l'odeur de l'essence (max)

pour ceux qui ont été expulsés d'la matrice dans une chute amortie par un matelas de petites coupures, peut-être. ceux qui se torchent avec les billets, aux yeux rendus daltoniens par les dorures à perte de vue. nés dans la puanteur omniprésente des sous et de l'insouciance, tellement normale pour eux que leurs narines n'la sentent plus. et pourtant, du flair, ils en ont, les cons. parfaits chiens truffiers qui vont te dire qu'ils ne sentent pas l'argent, mais qui sauront toujours où le trouver. les riches plus riches, les pauvres plus pauvres. seule constante dans ce monde désolant d'inconstance.

et pourtant, s'en cachent des fins limiers dans les rues du queens. pas dans les quartiers les plus reluisants. il y a ceux pour qui c'est inné, hérité en même temps que le manoir de papa dans les hamptons, et il y a ceux qui ont été entraînés, élevés. ceux qui savent que l'argent pue à plein nez, et qui dédient leur vie à renifler. certains diront que ça sent comme la fragrance subtile d'un parfum hors de prix, ou celle, entêtante, du cuir reptilien des derniers sacs hermès. pour toi, nejma, ce n'est rien de tout ça. diamants et autres luxes sont loin de tes ambitions - pour toi, l'argent, c'est l'odeur de l'essence. le réservoir de la moto plein à ras-bord, l'aller simple (jamais simple, toujours talonné par l'inéluctable échéance d'un retour vers le queens magnétique) loin des gratte-ciels qui grattent l'horizon,
la l i b e r t é.

tu frissonnes pourtant peu lorsque la liasse de billets s'échoue entre tes doigts, aujourd'hui. par réflexe consciencieuse, tu comptes soigneusement, mais ton esprit est déjà ailleurs lorsque tu montres la porte à ta dernière cliente. aussi naïve qu'elle est juvénile, fille à papa qui ne voudrait surtout pas que papa sache qu'elle dépense son fric dans les sciences occultes. mon père ne croit pas en tout ça, il dit que ce sont des inepties, de son propre aveu. ça non, ma belle - d'ailleurs, s'il y croyait, il n'y aurait pas un tel héritage à grapiller, que tu lui aurais rétorqué si tu n'avais pas tenu à la mettre en confiance. t'es trop maligne pour être honnête, toi, donc t'as préféré te montrer compatissante, déplorer le manque de croyances de certains.
comme si tu n'étais pas la plus mécréante de tous.

pas qu'elle ait tant dépensé, de toute façon. juste le prix du tirage de cartes - le reste, elle le garde précieusement, ou presque. assez précieusement pour ne pas t'en avoir montré la couleur, rien qui l'a empêchée pourtant de te dire ce qu'elle compte en faire. de te demander conseil à ce sujet, même, parce que t'es là pour ça, nejma. pour faire parler les astres - pour leur faire dire c'qui t'arrange. ce n'est donc pas le salaire quotidien qui t'excite, aujourd'hui, mais plutôt ceux à venir. semblerait bien que t'aies trouvé une poule aux oeufs d'or. et tu vas la choyer, lui lisser les plumes. ponds, ma belle, ponds.

ta réflexion et les mots tournant dans ta tête ont vu tomber la nuit, sans même que tu aies pris le temps de rouvrir les rideaux qui scellent tes fenêtres durant les consultations pour ajouter à l'ambiance tamisée, mystérieuse de la pièce - l'genre de clichés dont ils raffolent tous, ceux qui passent ton embrasure pour se faire tirer les cartes. déjà l'heure de partir, sans biaiser, vers ces quartiers que tu n'expérimentes que par le biais de tes clients fortunés, sans jamais y mettre les pieds. mais max, c'est là qu'on la trouve, dans les rues aux façades luxueuses où les corvette s'arrêtent en double-file le temps que le voiturier grimpe derrière le volant pour garer le bijou. quoiqu'il vous faudra peut-être trouver un endroit plus tranquille pour parler affaires. vous deux avez pour ennemies communes les oreilles qui traînent - vos business gagnent à n'être que très peu ébruités. déjà un exploit que vous vous fassiez confiance.

les miracles sont rares, dans le queens, mais on n'est jamais à l'abri d'en provoquer un.

je viens de recevoir une nouvelle cliente, je pense qu'elle pourrait t'intéresser. les hostilités sont lancées dès que sa silhouette blonde se glisse face à la tienne, impeccable dans son tailleur hors de prix. tu comprends qu'elle s'insinue dans les hautes sphères sans jamais se faire démasquer, max : si tu manquais de méfiance, toi aussi tu te ferais avoir par l'aisance qu'elle exhibe à chaque fois. elle, l'élégance et toi le mystère, vous excellez chacune dans votre domaine. une vente aux enchères à sotheby's, ça te dit ? paraît qu'il y aura de belles oeuvres. et du beau monde. bien crédule. il n'en faut pas plus pour l'appâter, tu le sais. l'odeur de l'argent, elle diffère de narine en narine ;

tu ne sais pas ce que max sent, à cet instant,