cotton and dust.

[god and country]. indianola, mississipi, là où le cotton brûle sous un soleil qui ne pardonne pas. desmond jessup naît sous le chapiteau familial, entre deux exorcismes : son père est pasteur itinérant, trimballant dans son pèlerinage sa femme et ses six enfants. le dieu de mordecai jessup n'est ni bon ni miséricordieux : c'est un dieu qui punit et qui bat, qui cherche à corriger plutôt qu'à pardonner, un dieu qui craint les livres pour ce qu'ils pourraient enseigner à des yeux curieux et qui bannit ce qui ne lui ressemble pas. c'est dans l'ombre de cette déité menaçante que desmond grandit sur les routes du sud, loin de l'école, passant de ville en ville, de porte en porte pour prêcher la bonne parole aux côtés de ses frères et soeurs. il est souvent battu : sur ses genoux persistent des cicatrices en forme de grains de riz sur lesquels il devait s'agenouiller pendant des heures. les punitions interviennent au gré des humeurs ombrageuses du pasteur, injustes, arbitraires, divines en somme. c'est ainsi qu'on fait les hommes dans le sud. [tough guy] desmond grandit et puis un jour, il s'en va. il a seize ans, sa soeur alma quatorze. ils fuient leur père illuminé, leur mère passive, le souvenir de leur petite soeur morte d'une méningite. le reste de la famille s'éparpille à son tour mais desmond n'obtiendra pas ou peu de nouvelles. alma est sa préférée ; c'est peut-être pour ça qu'il l'abandonne dès qu'il en a l'occasion, pour ne pas qu'elle suive le chemin qu'il s'apprête à prendre. pendant des années, il écume les champs du sud, coton. soja, blé, café, il brise son corps à l'épreuve du soleil, des réveils au petit matin et des préfabriqués qu'il partage avec quinze autres saisonniers. ce ne sont pas de belles années : il les passe à se battre et à noyer sa paie hebdomadaire dans les paris et la boisson. [country girl]. il rencontre gail en arkansas. elle seize ans, lui dix-sept. the girl is trouble, mais desmond ne vaut pas beaucoup mieux. ils partent vivre dans le tennessee où desmond devient un temps chauffeur routier tandis que gail enchaîne les boulots pourris. leur relation se dégrade : toxiques l'un pour l'autre, pourtant incapables de se quitter, ils en viennent même à se marier. gail est abusive physiquement, desmond est un menteur et un cheater compulsif. le point de non-retour est atteint lorsque gail lui casse le nez après que desmond confesse qu'il a joué l'argent du loyer pendant une partie de poker. ils se quittent dans la douleur et les cris et gail s'en va, libre comme l'air, son souvenir marquant desmond comme un mauvais rêve. ils se recroiseront quelques fois, jamais bien longtemps mais plus que desmond ne le voudrait. rien de bon ne peut sortir de cette relation empoisonnée, toxique et violente. [water in a cage]. la première fois que desmond expérimente la prison, il a vingt ans. il se fait pincer pour usage de faux (il arnaque la sécurité sociale avec le numéro d'un ancien collègue) et passe six mois dans une prison de géorgie. tout au long de sa vingtaine, c'est in and out du système. à chaque fois qu'il sort, desmond se promet qu'il va arrêter ses bêtises mais il finit toujours par replonger : arnaques, bagarres, drogues, violation de conditionnelle, etc, à croire qu'il le fait exprès. et après tout, pourquoi pas ? à l'intérieur, il a trois repas par jour et un lit ; dehors, c'est le néant (personnel, professionnel, émotionnel). en prison, il se fait petit, il se recroqueville sur lui-même, fait attention à ne pas faire de vagues. il lit, il fait de la menuiserie, se tient à l'écart des embrouilles. il fatigue les gardes à se comporter en prisonnier modèle pour mieux revenir deux mois plus tard, plein d'ecchymoses et un sourire d'excuses au visage. il se fait des amis, des ennemis aussi. il sort pour la dernière fois en mars 2019 : c'est peut-être sa plus longue période de liberté depuis qu'il a vingt ans. jusqu'à ce gail l'appelle, il y a un mois et demi. [new york blues]. sans surprise, gail l'appelle d'une county jail dans le new jersey. elle va y rester un bon bout de temps, lui explique-t-elle, de cette voix traînante et gouailleuse qui pourrait presque le faire sourire si elle ne lui rappelait pas les pires recoins de sa vie. et entre deux coupures de communication, gail lui explique qu'elle a eu une fille, qu'elle est de lui, desmond, aucun doute possible, qu'elle ne lui a jamais dit parce qu'elle ne voulait plus entendre parler de lui, qu'il ne voulait plus entendre parler d'elle et que ça n'aurait servi à rien. mais aujourd'hui, cette gamine a besoin de lui. et après avoir hésité, desmond accepte de monter jusqu'à new york, une ville où il n'a jamais mis les pieds, où il ne connaît personne, pour une gamine dont il n'a jamais entendu parler. pour ce qu'il en sait, elle n'est peut-être même pas de lui. mais il y a quelque chose de viscéral - même s'il ne veut pas l'admettre - qui le prend quand il imagine cette gamine seule, abandonnée au milieu de la jungle urbaine. il fait ce qu'il a toujours fait : s'adapter, improviser, surmonter. new york réveille en lui des aspirations mortes-nées, des désirs confus, des envies de jours meilleurs. et peut-être est-il enfin prêt pour cette vie dont il est toujours passé à côté.

[misc.] fresh coffee, waking up early, spring sun, southern food, late night church attendance, cheap cigarettes, reading used books, petting stray cats, silence, carving wood, homemade ceramics, cold beer.