ella baila sola

01. ceux qui l'ont vue grandir, ceux qui ont connu ses excès, ne cessent de répéter que c'est pas possible, qu'elle est restée perchée, un petit cachet de trop, le crâne plein de fumée. certains en rient, d'autres le sifflent entre leurs dents trop blanches, assassins, mais quelle conne, cette fille, c'est dingue comme elle comprend jamais rien, à côté de la plaque en permanence, tantôt légère puis si grave, les larmes au bord des yeux quand elle serre ta main dans la sienne, bouffée par la vodka, rongée par le vide mais intimement persuadée d'être quelqu'un, d'être importante, de compter, vraiment, d'être immense et de pouvoir avaler le monde. c'est terrible comme elle est aveuglée par sa propre vacuité, sara, terrible et si tendre, si doux, si naïf. 02. rincée, chaque mois, par la pension délirante que lui verse ses parents, sara n'a jamais manqué de rien. si son père est souvent épuisé par ses frasques, sa mère trouve leur fille follement rafraichissante dans un monde terriblement gris. grâce à eux, sara s'achète des amis, des abonnés, des producteurs qui font semblant de croire à son talent, des plantes qu'elle oublie d'arroser, et des bouteilles de champagne qu'elle ne boit jamais. 03. sara chante. ni bien, ni mal. elle chante. faux, parfois. trop fort, souvent. ses paroles n'ont aucun sens, le rythme seul compte. faut bouger les fesses, faut donner envie. petit pion dans un jeu trop grand pour elle, sara pense tout de même mener la danse. elle sera vite oubliée pour une gamine plus jeune en body à paillettes, elle sera vite remplacée, incapable de rebondir, trop peu talentueuse pour se réinventer, trop bornée pour accepter. 04. c'est peut-être le vide, c'est peut-être le froid, c'est peut-être la peur. mademoiselle voudrait que le monde entier l'aime, mademoiselle est certaine que le monde entier finira par tomber amoureux d'elle. elle met des couleurs sur ses yeux, de la dentelle sur sa peau blanche. elle ondule, elle se contorsionne, elle ne rentre dans aucune case. elle fait livrer des fleurs à sa mère, de la coke à ses potes, des photos d'elle à ses amants. elle essaie. mégalomane et narcissique. elle embrasse les inconnus sur la bouche, danse sur les tables, fusille d'un regard boudeur quiconque refuse de céder à ses avances. reine du monde dans ses rêves seulement, sara y croit, naïve sur des talons trop hauts pour elle. 05. cédant aux supplications d'une ava bien trop persuasive, mademoiselle vient à peine de poser ses valises à new-york et son corps entre les mains de la belle brune. ava, l'amie, l'inconnue, la douce, la terrible. ava avec qui elle a grandi, ava la complice de ses folies, ava pour briser la solitude, ava pour écraser le monde de quelques mots bien placés. ava près de qui sara s'efface, parfois, un instant, pour mieux briller ensuite, pour brûler plus fort. sara ne sait pas trop ce qu'elle vient faire ici, elle suit le flot, déçue par son anonymat soudain mais comptant bien s'y faire une place, tant bien que mal. 06. mais regarde la. regarde la vraiment. plonge tes yeux dans le vide de ses yeux. creuse, épie ses sourires, apprends ses mimiques. observe ses rares instants de solitude, gomme les cernes sous son regard. un instant. croque ses joues rosées, caresse sa peau rougie, démêle ses cheveux trop blonds. regarde la. approche tes doigts de ses colères, fais tomber le masque. laisse la danser, nue, pour toi. rien que pour toi. tu pourrais faire taire ses peurs d'un mot, d'un geste. elle te suivrait jusqu'au bout du monde. regarde comme elle est belle, sara, regarde comme elle brûle à l'intérieur, regarde comme elle rêve, d'une vie trop grande pour elle, de douceur et de soleil. laisse-lui de la place, prête lui ta main, écoute la jouir contre ton oreille, dans un râle, succombe à ses vagues, plonge avec elle quand elle se noie.
sois patient.e,
cours,
vole,
tombe,
avec elle.
tu verras, comme elle est belle, sara, sous ses airs de poupée fade, comme le monde qu'elle cache à l'intérieur est riche.