Sunday morning rain is falling {ft Amara}

Sunday morning.

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Tu te rappelles avec précision du jour où t'as appris la première grossesse de Jenny. Elle t'attendait de pieds fermes avec un test de grossesse à la main, pâle comme un linge. A ce moment là, tu ne pouvais évidement pas savoir qu'elle avait déjà pris le temps d'en discuter avec sa soeur. Et tu ne peux leur en vouloir pour ça. Au contraire. T'as toujours aimé cette relation entre les deux soeurs. Quoi qu'il en soit, t'as pas non plus fais attention au moment où elle a envoyé un texto à sa soeur. T'as eus du mal à y croire ce jour là. Même si vous tentiez d'avoir un enfant ensemble depuis votre mariage qui remontait à quelques mois, t'avais pas réalisé tout ce que ça signifiait vraiment. La vérité t'est tombée sur la tronche à ce moment là. Ce qui n'a pas été désagréable pour un sou. T'étais beaucoup trop heureux de savoir que t'allais être père. Que celle que t'aimais portait le fruit de votre amour. Encore aujourd'hui t'es conscient que vos enfants sont votre plus belle réussite.

T'as un semblant de sourire quand Amara mentionne "les tiens". Vous êtes tous très proches dans ta famille. Alors il est certain que depuis le décès de ton épouse, tu peux compter sur leur soutiens sans faille. Mais plus le temps passe, plus les conseils abondent. C'est pas forcément ce que tu préfères. Tes parents tentent gentiment de te faire entendre qu'il est grand temps pour toi de sortir à nouveau. De renouer des liens avec tes amis de l'époque. Mon frère a décrété qu'il était grand temps que je me remette en selle. Et par là il entend, cumuler les aventures. T'as le ton presque amusé alors que tu parles de lui. Tu lui as conseillé d'aller se faire voir -dans des termes un peu plus crûs- et depuis, t'évites ce genre de conversation qui ne te mets pas franchement à l'aise. T'as pas connu d'autre femme que Jenny depuis que vous avez commencé à vous fréquenter. Tu ne peux pas t'imaginer avec une autre. C'est trop te demander. Et en ce qui concerne ta soeur, elle a un peu le même genre de rôle que Amara. Présente dans ta vie de tous les jours quand elle le peut. Avec supplément rires puisqu'elle tente aussi et surtout de te dérider.

Tu n'entres évidemment pas davantage dans le sujet des conquêtes féminines. Et tu te doutes bien qu'elle va en faire de même. Poursuivre et faire mine que cette info n'est jamais arrivée à ses oreilles. T'es pas à l'aise pour mentionner ses aventures à elle. Ce n'est pas pour le faire avec les tiennes. Qui n'existent pas. Et qui ne sont certainement pas prêtes d'exister d'aulleurs. Il t'a jamais tourné autour Adriel ? Que tu demandes, davantage pour plaisanter encore un peu, que pour avoir une longue et trop sérieuse conversation. T'as envie de croire qu'il a été capable de la laisser tranquille, ta belle soeur. Il a mis le temps à se libérer de sa solitude et de son trop grand sérieux ton frère. Mais depuis que c'est fait, il est carrément insupportable avec les femmes. T'as déjà eus l'occasion de le voir à l'oeuvre. Et de lui conseiller de se calmer un peu, aussi. Parce que c'est un peu ton rôle de grand frère. Et parce que toi t'as toujours été tout le contraire avec les femmes. Même si t'as cumulé les aventures avant de rencontrer celle que t'as épousé. T'as toujours été dans le -grand- respect.

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J'ai une image bienveillante de la famille O'Brien. Au fil des années, j'ai appris à connaître chaque membre. J'envie par moment la plus jeune et sa personnalité extravertie. Elle n'a aucun problème de sociabilité, elle. Tout semble simple quand on l'écoute parler. J'aimerais avoir sa facilité à s'exprimer et interagir avec les autres. Ça m'éviterait bien des maladresses. Quant au frère, il joue un peu trop de cette même qualité pour séduire les femmes. En même temps, ça marche. Pourquoi arrêter quand on obtient ce que l'on veut après tout ? Ça ne m'étonne qu'à moitié qu'il conseille à Suileabhan de se remettre en selle. Un an d'abstinence pour lui est difficile à imaginer. Même dans le cas d'un deuil. "Je ne suis pas surprise. Il veut que tu ailles draguer avec lui c'est ça ?" Je n'en voudrais pas à Suile s'il se décidait à reprendre doucement ses sorties. Au contraire, ça l'aiderait sans doute à retrouver le moral. Même si ce n'est que pour cotoyer du monde de temps en temps. Avec le bar qu'il gère, il a déjà l'occasion d'échanger avec les clients mais ce n'est pas la même chose puisque c'est le travail qui l'y oblige. S'il décide de sortir de son plein grès, ça signifie qu'il avance. Et c'est ce point qui pose encore problème.

Je ne lui dirais jamais ouvertement qu'il doit sortir, ce serait faux. Bien sûr que je veux qu'il aille mieux et qu'il retrouve son entrain d'avant. Mais l'inciter à aller draguer des filles ? Jamais de la vie. Pas avec les sentiments que je trimbalais avec moi depuis des lustres. Sa question suivante me fait sourire et me replonge un peu dans le passé. Adriel n'a pas toujours été un dragueur compulsif d'après ce que Jenny m'avait confié, mais je n'ai connu que cette facette de lui. Loin d'être insistant, il me faisait juste quelques sourires, quelques remarques sur ma tenue ou ma coiffure. Il m'a aussi proposé de sortir boire un verre de temps en temps mais j'ai toujours refusé par principe. Adriel est séduisant mais il reste le frère de Suile. Il y a conflit d'intérêt et je ne me vois pas avoir une aventure avec quelqu'un que je risque de voir une bonne partie de ma vie. "Il a peut-être fait quelques allusions mais je n'ai pas donné suite." Pour des raisons évidentes. Quand une fille connaît le passif d'un garçon et qu'elle a un minimum d'amour propre, elle ne tombe pas directement dans ses bras. En l’occurrence, la situation est un peu plus compliquée là mais peu importe. Je souhaite à son frère de trouver une femme qui le fera changer d'attitude. Même si lui même ne semble pas pressé d'en arriver là.

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Rien que de penser à ton frère qui insiste pour que tu recommences à tourner autour des femmes, t'as envie d'aller le trouver pour lui en coller une. Mais il ne pense pas du tout à mal et ça, t'en es bien conscient. Il est juste comme ça lui. Depuis qu'il a commencé à sortir, assez tardivement, il ne jure plus que par ça. Les soirées sans fins et les filles qui se laissent charmer par son emploi assez peu commun et qui témoigne d'une certaine intelligence. Quoi qu'il en soit, tu n'es toujours pas prêt à te remettre en selle de cette façon là. Et ça, Adriel n'est pas en mesure de le comprendre. Ouais exactement ... Faudrait déjà que je retrouve l'envie de sortir, tout court. Que tu fais remarquer en soupirant ta lassitude. T'as pas envie. Vraiment pas. Tes sorties tournent autour de ton emploi, ton appartement et tes enfants. Parfois avec Amara dans le lot. Parfois pas du tout. Mais dans l'ensemble, tu ne sors pas pour le plaisir. Tu n'y prends plus de plaisir. Adriel te bouscule bien trop. Semblant considérer que le deuil a assez duré. Inconscient du fait que tu pourrais bien ne jamais t'en remettre en vérité.

Après un court moment de silence, tu ne peux t'empêcher d'interroger ta belle soeur, au sujet de ton frère justement. T'es certain qu'il a déjà tenté sa chance avec elle. Jolie comme elle est, elle est forcément passée dans son viseur à un moment ou à un autre. Ta question n'est pas très claire mais dans le fond, t'as envie de savoir s'il s'est déjà passé quelque chose entre eux. T'es curieux. Et t'as l'espoir aussi qu'il n'ait pas joué au con avec elle. Elle mérite mieux Amara. Elle mérite vraiment de rencontrer la personne qui est faite pour elle. Quand bien même elle a tout l'air d'avoir jeté l'éponge, pour une raison que t'ignores. T'écoutes sa réponse, sans mot dire. Te contentant d'un vague hochement de la tête. T'aurais pu trouver ça amusant qu'elle forme un couple avec ton frère alors que toi t'étais avec sa soeur. Mais c'est impossible. Parce que Jenny n'est plus là. Mais aussi parce que t'imagines très peu Adriel finir en couple. Ou pas avant l'âge de quarante ou cinquante ans en tout cas. Quand il se dira que finir sa vie accompagné pourrait être agréable, en fin de compte. Ou peut-être qu'il aime trop sa solitude pour ça. C'est une possibilité également et tu la respectes tout autant. T'es pas le genre à juger.

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Je ne peux que comprendre son manque de motivation. Quand on croit avoir trouver la personne avec qui l'on va passer sa vie, avec qui l'on va faire des enfants et vieillir, le dur retour à la réalité fait mal. Toutes nos certitudes s'effondrent. Se dire que plus rien ne sera comme avant est difficile. Et envisager de continuer sa vie sans l'autre l'est encore plus. Je ne suis pas à sa place, je ne peux donc pas savoir comment il vit ce manque au quotidien autrement que par l'observation et la déduction. Qu'il n'ait aucune envie de sortir, même juste pour voir autre chose que le bar ou l'appartement, montre bien qu'il n'est pas encore guéri. Mais le sera-t-il un jour ? Impossible à dire. Il n'est déjà pas au fond de son lit à se morfondre, c'est un bon début. Il ne peut pas de toute manière. Ses enfants comptent beaucoup trop sur lui. S'ils n'avaient pas été là.. je doute fort qu'il aurait fait les mêmes efforts. Ils sont une incroyable source de motivation. Et de frein également. Je ne vois pas Suile reprendre les aventures sans lendemain avec deux enfants qui dorment dans les chambres d'à côté. Aucun parent ne souhaite ça pour son enfant. Ce défilé de femmes sans nom qui ne représentent que quelques heures dans la vie de leur père.

"C'est une étape difficile. Faut pas te mettre la pression pour faire plaisir aux autres." Adriel peut être insistant, c'est même son rôle de frère de tenter de rebooster l'endeuillé. Jusqu'à une certaine limite du moins. Le forcer à sortir n'apportera rien de bon, il finira par se braquer encore plus et ce sera bien pire ensuite. Et puis il a tout de même une vie sociale à travers son boulot, ce qui n'est pas toujours mon cas par exemple. "Toi seul saura quand tu te sentiras prêt." Je ne suis pas spécialement pressée de le voir fréquenter des femmes. C'est sans doute égoïste de ma part, mais le savoir malheureux ou au moins trop triste pour faire des rencontres m'arrange bien. J'espère d'ailleurs ne jamais tomber sur l'une de ses potentiels conquêtes, je le vivrais assez mal. Ce serait même horrible. Je pourrais toujours prétexter que je n'arrive pas à le voir avec quelqu'un d'autre que Jenny sauf que si je fais ça, je le ferais culpabiliser. Pour de mauvaises raisons en plus. Voilà donc un énième sujet que je ne préfère pas aborder avec lui. Je suis donc plutôt soulagée qu'il ne surenchérisse pas à ma dernière phrase au sujet de son frère.

Lucas nous rappelle sa présence en se mettant à pleurer et à venir en courant vers son père. Il se frotte les yeux avec ses petits mains, signe de fatigue. En regardant l'heure sur ma montre, je me rends compte que nous sommes là depuis une heure déjà. "Je crois qu'il y en a un qui a besoin de recharger les batteries." Suile a emmené la poussette, en espérant que ça suffise pour le calmer et éventuellement le faire dormir un peu. J'observe Lily pendant ce temps, une de ses nattes s'est totalement détachée mais ce détail ne semble pas l'empêcher de s'amuser avec ses camarades. Elle a jeté un oeil dans notre direction en entendant son frère pleurer, en bonne grande soeur responsable. En le voyant avec nous, elle s'est sentie rassurée et a poursuivi son jeu. Je passe ma main sur la joue du petit qui s'est calmé dans les bras de Suile. "Je sais que je te l'ai déjà dit mais si un jour tu veux prendre l'air sans les enfants, je suis disponible pour les garder. Je suis sérieuse." Il prend son rôle de père très au sérieux et c'est une bonne chose. Sauf qu'en contre partie, il ne prend pas ou très peu de temps pour lui. S'occuper de deux bambins seul n'est pas une chose aisée, je ne voudrais pas qu'il s'épuise à vouloir en faire trop.

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Si t'es un père célibataire depuis un an, tu connais pas encore toutes les galères qui viennent avec. Comme le retour à une d'homme par exemple. T'as pas encore eus la moindre petite envie de faire venir une femme chez toi. Et t'es pas prêt d'en arriver à la question "est-ce qu'il est temps de la présenter à mes enfants, ou non ?". Il faudra certainement attendre quelques années avant ça. Attendre que tu te fasses à l'idée que ta Jenny n'est pas là, pour commencer. T'es pas sûr de vouloir te remarier un jour. Tu penses plutôt reprendre une vie de célibataire comme t'en avais une avant elle. Aller d'aventure en aventure sans pour autant les cumuler non plus. Simplement de quoi éviter que tu ne t'étouffes dans ta solitude. En attendant, ça pourrait arriver. T'es trop occupé à faire ton deuil pour y penser mais tu te dis que ça pourrait te heurter de plein fouet sans que tu ne le vois venir. Un jour il sera trop tard. La réalité de la vie t'aura encore une fois rattrapée et t'engloutira pour de bon. Tu ne sais pas comment t'as fais la première fois, pour te sortir la tête de l'eau.

T'as eus la chance de ne pas être seul. Y'avait Amara. Qui porte aujourd'hui encore le même deuil que toi. Y'avait ta famille. Qui a été aussi présente que possible pour te relever. Y'avait tes enfants. Pour lesquels tu te bas encore aujourd'hui. Autant de raison de continuer d'avancer malgré la peine. Malgré le gouffre qui semble constamment se jouer de toi. Te taquiner, te provoquer, faire en sorte que t'y tombes. En profondeur et pour toujours. Si tu tombes encore, tu te relèves plus. Peut-être que t'as raison ... Tu sais pas en vérité. Tu sais plus grand chose. Y'a que la douleur qui est constante. Et elle te souffle des paroles bien moins encourageantes à l'oreille celle ci. T'es rappelé à l'ordre par les pleurs de ton fils. Tes enfants, toujours là pour te ramener  à la réalité et te rappeler que t'es toujours là. Et que tu dois rester là. Lucas débarque et ne te laisse pas beaucoup d'autre choix que celui de le prendre dans tes bras. Tu ne te fais pas prier de toute façon. Tu la serres contre toi le temps qu'il se calme un peu, qu'il s'apaise. Après quoi tu pourras l'installer dans sa poussette pour qu'il y dorme un peu.  Bien vite les pleurs s'arrêtent. Et Amara vient glisser une main douce sur la joue ronde. Geste qui a le don de l'aider un peu plus encore à s'apaiser.

Finalement tu peux te pencher pour le glisser dans sa poussette alors qu'il a les yeux qui se ferment de plus en plus. Il ne lui faut pas longtemps pour s'endormir en général.  Ce qui t'arrange bien, pour des raisons évidentes. C'est Lily qu'il est plus difficile de coucher. Une vraie pile électrique qui peine à s'endormir, au contraire. Qui a besoin de deux, voir trois interminables histoires pour que ses paupières deviennent lourdes. Je sais ... Mais c'est pas encore à l'ordre du jour ça non plus.   Et elle doit bien s'en douter vu que t'es incapable de t'éloigner d'eux trop longtemps. Je sais pas c'que je ferais tout seul ... Que t'ajoutes, amusé. Tu pourrais passer du temps seul avec le reste de ta famille, par exemple. Mais tes enfants sont une partie intégrante de toi. Tu sais plus faire sans qu'ils ne soient à tes côtés.

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Si j'ai raison ? Sur ce sujet j'en suis persuadée. Personne n'est dans sa tête, ne pense comme lui ni ne ressent comme lui. S'il dit ne pas être prêt à tourner la page et avancer, c'est que c'est vrai. L'entourage est là pour le soutenir et lui donner une motivation supplémentaire. C'est à lui maintenant de faire le premier pas et de se donner les moyens pour. Je me suis moi même donnée ce coup de pieds au derrière quand j'ai vu mon neveu et ma nièce si jeunes et si fragiles durant cette épreuve. Lucas n'a pas connu sa mère, il ne peut donc pas ressentir le manque de sa présence. Il ne saura jamais ce que c'est vraiment d'avoir une mère. Sauf justement, dans le cas où Suile refait sa vie avec quelqu'un. En attendant, c'est surtout Lily qui avait besoin d'être entourée à l'époque. Elle ne comprenait pas, et c'est bien normal, où était passée sa maman tout à coup et pourquoi elle ne la reverrait plus. Un an après, elle a fini par comprendre même si la notion de mort reste assez floue pour une enfant. On parle de présence au ciel, d'ange gardien, d'autre monde.. mais rien de très concret pour une gamine de son âge. Même pour nous en fait. On se fait un tas d'illusions sur la mort sans vraiment savoir ce qui nous attend. On essaye juste de se rassurer que la vie ne s'arrête pas si vite. Qu'il y a un après.

La présence d'un Lucas en pleurs nous permet de clore le sujet. La fatigue a très vite raison de lui et Suile peut l'installer dans la poussette pour qu'il puisse y faire une petite sieste. En espérant que le bruit des enfants autour de lui ne le réveille pas trop tôt. Lily, quant à elle, continue de jouer avec les autres enfants, totalement infatigable comme à son habitude. Je propose une nouvelle fois de garder les enfants pour que mon beau-frère puisse prendre l'air mais comme d'habitude, il décline. Je préfère lui répéter plusieurs fois que mon aide lui est acquise, au cas où il l'oublierait. Je l'imagine bien être gêné de décrocher son téléphone pour m'appeler et me demander de l'aide. Alors que je n'attends que ça, en fait. Ça me fait une pause dans mon quotidien et dans mon travail.

"J'en sais rien moi..." je lui réponds en haussant les épaules tout en cherchant une idée. Puis je tourne la tête et arrête mon regard sur sa coupe de cheveux. Ils ont pas mal poussé et mériteraient un rafraichissement. Même si j'aime bien leur longueur et me retient d'y passer la main. "Prendre soin de toi. Aller chez le coiffeur par exemple." Pour un homme ça demande une demi-heure de temps, ce n'est pas grand chose mais ça pourrait au moins lui permettre de penser à autre chose qu'aux biberons de Lucas et aux nouvelles lubies de Lily. Je désigne ensuite son bras du doigt. "Pourquoi pas un nouveau tatouage ? T'as encore de la peau disponible d'ailleurs ?" Je me mets moi même à plaisanter. J'ai toujours aimé son style, ça fait partie intégrante de sa personnalité. Je sais aussi, pour l'avoir vu très peu vêtu le matin même, qu'il a encore quelques brins de peau disponibles s'il souhaite ajouter de l'encre. Mais ça c'est une décision personnelle qui demande de la réflexion. "Tu savais que Jenny m'avait demandé de lui en dessiner un ?" Ça non plus, je ne l'ai dit à personne jusque là. Je ne sais pas pour autant si c'était un secret. A l'époque, ma soeur était enceinte de Lucas et avait le projet de se faire tatouer les prénoms de ses enfants entourés d'un arabesque. J'avais le temps de lui dessiner le croquis parfait puisqu'elle n'avait prévu de le faire qu'après avoir arrêté d'allaiter Lucas. Ça ne se sera jamais fait mais j'ai tout de même gardé le dessin, en souvenir. Et parce que si je devais passer un jour sous l'aiguille d'un tatoueur, ce serait ce que je me ferais faire. En souvenir de ma grande soeur.

Sunday morning.

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Le sujet de votre conversation est relativement dangereux. Un rien pourrait vous faire basculer du côté de la gêne. Voir de la douleur. Parce que parfois le simple fait de penser à Jenny te fait un mal de chien. Mais que tu prends sur toi pour ne pas toujours le montrer. T'as pas envie que Amara s'inquiète plus encore pour toi. T'as pas envie qu'elle réalise l'importance de ta douleur. Elle doit déjà s'en douter. Mais ne pas mettre de mots dessus te donne l'impression que tu ne supportes pas si mal. Que t'es presque fort. Tu te mens à toi même donc. C'est finalement Lucas qui vous évite de trop dériver. En débarquant en courant et en pleurant. La fatigue chez les gamins, ça s'exprime toujours ainsi. Ce que tu trouves toi même fatiguant parfois. Quand les deux s'y mettent ensemble, c'est compliqué de ne pas craquer. Des peines que tu gardes pour toi, là aussi. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir Amara qui passe son temps à proposer de garder tes petits. Elle se doute que t'as besoin de souffler parfois. De juste quelques heures loin d'eux pour respirer un peu. Elle le sait, puisqu'elle te le propose encore une fois.

Mais quand tu ne t'occupes pas d'eux et que tu ne te trouves pas non plus au pub, tu ne sais plus quoi faire. Mine de rien, tu poses la question à la blonde. Qui t'offre spontanément une réponse qui ne va évidemment pas t'aider des masses. Finalement elle te propose un truc. Tu crois entendre un sous entendu derrière ça. Le genre qui te fait tout de suite sourire. J'aime bien cette longueur. Tu ne dis pas ça pour ne pas avoir à faire un tour chez le coiffeur. T'aimes bien pour l'instant. Arrivera peut-être un moment où t'en auras suffisamment marre pour aller les faire raccourcir. Dans l'immédiat, c'est surtout la coupe de cheveux de ta fille que t'aimerais revoir. Tu galères tellement à les lui brosser tous les matins ... J'ai toujours de la peau disponible pour ça ! Mais oui ... J'y réfléchis à un prochain tatouage. Qui tournera forcément autour de Jenny. T'as toujours dis que tu ne ferais jamais de tatouage en rapport avec celle qui partageait ta vie. La connerie à ne surtout pas faire. Parce que votre mariage aurait bien pu prendre l'eau, même avec tout l'amour que vous vous portiez. Maintenant qu'elle n'est plus là, c'est différent. T'as besoin de l'encrer dans ta peau pour rappeler qu'elle ne te quittera jamais tout à fait.

Ton regard cherche le sien quand elle mentionne de nouveau ton épouse. Qu'elle mentionne un tatouage qu'elle avait l'intention de faire. Tu l'ignorais. Complètement. Et là, t'es pas sûr de comprendre le pourquoi de ce secret. Vraiment ? C'était quoi ? Tu te dis que les secrets de ce genre n'ont plus lieu d'être désormais. Qu'elle n'hésitera pas à te le décrire, voir à te le montrer s'il est déjà dessiné. Tout de suite, tu te dis que ça a à voir avec vos enfants. C'est le plus logique pour un premier tatouage quand on est déjà mère de famille. Tu l'as dessiné ? Que tu demandes ensuite. T'es curieux de savoir et potentiellement de voir. Même si t'es pas sûr que ça ne te fera pas un peu de mal. D'imaginer ce tatouage qu'elle avait prévu. De penser à toutes les choses qu'elle avait l'intention de faire, de manière générale. Mais qu'elle n'aura finalement pas eut le temps de réaliser.

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Je me doute bien qu'il ne laisse pas pousser ses cheveux juste parce qu'il a la flemme de les faire couper. Que ça fait partie d'un tout. Nouveau look, nouvelle vie, c'est pas ça ? Je l'ai toujours connu avec les cheveux plus ou moins longs, je ne l'imagine pas trop avec la boule à zéro. Ça ferait bien trop hipster avec la barbe. "Lily pourra s'entraîner sur toi quand elle commencera à faire ses propres nattes !" Petit clin d'oeil pour ponctuer ma taquinerie aussitôt suivi par un sourire franc. Parce que c'est clair que ma nièce voudra faire des tests à un moment donné. J'imagine que je serais la première cobaye désignée, jusqu'au jour où elle aura une tête à coiffer en guise de cadeau. Et que l'envie de lui faire des mèches, une frange et un carré lui prendra. Sans parler du maquillage.

"C'est vrai ?" Je suis pas franchement étonnée qu'il pense à se faire un nouveau tatouage. Je suis juste curieuse de savoir si ça a un rapport avec Jenny ou non. Et je prends soudain peur. Me dire que le nom de ma soeur pourrait être à jamais sur sa peau me met mal à l'aise. Par rapport à mes sentiments d'abord, je serais forcée de culpabiliser à chaque fois que je le verrais. Puis parce que je ne pourrais qu'imaginer l'amour infini qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre et que tout s'est terminé en un battement de cils. J'espère un peu qu'il pensera à un autre moyen de se rappeler ma soeur que son prénom ou pire encore son portrait. Ou qu'il choisira un endroit un peu discret pour que je ne le vois pas trop souvent. Ce tatouage peut être libérateur pour lui mais un véritable enfer pour moi. Je garde bien entendu mes craintes pour moi, parce que rien n'est fait et qu'elles ne sont pas fondées. Elles sont même totalement ridicules quand on y pense.

Jenny a donc gardé le secret de son projet de tatouage. Ça ne m'étonne qu'à moitié, elle voulait sans doute le dire à la dernière minute ou même faire une surprise à Suile. "Alors c'est un peu compliqué à décrire mais pour faire simple c'est une arabesque avec le nom des enfants. Je me souviens encore parfaitement ses termes. Amy je veux quelque chose de simple, d'épuré, de féminin. Que les noms des enfants soient présents sans être au centre du dessin." J'essaye même de reproduire le ton qu'elle avait elle même utilisé à l'époque. Le dessin est chez moi dans un classeur de croquis. Si je l'avais laissé à portée de vue, je pense que je l'aurais fait tatouer depuis longtemps. Au lieu de faire ça sur un coup de tête, je me suis dit que je pourrais toujours le ressortir si un jour l'envie devenait trop forte. "Oui, je l'ai chez moi. Je te le montre la prochaine fois. Si tu veux." Je ne force pas, bien sûr. Parce que ça ne fera que raviver la triste évidence. Ce tatouage, elle n'aura jamais eu le temps de le faire. Elle est partie avec la peau immaculée, alors qu'elle voulait partager ce point commun avec son mari en rendant hommage aux fruits de leur amour. Rien que d'y penser, j'en ai des frissons et je bats vite des cils pour ne pas être d'un coup submergée par l'émotion. Ce n'est ni l'endroit, ni le moment.

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La remarque de Amara est parfaitement justifiée. Bientôt, tes cheveux seront assez longs pour que ta fille ait envie de s'amuser avec. Dans l'immédiat tu te dis que c'est hors de question. Mais au fond, tu sais bien que tu ne pourras pas vraiment le lui refuser. Tu sais pas tellement dire non à ta petite. Moi j'compte plutôt sur toi pour lui servir de tête à coiffer. Que tu rétorques en lançant un regard entendu à sa chevelure blonde. Elle a forcément les cheveux plus soyeux que les tiens. De quoi tenter davantage Lily, que toi et tes cheveux revêches. Tu l'espères en tout cas. T'auras pas la patience de rester à attendre pendant qu'elle tripotera tes cheveux bruns, de ses petits doigts qui risquent bien d'être sales à ce moment là. Dans la foulée vous parlez aussi tatouage. Elle n'est sans doute pas surprise d'apprendre que t'as bien l'intention d'en faire un nouveau prochainement. Et elle doit bien se douter également qu'il sera en rapport avec ta défunte épouse.

Ouais ... Je sais pas encore quoi. Que t'avoues dans un haussement d'épaules. Bien inconscient de son trouble et de ses pensées. Le plus simple serait d'encrer le prénom de ton épouse. Comme t'as pu le faire avec tes deux enfants qui ont trouvé leur place au milieu de tes nombreux autres tatouages. Mais ça reste compliqué. T'as jamais été tenté de mettre son prénom et moins encore son portrait -ou ses yeux comme certains le font-sur ta peau. T'aurais trop peur de le regretter. A l'âge que toi, tu dois être un minimum honnête avec toi même et penser au fait qu'un jour tu referas peut-être ta vie. T'aimeras de nouveau, avec un peu de chance. Sans doute pas de sitôt. Sans doute pas avant tes cinquante balais même. Mais tu sais pas comment tu géreras un tel tatouage à ce moment là. Tu pourrais le regretter. Le sujet des tatouages vous porte vers une direction inattendue. T'ignorais totalement que Jenny souhaitait en faire un. T'es surpris. Elle n'a, soit, jamais dis qu'elle ne se ferait jamais encrer la peau. Mais tu te disais juste qu'elle ne le ferait jamais. T'étais loin d'imaginer que c'était pourtant un projet. Et un projet très concret vu les détails qu'apporte Amara.

Ton regard posé sur son visage, a vite fait de se voiler alors qu'elle entre dans les détails. Qu'elle prend le ton que prenait Jenny quand elle s'emballait sur un sujet et se prenait un peu trop au jeu. Tu le reconnais ce ton. Et l'espace d'un instant, t'as l'impression de vivre ce souvenir. Comme s'il était le tien. Silence. Tes prunelles s'assombrissent alors que tu peines à repousser le voile qui menace de t'aveugler. Tu cherches un truc à répondre, n'importe quoi. Si possible, susceptible de détendre l'atmosphère. Mais ce n'est pas simple. Tu hoches juste positivement la tête parce que t'es d'accord pour le voir ce tatouage. Que t'en as même très envie. Tu te racles la gorge en détournant enfin ton regard. T'as la sensation d'étouffer. Qu'une chape de plomb vient de te tomber sur le torse pour te maintenir immobilisé pendant que t'étouffes. D'ordinaire ça ne t'arrive que quand t'es seul. Si t'avais été chez toi, dans ta chambre, tu te serais certainement écroulé à même le sol, à ne penser qu'à ta respiration pour que ça passe. Tu peux pas là. Tu peux qu'espérer que ça passe avant que l'obscurité ne s'abatte sur toi.

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You twist to fit the mold that I am in
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De nous deux, c'est moi qui ait les cheveux les plus longs donc il semble logique que si Lily a envie d'apprendre à faire des coiffures un peu élaborées, elle s'adresse à moi ou à son autre tante plutôt que son père. Ce qu'il oublie par contre, c'est qu'il est le seul avec qui elle vive H24, donc si tôt un matin, l'envie lui prend de triturer des cheveux, elle ira forcément l'embêter lui. Et réclamer un gros câlin en prime. Cette étape n'est pas encore arrivée même si elle peut survenir à tout moment. Les enfants grandissent tellement vite, leur imagination les pousse à faire des choses insensées parfois. J'attends tout de même avec impatience le jour où Suile m'enverra une photo de lui avec plusieurs couettes en guise de coiffure. Pour sûr que cette image restera dans un album bien conservé pour plus tard. Il confirme que son prochain tatouage aura un rapport avec Jenny. Je n'en saurais pas plus puisque lui même n'a pas encore décidé ce qu'il va faire. Je me contente donc d'hocher la tête. Il me fera part de sa décision le moment venu, ou j'aurais le privilège de le voir une fois réalisé.

J'évoque ensuite ma soeur et son désir de tatouage. Comme mon beau-frère n'en avait aucune idée, j'en déduis que Jenny voulait lui faire la surprise. Elle a vu le résultat final du dessin et a approuvé l'ensemble avec enthousiasme. J'aurais été honorée de l'accompagner le jour J pour le voir prendre vie sur sa peau. Comme je me souviens dans les moindres détails de notre conversation à ce sujet, je rejoue la scène pour que Suile entende lui aussi la motivation qu'elle avait à l'idée de se faire encrer la peau comme lui. Forcément, ce souvenir heureux me fait sourire mais il m'attriste aussi. Parce qu'au final il me rappelle que trop brutalement comme ma soeur nous a quitté et que ce projet n'a plus raison d'être aujourd'hui. Ce que je n'ai pas prévu par contre, ce sont les larmes qui perlent doucement à mes yeux. Le temps que je me ressaisisse, c'est Suile qui devient silencieux et qui d'un coup, peine à respirer. L'inquiétude se lit sur mes traits tandis que je me rapproche de lui pour poser ma main sur son épaule. "Suile ? Ça va ?"

J'entends ses difficultés à rester parmi nous, je n'arrive pas à voir son visage, je ne sais pas s'il le cache volontairement ou s'il est juste trop pris dans sa crise pour contrôler ses mouvements. Dans tous les cas, son état m'inquiète vraiment et je me lève pour me mettre face à lui. "Suile !" Je l'appelle, pour qu'il se concentre sur ma voix. Mes mains sur ses joues, je tente de croiser son regard, aussi voilé que le mien. Avec mes paroles, j'essaye de le ramener à la lumière. Loin des ténèbres que cette conversation a provoqué. "Tu m'entends ? Ça va aller, respire. Doucement." Je ne l'ai jamais vu dans cet état mais je doute que ce soit un épisode isolé. Lui qui veut toujours faire bonne figure, le voilà qui s'écroule devant moi. Je m'en veux tellement d'avoir provoqué cette crise d'angoisse, je pourrais me donner des baffes. A quoi je pensais sérieusement en imitant Jenny ? Comme si ça allait l'aider à aller mieux ! "Concentre toi sur ma voix. Inspire. Expire." Une larme unique coule sur ma joue. Je ne la balaye pas, elle n'est pas importante pour le moment. Tout ce qui compte, c'est Suile. "Reviens moi Suile." que je murmure en caressant son visage pour lui apporter du réconfort. A cet instant, je ne réfléchie plus vraiment. Je me contente de lui apporter ce qu'il a besoin. Une présence, une aide. Tout pour me faire pardonner ma maladresse. D'autres larmes arrivent et je ne les retiens pas. Je déteste le voir comme ça. Encore une fois, j'aurais mieux fait de me taire avec mes anecdotes stupides. "Je suis désolée..." j'ajoute en baissant la tête mais en poursuivant mes caresses pour ne surtout pas perdre le contact.