MARYIA IVANENKO

01. Kiev. Elle est le quatrième enfant d'Igor et Anja. Après elle, ils décideront d'arrêter de se procréer et d'agrandir la fratrie. Maryia a toujours eu le sentiment que sa vie allait se terminer comme Hansel et Graetel. On allait les abandonner, les laisser se faire bouffer tout cru. Cela aurait été peut-être plus intelligent, plus prudent et sans doute plus humain. Maryia se souvient des mains rugueuses de son père et de son haleine alcoolisée quand il venait lui dire bonne nuit. Elle se souvient de l'odeur de la soupe traditionnelle faite de beaucoup d'eau et de quelques légumes. Elle se souvient des pieds glacés de son petit frère se plaquant sur ses tibias quand il venait se lover dans son lit. Une vie modeste. Une vie merdique. Mais putain qu'est-ce qu'elle lui ferait du bien cette vie aujourd'hui ! 02. Elle quitte l'Ukraine avec la poitrine bombée. A elle la grande vie. A elle New York. A elle les Etats-Unis. Elle roucoule dans les couloirs de leur immeuble. Elle joue avec ses longs cheveux tout en parlant un anglais accablé par un accent ukrainien à couper au couteau. Elle rit. A elle, la grande vie. Si elle a le cœur et l'esprit plein de rêves avant son départ, elle comprend rapidement que les choses ne vont pas se passer comme prévues. Elle comprend rapidement parce que Maryia n'est pas débile. Observatrice, elle remarque les autres. Elle n'est pas unique, comme il lui avait dit. Elle est une parmi tant d'autres. Sa main se glisse dans celle de sa voisine quand elles se retrouvent devant ces hommes. Le sol se dérobe sous ses pieds quand elle les entend parler. Des russes. A leurs sourires carnassiers, elle doute. Et quand ils saisissent sa voisine par le bras, elle comprend. Ses poings se crispent. Son cœur cesse de battre. Ses yeux se ferment. Elle déglutit et prie un dieu auquel elle ne croyait plus.  03.Glycine. Elle pleure, elle pleure beaucoup jusqu'à ne plus rien avoir à pleurer. Une  russe présente aux Glycine depuis – trop – longtemps la prend par les cheveux pour plonger son regard dans le sien : « C'n'est qu'un trou, Rosalia. Il y rien de précieux là-dedans … Laisse-les penser que c'est précieux et arrête de chialer … tu veux finir comme les autres ? » Elle acquiesce et se jure de ne plus jamais verser une larme. Rosalia. Au revoir Maryia. Ici, elle est une autre. Ici, elle n'est plus qu'un rien. Une âme errante. Rien de plus. Alors, elle regagne sa chambre, se couvre les lèvres d'une rouge brutal tant il est rouge. Un regard dans le miroir. Elle se déteste. Elle se déteste mais qu'est-ce qu'elle est belle.  04. Ils viennent et disparaissent. Un va et vient. Sans mauvais jeu de mots. Il y a ceux qui sont perdus. Il y a ceux qui ne savent pas et ceux qui savent ce qu'ils veulent. Il y a ceux qui sont doux et ceux qui le sont moins. Il y a ceux qui parlent, et ceux qui ne disent  pas un mot. Il y a ceux qui reviennent, qui se lovent contre sa nuque, qui lui jurent de l'aimer. Elle et rien qu'elle. Il y a ceux qui la maudissent et ceux qui la bénissent. Tous sont laids. Tous puent. Une odeur nauséabonde. Une odeur qui semble ancrer dans ses narines. Leurs barbes grattent. Leurs mains sont rugueuses. Leurs gestes sont brusques, saccadés. Leurs râles sont une cacophonie à ses oreilles. Mais, elle, elle a trouvé la solution. A chaque fois, elle fixe cette tâche sur le mur. Elle s'y accroche avec force et elle se téléporte. Un autre monde. Une autre vie. Maryia et non Rosalia. Parfois, on la sauve. Parfois, elle se sauve elle-même. Parfois, elle croque ce membre fougueux avec rage pour le cracher à leur visage. Souvent, il arrive. Misha. Son sauveur. Mais à chaque fois, elle se réveille dans ces draps souillés, le corps et l'âme souillés.  05. Misha. Elle appartient à personne, à tout le monde et pourtant, elle se sent sienne. Elle est sienne. Il le sait. Elle le sait. Il suffisse qu'il apparaisse aux Glycine pour qu'elle roule des hanches et batte des cils. Elle veut être sienne. Elle veut lui appartenir. Elle s'accroche à ses prunelles comme à un bateau de sauvetage. Avec lui, elle ne joue pas. Elle ne ment pas. Elle est sa Rosalia. Au diable Maryia. Parfois, quand elle est un peu folle, elle s'imagine pouvoir se réveiller à ses côtés. Elle s'imagine pouvoir se promener à ses côtés, glissant sa main dans la sienne, mêlant ses doigts aux siens. Parfois, elle se surprend à l'imaginer venir la libérer, devenir son époux. Clamer au monde qu'elle est sienne. Mais à chaque fois, il disparaît. Il disparaît avec ce sourire … qui la laisse rêver encore une fois. Un peu plus fort. .