et sereine. Dans le coeur, elle a tissé le garçon aux cheveux de lin et aux orbes protectrices. Elle reprend les cours de fac, reconversion, elle bifurque et rejoint les livres de contes et d'histoire.
On appelle amour ce sentiment qui éreinte le coeur, il prend en étau la raison, l’avale, parfois le dilapide, on appelle amour cette capacité à s’oublier pour l’autre, se sacrifier pour l’autre, un double ou un opposé, un reflet dans le miroir de l’oeil du céladon, un morceau d’âme s’accrochant à l’élu. On ne le choisit pas, on parle beaucoup de destinée pour comprendre l’inexplicable, l’intelligible chose qui s’ancre et se colle sur le myocarde. Orphée a les larmes sur les paupières, à force de les retenir elles finissent déjà par couleur sur le menton, de chuter sur le sol de la maison dont il faudra reluire le parquet, purger les ténèbres. Elle essuie la pluie de sa tristesse d’un revers de sa main tremblante, devant le garçon aimé, mainte fois choyé, admiré. Il a ouvert en elle la lumière, a peint sur elle des étincelles, a soigné la détresse, a permis à l’enfant d’éprouver le bonheur des étreintes, l’attente, le manque, les retrouvailles. Dans ses bras elle s’est sentie en sécurité, quand elle lui parlait elle s’est sentie pleine, pleine des échos de joie, pleine d’elle-même. Près de lui, elle a pu rire sans penser à l’avant, sans penser aux parents, sans penser au frère, sans penser aux moqueries, au harcèlement de la fac. En lui elle s’est sentie vivre, elle a senti le monde qui l’entourait. En lui, elle a aperçu le paradis. Misha était son tout, une thérapie aussi. Misha était un prince, dont elle adulait le réconfort. Son âme, elle la comprenait. De cette déchirure, de cette séparation, Orphée sait qu’elle prend une bonne décision. Il te faut une paix, loin du bruit des femmes, pour apaiser tes tourments, pour comprendre, qu’enfin, Misha, tu peux être aimé par l’une d’elle. T’abandonner dans ses bras sans risquer le déclin, sans avoir peur, sans anticiper sur l’abandon éventuel. J’aurai aimé être celle-ci, celle qui te bercerait et te chanterait l’amour, celle qui t’embrasserait chaque soir et chaque matin, celle qui te ferait du bien, en qui tu trouverais l’absolu de la félicité. Mais je ne le serai pas et ce n’est pas grave, Misha, car te voir épanoui semble bien ma seule volonté. Tu sais, j’ai besoin, moi-même, de me ressourcer dans ce tombeau que je n’ai pas apprivoisé, je suis préparée, à vivre éloignée.
Orphée ne le regarde pas, n’enracine pas sa pupille dans celle de l’amant. Elle ne se désire pas forte, lucide quant à sa capacité à jouer une mascarade. On se quitte sans dispute, sans reproche, sans violence, enfin, la violence des mots que l’on ne pardonne pas. Tu ne m’as pas blessé, tu m’as protégé en m’ordonnant de quitter la maison du cruel Orlov, le père, celui qui m’effrayait. « C’est la maison dans laquelle j’ai grandi, je crois que je ne pourrai pas m’en séparer. » L’habitat, le repère, et, dans ce repère, l’alcôve de tranquillité, des mémoires, une chambre au premier étage, au dessus des grandes baies vitrées. Les rideaux ont été tirés comme pour signifier la tragédie, heureusement, sur la porte il n’y a pas trace des insultes proférées par quelques personnes ayant lu les journaux, ces gens qui la pointait du doigt, l’accusant du pire. Pour l’instant Orphée ne pense qu’à lui, à Misha. Enfin elle lève son regard, sur lui le plante, se repaît pour la dernière fois de son visage, de ses iris, de cette expression du corps tendu, de ce visage fermé. Parce que Misha est triste, terriblement. « Misha…. » Ce n’est pas un adieu. Aimerait-elle lui dire, mais cela elle l’a déjà exclamé, si elle le répète il pensera certainement que ce n’est qu’un mensonge rassérénant pour apaiser les douleurs de la perte. Elle se tait, cherche les mots justes mais rien ne vient, le silence hurlant la détresse, elle bourgeonne des émotions qui excite son envie de sangloter, elle les sent, ces hurlements du choc. Son portable vibre, le numéro des secrets se dévoile à son regard, elle l’enregistre. Ainsi, l’heure de l’au-revoir sonne ses exigences. « Je viendrais t’embêter, t’es pas prêt. » Le taquine-t-elle, son sourire noyé sous l’ombre de la mélancolie, de la crise à venir.
Du haut de sa chambre, enroulée dans sa couette, Mercure sur ses genoux, l’enfant est devenue spectre. Elle a vu la voiture disparaître et, avec elle, les trésors d’un Eden effacé.
Sujet: Re: Kiss me goodbye (ft. Orphée) Mer 24 Fév - 10:28
kiss me goodbye
Orphée & Misha
« Even for me life had its gleams of sunshine. »
Lorsqu’il la toise au travers de cette immensité, avalée par les abîmes sacrées de la bâtisse, Misha craint pour son veuvage. Celui de se défaire de la compagnie d’autrui, de s’arracher aux tumultes de la maison Orlov, la maison sans repos. Lui n’a jamais ressenti les affres de la solitude, du moins pas physiquement, dans l’espace, en tant qu’être charnel. Depuis toujours et en dépit de l'abandon de la génitrice, Misha s'est senti aux prises d'une masse informe, cette cohue sociale poisseuse et saturée. Il se souvient de la moiteur des foyers dans lesquels s’entassaient enfants et pubères, leurs cris, leurs grognements, leur ténacité à exister par le prisme des mouvements déployés par leurs corps frêles, de leurs phonèmes agressifs et sourds sillonnant leurs gorges. Je t’emmerde donc j’existe. Puis il se souvient les familles d’accueil, ces parents fantoches pantomimes de vies rêvées, lui reprochant ses notes, ses sorties, ses mauvaises fréquentations, ses sales manières, son inappétence pour le sport à l’époque - ‘si tu deviens joueur de l’équipe de ton école, alors tu seras grand sportif et les universités s’ouvriront à toi’ - voire pour le mannequinat - ‘ne veux-tu pas rejoindre ce monsieur ? il nous a laissé sa carte’. Puis il se souvient de Grisha, cette figure taillée dans le marbre des victoires, cette cérébralité suintant par tous les pores de sa peau. Puis la maison rutilante, les invasions continues des hommes, les bordels saturés, les ventres chauds et chargés des femmes envahies, les invectives, les canons tonitruants.
Elle, demeure seule.
Pour son bien, s’entend-il penser malgré l’ombre de l’inquiétude striant ses yeux bruns. D’une main caressant la paume humide et séchant la dernière larme, sous les geignements d’un coeur muselé, il confie d’un sourire factice perlant au bout des lèvres : « J’suis prêt. » D’un mouvement il se penche, apose sur le front blanc la délicatesse d’un dernier baiser. Puis, lippes pincées par l’intention douloureuse de s’en défaire, Misha amorce quelques pas en arrière. « Et j’suis sûr que tout va bien se passer. Tu te plairas dans ta nouvelle vie, tu vas voir. Juste... » Haussement d’épaules fardé d’audace formelle. « Pense à mettre un peu d’musique, si tu te sens seule là-dedans. » La rétine embrasse l’infini bâtisse et tombe, comme un jet de poussière, sur la frêle silhouette se découpant parmi les ombres d’Orphée. Mercure a la joie relative, une nervosité tue, mais se tient fidèlement aux pieds de sa maîtresse. En l’instant, Misha consent que peut-être aurait-il dû lui offrir un molosse plus imposant aux crocs dissuasifs. « Et toi, monte la garde. » Il dénonce le clébard d’un doigt inquisiteur, prompt, il l’espère, à arracher un dernier sourire à Orphée.
Mais lorsqu’il s’engouffre dans sa voiture, le coeur lourd de cette injustice, en lui s’opèrent les réflexions de l’après. De cette complicité arrachée, cette résilience forcée, cette destinée d’héritier et dont le non-sens fracasse soudainement sa lucidité. Suis-je condamné à tourmenter les chairs par vénalité et noyer, à l’instar de mon père, ma solitude au fond d’une bouteille de vodka ? Sous les soupirs et les pensées, la berline ronronne. Fidèle coursière de ses états d’âme, elle la mènera dans son antre de verre et de ferraille surplombant Manhattan. Loin du père et des vices, et des compagnonnages immoraux et des devoirs harassants.