darkness, chihijo

seule. l'hôpital est devenu ton quotidien depuis ton réveil. plus d'un mois dans le coma à cause d'une chute. une putain de chute. t'aurais pas pu faire attention où tu mettais les pieds ?
t'es débile et aujourd'hui t'en paies les conséquences.
ça aurait pu être pire soit disant. en effet. t'aurais pu ne pas te réveiller. les médecins disent aussi que t'aurais pu te briser la colonne vertébrale et ne plus marcher. à la place tu ne vois presque plus rien. les conséquences sont les mêmes pour toi.
ta vie est fichue.
envolée la danse. tu peux tirer un trait sur ta passion. parce que oui, tu peux marcher mais à quoi ça sert si tu n'y vois plus rien ?
tes journées, tu les passes à ruminer.
et si t'avais agi autrement.
et si t'avais été plus sympa.
et si.
par le passé si entourée, aujourd'hui, t'es complètement seule. tes parents chéris n'ont même pas pris la peine de se déplacer depuis ton réveil. juste quelques courts appels. sont-ils venus quand on les a prévenus de ton accident ? tu n'oses demander aux médecins, la réponse risquerait de te faire beaucoup trop de mal.
tes pseudos amis t'envoient des messages mais ces cons n'ont pas compris que tu n'y voyais rien. l'oeil le moins touché ne te permet pas de voir les phrases sur un écran de smartphone. tu ne distingues que la lumière qu'il émet et c'est comme si elle te brûlait. alors tu gardes tes yeux fermés. tu gardes désespérément les paupières closes priant pour une amélioration à chaque fois que tu tentes de regarder à nouveau le monde.
mais ça n'arrivera pas. ton médecin t'a prévenu. le caillot comprime tes nerfs. il y a peu de chance pour qu'il se résorbe seul et l'opération n'est pas envisageable à ce stade. tu vas devoir sortir de l'hôpital ainsi et apprendre à vivre seule dans le noir.
un frisson te parcourt l'échine.
ça fait peur.
qui va bien pouvoir t'aider parmi les égoïstes que tu connais ?
évidemment. tu penses à lui.
tous les jours. lui, ton grand frère. le seul être normal de ton entourage. et toi, t'as juste passé ta vie à vouloir détruire la sienne.
karma.
tu mériterais qu'il ne t'adresse plus jamais la parole. peut-être profitera-t-il de ton accident pour ne plus jamais avoir à faire à toi. c'est ce que tu ferais à sa place. à quoi bon s'accrocher à une famille aussi mauvaise ? t'es en colère. contre toi. contre eux. tes parents. ils t'ont encouragée dans cette voie comme si c'était normal. normal de bousiller son moral. normal de s'acharner. t'as été stupide d'écouter. et il t'aura fallu un accident pour t'en rendre compte. le coup sur la tête t'a rendue aveugle mais peut-être un peu moins conne.
au fond, t'es en colère contre lui aussi.
en colère qu'il ait pu subir.
en colère qu'il n'ait rien fait pour leur rendre la monnaie de leur pièce.
en colère qu'il se contente d'encaisser.
il ne méritait pas ça.
t'as bien songé à l'appeler, à demander à un médecin de chercher son contact dans ton téléphone et t'aider à le joindre. tout ça n'est resté qu'une lointaine envie. t'as trop honte.

la porte qui s'ouvre te fait sursauter. comme à chaque fois qu'un médecin ou une infirmière entre. tu n'as pas entendu toquer, trop perdue dans tes pensées et t'as beau ouvrir les yeux, tu ne distingues pas grand chose à part peut-être une silhouette. « si vous êtes venu pour me demander comment je vais aujourd'hui, si j'ai bien dormi ou bien mangé. c'est pas la peine. j'suis pas d'humeur. » froide. tu penses t'adresser à un médecin mais tu ne sais pas qu'il est là. tu te dis que de toute façon, personne d'autre que les médecins ne vient te voir. « j'veux juste qu'on me laisse tranquille ? ou qu'on m'annonce que tout va s'arranger ? mais c'est pas le cas, hein ? alors... voila » ta voix se casse en fin de phrase et ça te rend dingue d'être aussi faible. « sortez... » tu gardes tes bras croisés contre ta poitrine comme si tu voulais te protéger et ferme fort tes yeux comme si la noirceur dans laquelle tu te trouves pouvait t'aspirer et ne jamais te laisser sortir.
pourtant, si tu savais qui était cette personne face à toi, tu n'aurais pas envie de la voir partir.

@hijo sakai  

c'est dur d'imaginer ta vie dans le noir. quelque part, rester les bras croisés dans ce lit d'hôpital te rassure. t'as rien à faire. ils s'occupent de toi, t'apportent à manger, t'aident pour la toilette... t'es assistée pour tout. mais comment feras-tu lorsque tu devras rentrer à la maison ? rentrer dans cet appartement que t'es censée connaitre par coeur mais qui aujourd'hui te terrifie ? comment te repérer dans le noir ? que faire de tes journées ? tu n'as plus de travail, pas vraiment d'amis fiables.
les médecins te parlent de séances chez le psychologue, des cours pour apprendre à gérer le quotidien, apprendre à lire le braille... peut-être même une demande de chien guide ? t'es juste perdue. tu ne veux pas partir de l'hôpital même si tu détestes cet endroit. où s'est envolé ton caractère de battante ? où est toute cette énergie que tu mettais à montrer aux autres à quel point tu étais la meilleure ?
finalement, tu n'es qu'une lâche. pas mieux qu'une autre.
pire. tu mérites sûrement ce qui t'arrive.

« tout va s'arranger. » cette voix, tu la connais par coeur. tu crois même l'avoir entendu quand t'étais dans le coma. lui. t'as pensé tellement à cet être qui devrait être ailleurs. qui devrait t'avoir abandonné. « hijo...? » ta voix est si faible. t'as presque peur de parler trop fort et d'éclater la bulle d'espoir dans laquelle tu te trouves. et si ce n'était que ton imagination ?
pourtant, il est bien là. tu l'entends bouger, tu sens sa présence et ses mots font battre ton coeur un peu plus fort. il est venu. tous les jours. tu n'arrives pas à y croire. comment a-t-il pu ? ton frère est décidément un être beaucoup trop doux pour ce monde. « non... pars pas. merci... d'être venu. » jamais tu ne lui as parlé sur ce ton. implorant. presque trop doux. t'as honte. t'es faible. bien plus que lui finalement. lui que tu n'as cessé de rabaisser en le traitant de tous les noms...
« tu te souviens de ce qui s'est passé ? » en faisant défiler les images mentales de l'accident, tu frissonnes. bien sûr que tu te souviens. tu te souviens même de la douleur de la chute. si forte, un instant avant de perdre connaissance. « je... j'ai loupé une marche. » ridicule. pourquoi n'as-tu pas regardé où tu mettais les pieds ? « j'étais trop occupée à regarder mon téléphone et... » instinctivement, tu serres les dents au souvenirs de tes pensées au moment de l'accident. « j'étais en train de maudire le mec de la société de nettoyage. » t'es conne au fond. tu te focalise sur des bêtises. ce garçon faisait juste son métier. toujours à te braquer, tu préfères grogner et aboyer avant de comprendre, de discuter. « tu m'connais... moi et mon besoin de gueuler sur les autres. » tu voudrais dire que tu regrettes, que tu t'en veux. cet accident t'as fait comprendre à quel point la vie est fragile et que passer son temps à être désagréable ne rend pas heureux. chihiro, t'es incapable de donner un moment où t'as été vraiment heureuse.
et, merde, c'est pas ça la vie.


@hijo sakai

c'est étrange de le savoir là, à tes côtés. lui que tu as si souvent dénigré, embêté voire même maltraité. tu ne mérites pas sa présence et tu le sais. ça te réchauffe un peu le coeur de savoir que, malgré tout, il est juste là. c'est vraiment la personne que tu n'attendais pas. vous n'avez jamais été proches dans la famille mais tu pensais qu'etsuko serait celle qui viendrait s'inquiéter de toi. tu t'es bien trompée. t'es déçue de ta soeur, de tes parents. mais ça ne t'étonne même pas. hijo, lui, a toujours été trop gentil. t'as fait de sa vie un enfer et il s'inquiète encore de savoir comment tu vas. t'as tellement profité de ce coeur trop tendre et aujourd'hui, tu regrettes. t'espères pouvoir te rattraper, un jour. mais, si hijo t'envoie bouler, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même. t'es pas douée pour les sentiments, les excuses ou les gentillesse. tu pries juste pour qu'il te laisse au moins tenter quelque chose. s'il est là, n'est-ce pas qu'il a encore au moins un peu d'affection pour toi ? c'est presque impensable après tout ce que tu as pu lui faire mais tu t'accroches à cet infime espoir. t'as que ça de toute façon.

ses questions montrent son intérêt mais te rappellent aussi que ta vie a basculé pour, peut-être, ne jamais redevenir normale. est-ce que les marches étaient mouillées ? tu ne te souviens plus vraiment. oui ? non ? « peut-être ? je crois ? » après tout, t'aurais pas dû être là. peut-être même y avait-il un panneau attention sol glissant mais t'étais tellement dans ton monde que t'as pas fait attention. tu ne fais attention à rien de toute façon. « porter plainte ? » tu n'y as même pas songé. est-ce la solution ? « pour quoi ? parce que quelqu'un a fait son travail et que moi, j'ai juste été débile en ne regardant pas où j'allais ? » le ton que t'emploies est amer. tu t'en veux à toi bien plus qu'à celui qui a nettoyé ce sol. tout ce que tu as fait c'est de maudire ce garçon et son travail que toi t'aurais même pas la force de faire. « nan ça me soignera pas. passer mes nerfs sur lui me soulagera peut-être deux minutes et après ? » avant, t'aurais voulu l'étrangler ce con d'homme de ménage mais aujourd'hui, t'as juste honte de toi.

t'as réfléchi à la situation, depuis que t'es réveillée. tu tournes et retournes les évènements dans ta tête dans l'espoir d'avoir quelque chose à te mettre sous la dent pour reconstituer ces dernières minutes qui ont fait basculer ta vie. « non. enfin... personne de l'école. juste lui, le... mec qui nettoie les locaux était là. comme tous les soirs. » tu soupires. tu te souviens de certaines choses mais tu ne sais pas si ça s'est passé ou si ton cerveau a monté de toute pièce ce scénario pour te rassurer, te montrer que t'étais pas seule. « il.. j'crois que c'est lui qui m'a... enfin qui a appelé les secours. et... il était là pour... » frustrée t'agrippes tes cheveux. « j'sais pas si ce que je crois... s'est vraiment passé. j'sens encore... sa présence à côté de moi... » tu penses qu'il est resté jusqu'à l'arrivée des secours, qu'il a soutenu ta tête et serré tes doigts. t'es pas sûre, tu l'espères au fond. mais, comme hijo, tu ne mérites pas l'attention de ce jeune homme. tu l'as dénigré lui aussi, bousculé et ridiculisé. il aurait dû te laisser au bas de l'escalier jusqu'à ce que quelqu'un d'autre te trouve le lendemain. tu l'aurais mérité.
@hijo sakai