ombres chinoises (arya)

t'as besoin de bouger kemen. de décompresser d'la semaine harassante qui venait de s'écouler. des meetings à répétition, en passant par les rendez-vous avec les clients, sans oublier les allers-retours incessants au poste de police aussi bien qu'à l'hôpital. pour récupérer ce qu'il restait de ta soeur.
des lambeaux.
en pièces qu'elle finirait alba. et ça t'rendait fou de voir à quel point tu n'pouvais rien contre ça. là où tu avais choisi la survie, en te promettant de t'battre pour eux, autant que pour elle, t'avais vu la jeune femme opter pour la facilité. et pouvais-tu vraiment le lui reprocher ? la fragilité d'alba l'avait écrasé. et elle peinait à trouver la clé pour s'en relever. même si t'étais là près d'elle. même si de ton regard, tu l'enveloppais et la chérissais. elle dérivait inlassablement, voguait à contre-courant.
navire en péril.
t'as besoin de bouger kemen. d'arpenter les salles à la lumière tamisée d'un club, nouvellement, inauguré. tu débarques seul mais t'y es habitué. t'es si sociable qu'il te faudra moins d'une demie-heure pour te faire apprécier, au moins le temps d'une soirée. t'es pas venu dans l'espoir de t'créer des amitiés, simplement avec l'objectif d'en profiter. pour une durée limitée.
plaisir avorté.

les néons battent le rythme de ton entrée, pendant qu'tes pupilles agressées tentent de s'acclimater à la nouvelle luminosité. les néons clignotent se posant sur les visages composant l'assemblée. tu n'les connais pas toutes ces âmes peuplant les allées. tu n'les connais pas, mais comme toi, tu sais ce qu'elles sont venues chercher. le répit, l'oubli, l'ivresse d'une nuit.
les néons n'faiblissent pas et ils t'offrent une place de choix. à l'instant où ils illuminent son visage de poupée. les traits que t'avais si souvent vu amochés. pas blessés non, juste abîmés. à l'usure de la vie, à l'usure de ses, pas si légales, folies.
et tu la regardes sans la quitter. tu suis ses pas où qu'elle aille. tu n'avances pas, t'attends ton moment. et tu sais que c'est à toi quand tu l'remarques le type, qui loin de s'isoler, préfère s'en faire une seconde peau. stature trop présente, stature trop oppressante.
le sang bouillonnant n'fait qu'un tour et tu t'avances sans plus y réfléchir. face à lui, tu t'dresses de toute ta hauteur. t'as les heures de boxe dans les bras et dans les poings, il ne t'fera pas flancher. tu parles pas mais tes yeux parlent pour toi. tu parles pas mais ton aura parle pour toi. j'te laisse choisir le profil. la chance de s'en sortir que tu lui offres, l'option d'se tirer avant que tu n'perdes définitivement patience. et il capitule l'animal. et la victoire est grisante, encore davantage sous ses yeux. même si tu la devines déjà agacée, elle t'amuse.
le comptoir du bar contre lequel tu t'adosses, avant d'la toiser de ton mètre quatre vingt cinq. le soupir expié d'entre les lippes. marrante cette habitude que t'as de toujours jouer les sirènes en détresse quand j'suis dans les parages. tes rires satisfaits, tu les retiens, tu sais qu'elle va pas aimer. t'as pas besoin d'en faire autant pour attirer mon attention. du poste de police à l'hôpital en passant pas ce club. t'as la sensation qu'elle s'en donne du mal pour exister sous ton regard déjà hypnotisé.
la fille du poste de police.

t'étais venu pour oublier. et finalement, ce sont les souvenirs qui viennent te récupérer. murmurer à ton oreille, susurrer d'un chant sans pareil. ce n'est pas le dj qui capte ton attention. pas même sa musique assourdissante. en revanche, c'est la percussion des basses qui rythme ton palpitant. qui donne un tempo à ton entrée dans le tableau. celui que tu n'connaissais que trop. face à tes yeux aguerris, la déchéance de la princesse. celle que t'avais déjà vu perdre sa couronne quelques mois auparavant. t'as cru à une rédemption, t'as tenté de lui souffler l'idée. force était de constater qu'elle était resté sourde à ta façon de l'aider, imperméable à ta façon de l'apprivoiser. t'es pas vexé pour autant kemen, parce que t'es pas c'genre de type. toi, tu t'installes dans l'temps. tu distilles le vaccin d'la guérison. tu fais pas pression à l'image du pauvre type qui n'avait pas résisté à tes menaces. toi, tu guettes, tu veilles. t'es constamment dans l'paysage, sans forcément qu'on t'voit t'approcher. t'es l'homme sage, incapable de voir tomber une âme torturée.
et ce soir-là, tu t'es encore engagé sur le terrain qu'tu connais l'mieux. pourtant, tu savais qu'ça la ferait grincer. tu t'y es presque habitué, à sa verve implacable. peut-être même que c'est pour ça qu'tu l'as fait. parce que t'as pas résisté à la promesse de la voir s'écrier. je peux savoir ce que tu fais là ? encore ? le sourire en coin qui habille tes lippes ne t'quitte pas, c'est plus fort que toi. pendant qu'tu la dévisages, sans gêne aucune. et qu'tu captes le reflet des néons qui rend à ses traits un éclat encore plus singulier. et seulement là, t'avances un peu ta tête dans sa direction. tu grimaces comme si le volume t'empêchait d'entendre la moitié d'ses mots, quand tu n'en avais pas manqué un seul. au moins, t'as changé de lieu où faire la fête. le commissariat, tu trouvais pas ça assez exotique ? tu sais pas pourquoi tu la provoques comme ça. sans doute parce que tu t'ennuies d'ses coups de folie. ces instants où, contre toute attente, dans ses iris, tu vois briller la vie. je vais finir par me demander si tu me suis. l'air mystérieux que tu t'plais à arborer, pour qu'à défaut d'avoir la sensation de t'percer à jour, par toi, elle se sente désarçonnée. ça t'plairait ? et t'en rajoutes. encore, toujours. jusqu'au bout tu la pousseras, jusqu'au bout tu l'attiseras. son agacement est palpable tant elle ne prend pas la peine de l'masquer. sauf que t'y crois qu'à moitié toi. persuadé que si tu l'indifférais autant qu'elle s'efforçait d'le montrer, elle ne prendrait pas constamment la peine de t'défier. et tu t'amuses de ses mimiques, de ses airs qu'elle prend. quand elle fait tout pour te faire fuir, toi t'as tout sauf envie de partir. t'es trop habitué aux fêlures qu'on essaie d'cacher. trop pour ne pas t'sentir impliqué. du reste, je me débrouillais très bien sans toi, merci. ok. tu veux qu'on l'rappelle ? et tu prends déjà les devants, t'es prêt à retourner intercepter l'mec, si c'était vraiment ce qu'elle voulait. un mot d'elle et tu la laissais profiter d'son détraqué.

t'es pas du genre à croire au destin, ni à toutes ces conneries du même acabit. toi, tu crois uniquement en tes choix. en ces décisions qu'tu prends comme te l'dicterait ton palpitant. tu n'te crois soumis à aucune autre force que celle de ton propre jugement. pourtant, elle est bel et bien là, la blonde incandescente. la blonde des nuits sans lune, des nuits d'infortune orchestrées par ta jeune soeur. celle qui, sans même la chercher, se retrouve toujours sur ta route. et t'es pas celui qui s'en montre offusqué, t'en es même plutôt amusé. à cet instant, tu croirais presque à une divinité supérieure qui chercherait à vous rassembler. et l'idée n'est pas loin de t'séduire, quand elle ne faisait qu'la faire rugir. les deux pieds dans la même histoire et déjà, vous n'jouiez pas sur l'même accord. sauf que ce n'est pas toi qui iras à la fausse note, pas quand elle s'en faisait un objectif personnel. t'es à dix mille lieux de lancer les hostilités kemen. t'es même d'un calme olympien, c'que bien souvent on t'enviait. cette faculté à n'jamais t'laisser submerger, à n'jamais te démonter en montrant un profil désarçonné. et ta maîtrise de toi-même l'emporte. elle bouillonne, comme si t'avais réveillé la lionne. t'es bien trop doué à ce jeu-là. alors t'en uses, et t'en abuses. au grand dam de tes adversaires. je ne crois pas t'avoir donné l'autorisation de commenter ma vie ou mes faits et gestes. tu l'observes sans flancher. de ses bras qu'elle croise, à ses yeux qu'elle roule. tu l'observes sans sourciller. t'es limite attendri par l'pouvoir qu'elle se donnait. celui d'avoir l'ascendant sur tes propres réflexions. celui d'avoir à t'donner un quelconque aval à c'que tu choisissais de commenter. parce que t'es pas dans l'jugement, comme elle semble le penser. t'es simplement dans l'écoute, la recherche de réponses à des questions que t'étais visiblement l'seul à t'poser. ta présence m'est insupportable. le coup est millimétré, taillé et porté. t'es pas ébranlé pour autant, elle n'faisait que s'adonner, une nouvelle fois, à une partie qui avait tout l'air de l'emballer. et t'es bien forcé d'la croire sur paroles quand la totalité d'ses traits et d'ses mouvements te dégueulent son mécontentement. qu'est-ce que t'es belle quand tu t'énerves. pas un mot plus haut que l'autre grâce à cet atout sorti de ta manche. ce n'est pas plus une provocation qu'une réalité. c'est un compliment destiné à la faire vriller encore plus. pour te redonner l'avantage. autant qu'pour mesurer l'degré d'son intolérance à ton égard. alors, pourquoi est-ce que tu perds ton temps avec moi plutôt que de… profiter de la fête ? j'imagine que tu es venu pour t’amuser, non ? haussement d'épaules entendu. et toi, pourquoi tu tiens tant à m'jeter ? t'as pas l'impression que j'm'amuse là ? bien plus que tu n'aurais pu l'espérer en mettant un pied dans ce club. tous tes autres projets avaient été révisé à l'instant où tes yeux avaient redessiné les contours d'sa silhouette. t'étais bien prête à vendre ton âme au diable en passant la soirée avec ce pauvre type, que tu lâches en désignant l'individu d'un dédaigneux mouvement d'tête. tu peux en faire autant avec moi. tes iris pétillent et tes lippes s'étirent malicieusement. j'suis de bonne compagnie et beaucoup moins insistant. t'essaies de faire pencher la balance de ton côté. qu'elle t'accorde au moins une soirée, avant de, délibérément, tout écourter.

tu pourrais être arrivé à un point de non-retour. perdre patience et voguer délibérément loin d'celle qui s'faisait passer pour un oiseau d'mauvaise augure. sauf que t'es trop intelligent pour ça kemen. même si elle se donnait tant de mal à s'modeler une image calquée à son joli minois, tu n'y croyais pas. même si elle s'entêtait à t'maintenir à l'écart, tu revenais en courant. parce que l'jeu était trop bon, parce qu'elle en valait la chandelle sûrement. c'est c'que tu t'répétais du moins. c'est c'que t'avais envie de croire. dans ta vie, t'en avais vu d'autres se prêter à cette mascarade. d'autres qui lui ressemblaient étrangement. et à l'arrivée, tu réalisais que, à raison, t'avais suffisamment insisté. tu t'implantes dans son sillage, sans jamais l'oppresser. tu veux être l'regard bienveillant, celui auquel on peut s'raccrocher ou celui sur lequel se reposer. tu veux avoir le beau rôle. de celui qui ramassera les miettes, quand les mecs d'une nuit ou de quelques mois auront déjà fait trop d'dégâts. et si pour y parvenir, tu devais batailler encore des jours et des jours, l'enjeu ne t'faisait pas peur. pas assez pour t'faire reculer. c'est plus fort que toi. même quand elle te veut à mille lieux d'elle, tu t'veux tout près d'elle. présence constante, en demie-teinte. espérant lui éviter tous les pièges, espérant lui apporter suffisamment pour qu'elle daigne te regarder autrement. tu comprends pas qu'elle se bute autant. alors qu'tu n'avais fait que lui montrer tes intentions honorables, à répétition. t'es pas l'vicieux qu'elle discernait dans les pupilles de celui que t'avais fait déguerpir. et t'as envie qu'elle l'intègre, t'as besoin qu'elle le comprenne. tes phrases pourraient être choisies minutieusement pour servir un plan des plus machiavéliques, il n'en est pourtant rien. tes mots n'sont que l'reflet de ce qu'elle t'inspire, de ce qui t'semble bon de dévoiler à l'instant t. et t'étais même plutôt fier de c'compliment qu'elle semblait encore bouder. tu n'as pas plus cliché comme compliment ? les sourcils s'arquent, avant que tu n'reprennes. ça s'fait pas de dire à une fille qu'elle est séduisante ? ton sourire en coin n'tarde pas à percer. t'es bien la première qui prend ça pour une insulte. t'es vraiment spéciale. spéciale d'une manière singulière, spéciale d'une manière appréciable. pas dans un sens purement négatif. dans sa manière d'être, elle ne cesse de t'intriguer. celle dont tu n'connais même pas le prénom. t'es pourtant pas décidé à gommer l'secret, t'aimes trop l'mystère planant tout autour d'elle. il ne fait qu'attiser ta curiosité et rendre plus attirant encore, le défi. ses mimiques et ses exaspérations t'font fondre. si bon client d'la princesse qui s'invente des faux airs pour s'protéger. t'es pas l'grand méchant loup kemen, davantage le chien de berger. prêt à la ramener à bon port, comme le jour où tu l'avais rencontré. alors t'essaies de t'tailler une place à ses côtés. auprès d'la farouche blonde que tu t'escrimes à approcher. bien. c'est ce que tu désires ? une soirée ? un verre ? très bien. et sonne le glas d'une petite victoire. montre pas autant que tu t'forces, c'est vexant. à proximité du bar, tu glisses un regard vers elle. tentant d'percevoir les émotions qui la traversent. je verrai si tu vaux mieux que ce pauvre type, de cette façon. tu fais toujours galoper les mecs comme ça ou j'ai l'droit à un traitement d'faveur ? ça t'fait esquisser un nouveau sourire. j'suis pas habitué à sortir l'artillerie lourde quand j'veux simplement offrir gentiment un verre à une fille. t'es peut-être dingue, mais t'entends déjà sa répartie cinglante. t'es pas dans la vantardise kemen, tu cherches juste à la déchiffrer un peu plus. la reine des glaces, du haut d'sa tour imprenable.

t'es peut-être un peu plus chanceux que d'ordinaire ce soir. parce qu'elle reste là l'amazone, qu'elle n'a pas encore fuit le théâtre d'votre affrontement. qu'elle s'exclame peut-être un peu fort par instant, mais qu'tu préfères ça à son mutisme. tu préfères qu'elle ne taise pas ce qu'elle ressent, tu préfères qu'elle expulse ce qui la tend. tu préfères la savoir totalement elle-même, pour pouvoir l'apprécier à sa juste valeur. t'es pas partisan d'ces personnalités qu'on s'invente, que ce soit pour s'rendre plus intéressant ou pour apparaître meilleur aux yeux de quelqu'un, aux yeux de personne. la vie étant une toile aux mille-et-une couleurs, il en fallait des dégradés pour parvenir à l'exalter. et au travers des pupilles de cette jeune femme, t'entrevois déjà tant d'choses. de ce qu'elle tente de cacher mais qui pourtant jaillit en une myriade de jets. et elles n'sont pas jolies ces teintes que tu vois, elles sont presque moroses. sauf que t'as bon espoir d'arriver à tes fins. jusqu'à lui faire entrevoir un nouveau souffle qui aurait pu lui échapper dans l'adversité. définitivement, t'es pas susceptible kemen. et c'est sans doute c'qui explique qu'tu sois encore là. malgré tous les rejets que t'accumulais, malgré tous les vents que t'additionnais, malgré toutes les bousculades dont elle t'victimisait. elle n'avait même pas besoin d'user d'gestes quand ses mots suffisaient à laisser transparaître le trop plein d'hostilité qu'elle nourrissait à ton égard. définitivement, t'es l'homme de la situation kemen. pas d'ces types qui s'vexent ou qui cinglent quand on frôle leur égo. pas d'ces types qui foutent la pression en n'lâchant pas l'morceau. t'es simplement celui qui veille, en attendant d'pouvoir te révéler. sauf que ce soir, t'es décontenancé par la fougueuse blonde. qui réduit à néant toutes les connaissances qu'tu croyais avoir entassé avec les années. qui met en branle tes instincts les plus primaires. et loin d'te déplaire, tu crèves d'envie de mordre quelques pas de plus sur son terrain. c'est pas ton ring qu'tu fouleras ici, uniquement la piste qu'elle avait personnellement délimitée. tout à fait. je suis spéciale. et tu ne prends pas peur ? de gauche à droite, ta tête se secoue négativement. la peur de l'inconnu n'est rien face à l'excitation de l'aventure. j'ai l'air d'un chaton apeuré ? la comparaison évoquée t'fait sourire. quand au fond d'toi, tu t'savais davantage lion prêt à conquérir de nouvelles terres. et c'est une vulgaire table qui s'fait arbitre précaire d'votre match. tantôt cruel, tantôt silencieux. de lèvres muettes en regards éloquents. de lippes acides en iris impénétrables. t'as sans cesse besoin d'réponses kemen, tu cherches à dépouiller chacune d'ses réactions. tu veux comprendre si c'est son tempérament véritable qu'elle affiche ou si c'est seulement toi qui fait ressortir c'côté-là. je te rassure, le traitement est le même pour tous. c'est un étirement franc qui vrille tes pulpeuses. parce qu'ils avaient dû être nombreux à s'y casser les dents. toi t'es certain d'être un peu plus persévérant. toi et tes pupilles brillantes et malicieuses quand tu la dévisages. je m'appelle arya. et toi ? kemen, c’est ça ? t'es presque flatté qu'elle baisse la garde une fraction de seconde. qu'elle lève le voile sur un mince détail qui signifiait pourtant beaucoup. et tes billes n'la lâchent pas. pas même quand tu reprends. alors t'étais pas si indifférente que ça finalement. t'as entendu et retenu mon prénom. la balle est dans ton camp, et la victoire est plutôt appréciable. qu'est-ce que j'peux t'offrir arya ? pour espérer survivre plus que cette nuit dans ton esprit. t'as des projets sur l'long terme kemen, tu refuses de t'contenter d'un à peu près. tu veux plus, beaucoup plus. et tu veux t'installer dans l'temps, peu importe la brèche qu'tu devras forcer pour espérer y arriver.