Elle se souvient en filigrane,
de ses bras qui l'entourent avec bienveillance
des regards qui pouvaient tout dire sans prononcer un mot
des sourires éclatants et des mots murmurés tard le soir
de sa fierté à la voir réussir,
de sa main tendue chaque fois qu'elle tombait
cœur entierThelma dessinait l'avenir les yeux clôt, qu'y a-t-il à craindre lorsqu'on a tout ? Elle ne les ouvrait que pour voir de la lumière. Tableau familial brossé avec soin, ses craintes se nichant au creux du cou de Joy qui les portait sur ses épaules pour mieux les jeter loin d'elles quand les parents attendris admiraient la photographie réussie de leurs enfants soudés. Fierté familial devant des études réussis, vie sociale accomplie. Banalité ennuyeuse dans laquelle elle s'épanouissait à la lueur de Joy et arrosée d'amour comme les fleurs sous serre, bien à l'abri des douleurs de ce monde. Intouchable et protégée. Ils étaient les remparts la laissant aveugle face à la réalité.
Jusqu'à ce que le mur s'effondre.
Elle se souvient en filigrane,
d'avoir toujours eu l'impression qu'elle surplombait le monde
de l'avoir vu briller dans tout ce qu'elle faisait
de l'avoir vu aimer, les étoiles dans les yeux
d'avoir vu son corps dans le cercueil étincelant
quand elle était devenu soudain si terne.
coeur arrachéSon ombre est là, enveloppant Thelma. Certains jours, elle est un plaid douillet qu'elle ne souhaite plus quitter, la douceur perdue qu'elle retrouve dans les souvenirs lorsqu'elle accepte de s'enfermer dans son esprit pour plonger dans la nostalgie doucement tragique. D'autres, elle étouffe par son manque de clarté. Elle n'a plus rien de joy, maintenant qu'elle est devenu ombre. Maintenant que la lumière n'est plus. Elle ne fait que tirer thelma un peu plus vers l'obscurité dont elle ne sait plus sortir. Désireuse de s'extirper de l'étau de sa douleur qu'elle refoule. Harassée de voir maman s'effondrer de tristesse au moindre détail, de se confronter au deuil infini dans les yeux de papa. Épuisée que tout,
absolument tout dans ce putain de monde lui rappelle tant joy comme si son univers avait été bâti tout entier à partir d'elle.
et sans doute l'était-il puisqu'elle ne trouve plus de sens désormais. Elle en cherche dans les études qui n'ont plus de saveurs, dans les amis qui ne savent jamais consoler assez, dans les plaisirs de la vie qui ont fini par devenir fade. Dans la fuite, surtout. Persuadée qu'à courir assez loin de sa douleur, elle finirait par la semer.
Elle craint d'oublier
ces instants de joies, ces petites victoires
les traits de son visage, leurs discussions tard le soir
coeur envoléElle les avait cru lorsqu'ils ont effrontément menti, lui jurant qu'elle verrait un jour, la douleur qui s'estompe, les souvenirs qui deviennent doux, la colère qui s'atténue. Qu'elle saurait enfin vivre avec l'absence et sourire sans que ça sonne faux. Des conneries qu'on raconte pour faire germer des espoirs qui finissent noyés dans la vérité : la douleur ne s'en va pas. Elle devient un gouffre brûlant, une cacophonie dérangeante qui l'empêche d'entendre ses rêves. Alors Thelma crie, il ne reste que cela, elle hurle en elle-même des litanie enivrée, des poèmes embrumés jusqu'à ce que sa fureur de vivre achève de couvrir un temps le concerto de sa peine. Et elle sourit la nuit, Thelma, elle sourit trop fort, elle sourit trop faux. Rictus aux étoiles comme une promesse à Joy, un mensonge qui lui murmure
je vais bien ne t'en fais pas quand tout son être vole en éclat.
« Je veux te retrouver, toi et ta lumière, et je m’apprête à m’enfoncer dans les catacombes du monde pour ça. Des mois que je travaille à me fabriquer une ombre suffisamment solide pour rester vivant, tout en nourrissant l’espoir secret d’aller te retrouver au pays des morts. »