(elyane) le temps feel

Cleveland, juin 1995. / papa serrait sa petite fille dans ses bras pour la première fois, sa princesse, toute sa vie désormais. papa était camionneur, il faisait des allers-retours entre la frontière des États-Unis et du Canada avec son gros camion débordant de fruits et légumes. papa travaillait pour une compagnie de transport, qui elle, travaillait pour un grossiste canadien qui lui, travaillait étroitement en lien avec une bande de motards depuis plusieurs années déjà. papa ne transportait pas que de la bouffe, il transportait aussi de la marchandise qui était recoupée et revendue sur un autre territoire que le sien. papa jonglait entre deux mondes dangereux, et s’il était là, cette nuit-là, tenant fièrement sa petite fille dans ses bras, c’était seulement parce que l’accouchement tombait pendant ses deux seules semaines de congé du mois. papa ne vivait pas avec maman, qui elle, gérait le petit salon de coiffure au coin de la rue pour occuper son temps. Il vivait sur la route, pour elle, pour payer le toit sous lequel ils feelaient le vrai amour. mais papa ne voulait pas de cet enfant au départ, par peur de la mettre en danger avec les conneries de son patron et de ne pas pouvoir les protéger par la suite. sauf que papa n’avait pas le choix, il aimait maman plus que sa propre vie et ferait tout pour la rendre heureuse. Glenville, septembre 1998. / alors maman eut son enfant, et cette petite princesse fut élevée entre les murs d’une maison bien trop grande pour elles. entourée de la criminalité présente dans le quartier et de la misère qui dirigeait les familles, elyane recevait tout l’amour et l’éducation qu’un enfant se devait de recevoir. elle avait la chance d’avoir une maman intelligente près d’elle à longueur de journée, alors que papa ramenait désormais qu’un seul salaire à la maison. Il s’absentait de plus en plus, mais papa était souvent remplacé par ce jeune homme mystérieux qu’elyane ne pouvait pas s’empêcher de remarquer. maman disait qu’il était là pour vous protéger, mais elyane n’aimait pas l’habitude qu’il avait de toucher les fesses de maman quand papa n’était pas là. mais comme elle se sentait mieux en sa présence, elle faisait mine de ne pas remarquer leur manège. maman avait toujours le sourire aux lèvres, et c’est ce qui comptait pour elyane. mais ce jour-là, maman s’était réveillée avec une mauvaise mine au visage, et elyane était bien trop préoccupée par sa première journée d’école pour le réaliser. ce matin-là, maman n’avait pas pris la peine de cacher le mauve autour de ses bras. Cleveland Central Catholic High School, juin 2008. / plus les années passaient, plus les jours se ressemblaient. elyane ne trainait pratiquement plus chez elle, épuisée d’entendre sa mère se faire baiser par un nouveau mec à chaque soir. maman avait changé avec les années, elle avait perdu ce sourire qui se dessinait naturellement sur ses lèvres lorsque papa rentrait à la maison. elle avait démesurément maigri sous la consommation excessive d’amphétamines, perdant la beauté qui rayonnait de son être dans le passé. maman semblait apeurée, mais par quoi ? elyane ne le savait pas. elle essayait de comprendre, mais chaque fois qu’elle posait des questions, ce mec aux mains baladeuse se faisait toujours un plaisir de la rembarrer. Elle en avait marre, elyane, qu’on lui dise constamment quoi faire, quoi ne pas dire, quoi ne pas toucher. Elle était curieuse, elle avait envie de découvrir la vie, mais elle ne pouvait pas le faire. elle était enfermée avec les sœurs qui lui servaient d’éducatrices, et elle détestait ça pour mourir. si elle continuait d’étudier, c’était simplement pour faire plaisir à papa. papa qui voulait s’assurer que sa fille reste loin du danger, papa surprotecteur, aimant. elle étouffait à la maison, à l’école, dans les rues, partout dans cette ville, mais elle l’aimait au plus profond de son cœur. elle l’aimait parce que Cleveland, c’était toujours l’endroit où son père revenait. et son père, c’était toute sa vie, il illuminait les quatorze petits jours qu’il passait avec elle. Corner of Lakeshore blvd & Garfield Ln, mai 2011. / ce jour-là, elyane attendait impatiemment la fin de journée pour courir prendre le métro et rentrer à la maison, dans les bras de son père. ce jour-là, elle avait appris qu’elle n’allait pas pouvoir obtenir son diplôme en même temps que le reste de sa bande de pote et elle avait pété un plomb dans le bureau du directeur. on lui avait donné congé en lui demandant de revenir dans trois jours, avec l’accord signé d’un parent lui donnant droit à des séances avec un psy. elle n’avait pas écouté la moitié des paroles qu’on lui avait dites, et elle avait quitté le bureau en claquant la porte derrière elle. sa carte de crédit avait refusé de fonctionner lorsqu’elle était arrivé pour payer son billet de métro. sans trop s’en soucier et par habitude, elle avait fait mine de rien, se faufilant entre les barrières subtilement, et s’était rendue paisiblement chez elle. sauf que ce n’était pas son père qui l’attendait au coin de la rue, mais un homme entièrement vêtu de bleu avec une énorme barbe rousse, un peu jaunit autour de la bouche. la rue était barrée, inaccessible des deux côtés. elle regardait autour d’elle sans trop comprendre, puis elle avait bousculé le gros bonhomme qui voulait l’empêcher de voir la vérité… le camion de son père était stationné devant chez elle, entouré d’une dizaine de voitures de polices et de deux ambulances, ainsi que les pompiers. elle voyait défiler devant ses yeux ce qui semblait être une scène de crime, sans trouver la force de se défaire des mains de son sauveur, les pieds ballottant dans les airs, impuissante. elle voulait aller voir de plus près, elle voulait s’assurer que son père allait bien. elle ne pensait plus qu’à lui, qu’au weekend qu’ils allaient passer ensemble. elle ne pouvait plus arrêter de crier, vidant son corps de toute la peine qu'elle éprouvait sur le pavé ensanglanté. 05/ écrire ici. (sens-toi libre d'ajouter autant de points que tu le souhaites / veille à ce que l'on puisse suffisamment cerner le personnage même sans histoire).