||ready now|| JOSIE

à cette heure seulement sont accueillantes les rues du queens, à cette heure où l'encre de la nuit a pris ses aises avec largesse, où tout serait possible. au bord des flots noirs, le spectre diaphane s'autorise enfin quelque rêverie innocente. s'imagine une exquise dérobade, des talons tournés que l'on ne verra plus effeuillés du haut de ces plateformes vertigineuses dont on l'affuble sur la scène poisseuse. ce strip-club est la rome de cette ville maudite, chaque tentacule goudronné y mène, mais ces fantasmes exhalés sur le chemin sont la seule liberté cédée à ses prisonniers. une précieuse rébellion.

des rêves doux de naïveté

pour apaiser ceux, aussi grandiloquents que proches,

qui la dévorent de jour en jour

mais déjà, rosa demande la lumière : transformation amorcée à la sortie de l'appart, les longueurs d'opale étouffées par une coiffe synthétique d'ébène. quand vient la nuit, l'étoile fait profil bas, se laisse museler par le soufre qui émane de son alter ego. une agonie silencieuse, sans témoin. regard braiseux, lèvres carmin. elle s'étonne encore, parfois, de ce talent à jouer la comédie. à entièrement se perdre dans une personnalité qui n'est pas la sienne, pourvu que quelques artifices étayent le mensonge. c'est à se demander les secrets qui se cachent derrière les portes closes, les ignominies que les bêtes humaines seraient prêtes à commettre du moment qu'un masque protège leur réputation. si cette gamine se laisse débaucher par la lune de sa quête de pureté, ôte la grâce du tutu pour satisfaire les pupilles affamées et rassasier ses propres appétits indicibles, dieu seul sait de quoi les autres seraient capables. l'ombre corrompt tout, dès lors qu'on la laisse s'insinuer.

elle n'est pas seule, la silhouette fantômatique. l'isolement est prohibé ici. du monde partout, du bruit constamment engouffré dans les tunnels auditifs à toute vitesse. rares sont les interpellations, et toutes se soldent par du mépris. son attention vaut cher, à l'étoile. des billets collés par la sueur jetés sur la scène, une aumône impie. ce sont finalement les invisibles qui l'attirent, ceux qui n'existent que dans leur monde et rient face aux autres atmosphères. ceux qui ne réaliseraient même pas qu'elle est là. elle aime être vue, pourtant, la biche. exècre cette part d'elle-même, mais ne peut en venir aux armes pour l'exorciser. peut-être que, réellement, elle envie les âmes qui s'affranchissent des regards, qui ne les désirent ni ne les attirent. c'est un de ces marginaux qu'elle avise au loin. une silhouette qui titube le long de l'eau, sans que personne n'y prête attention. est-ce un pouvoir d'invisibilité qu'elle seule sait percer, ou bien ce don extraordinaire qu'ont les hommes de détourner le regard à la moindre irrégularité ? les ivrognes sont légions dans ces rues, les passants en ont déjà vu cent depuis que se sont scellées les paupières ensoleillées et josie aussi. celui-là ne devrait rien avoir de spécial, et pourtant ses orbes dégoulinantes de khôl sont irrémédiablement arrimées. continue son chemin la belle, dans une certaine appréhension alors que ses pas la rapprochent de ce surprenant être.

ne s'arrêtera pas, elle se le promet. elle est attendue au club, n'a aucune envie d'y aller mais ne peut s'enfuir. n'est pas assistante sociale, ne sera pas payée d'avoir ramassé un ivrogne - c'est dix autres qui tomberont si elle s'y attarde - alors que les types qui bavent rien qu'à l'imaginer onduler des hanches ont les poches pleines de billets. mais elle s'approche, josie, et elle le voit osciller, sur la brèche. promesse brisée devant ce spectacle. n'a pas envie de se réveiller pour apprendre que le saoulard s'est noyé dans les flots sales. elle y repenserait à chaque fois que ses talons battraient ces pavés élimés chaque soir. vous pourriez reculer ? le bord est juste là, vous allez tomber. l'intonation est un peu sèche. il n'a rien demandé, peut-être d'ailleurs qu'il n'attend que ça, lui, de s'offrir aux vagues carnivores, et la voilà qui ne peut s'empêcher d'instiller des dagues dans ses mots. comme si elle lui en voulait de la mettre en retard pour son shift, alors qu'il incarne la distraction qu'elle espère chaque soir dans le plus grand des secrets.  

son sang vicié ne fait qu’un tour. ça boue déjà, là dans ses veines, un doigt curieux en sentirait palpiter le bordeaux à travers du derme. sa main tendue, éludée par un ricanement : s’en fout qu’il soit triste, désespéré, ivre, ce son. elle a l’impression qu’on lui a craché dessus. que même ce type qu’elle est la seule à regarder en face, alors que tous les autres préfèrent clore les paupières plutôt que de laisser s’imprimer son tableau pathétique sur leur rétine, n’a qu’un rire méprisant à offrir à la tragédie incarnée. sa caboche se cristallise autour d’une idée folle, une simple poussée dans le dos du triste pantin. tirer ses ficelles et le laisser s’échouer dans les flots noirs, plutôt que d’attendre qu’il franchisse le pas par le seul miracle de son libre-arbitre. après tant de mois à interpréter sa propre relecture d’ève, la candeur pourrie par le fruit, l’intimité tout juste cachée par des feuilles de dentelle, pourquoi ne pas jouer à dieu, juste un soir, juste pour voir ce que ça pourrait bien faire ? le pouvoir l’excite, le pouvoir lui fait trembler les cuisses. quand elle danse, quand elle sourit, quand elle se dévêtit, quand elle aguiche, c’est pour aspirer la dévotion des prunelles qui ne voient qu’elle. pour jouir de l’extatique contrôle que ses charmes vicieux exercent sur les malheureux qui regardent la méduse diaphane dans les yeux.

le rire meurt comme il est né, tombé dans l’oubli à la faveur du silence relatif qui à nouveau s’installe : et les intonations tremblantes font encore éclater la nuit en morceaux. c’est décousu, ça lui prend la tête. l’homme a trop bu, et elle, pas assez. sans aucune envie, elle entre pourtant dans son jeu. peut-être histoire de s’enivrer un peu, des effluves d’éthanol dans son sillage. bien sûr que je le connais, j’en viens d’ailleurs, ça ne se voit pas ? mensonge délié sur fond de sarcasme, c’est pourtant un petit miracle, une scène où rosa ne s’est pas encanaillée. mais le travestissement, forcément, ça n’est pas pour la gamine dont on lui a seriné que la blonde féminité est sa seule valeur. c'est pas bien drôle, en effet. pas compris cette histoire de daddy, les seuls qu’elle connaît sont ceux qui prétendent auprès de bobonne qu’ils passent la soirée au bar alors qu’ils viennent la voir, elle, la maîtresse parfaite, créatrice d’indicibles fantasmes qui jugule les péchés. regarder n’est pas tromper. no body, no crime. c’est juste assez honteux pour animer quelques rêves humides.

chancelante, elle s’assoit finalement. là, à côté de lui, les pieds dans l’eau si elle s’aventurait à y tendre les jambes. s’enduit de la crasse goudronnée avant l’heure, un ajout finalement évident à sa fragrance. les roses se flétrissent vite, arrosées de brandy sous des lumières artificielles : c’est une ignominie que d’y entrer avec le frais parfum des pétales perlés de rosée. et il lui parle de lui faire le portrait, et elle ne sait pas que dire, ce qu’il lui veut. exhale, lasse. contentez-vous de ne pas crever ce soir, s’il vous plaît. ou alors, allez autre part, attendez que je sois partie. mais je passe souvent ici, j’ai pas envie d’imaginer votre carcasse dès que je regarde l’eau. elle est égoïste, elle ne pense qu’à elle, josie. à son confort, à sa sensibilité. qu’il meure, ça ne lui fait rien, au fond : dans quelques minutes, elle partira, et alors, tout pourra advenir de cette âme en peine. pourra crever dans la nuit la gueule ouverte, ou bien voir passer les prochains siècles, en merveille immortelle. ne veut juste pas que ça l’entame, elle,
sa tête est déjà trop pleine de zones d’ombres.