Sunday morning rain is falling {ft Amara}

Sunday morning.

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Elle a beau régulièrement te rappeler qu'elle est contente de passer tant de temps en votre compagnie, il semble que t'ais sans cesse besoin de l'entendre. Qu'elle te le répète encore et encore juste pour te le confirmer plus souvent. C'est que tu ne comprends pas. Pourquoi elle passe autant de temps avec vous, en sachant que le reste du temps elle l'emploie à bosser comme une forcenée. Tu te demandes parfois ce qu'elle a fait de sa vie de femme. Mais tu te répètes dans la foulée que ça ne te regarde pas du tout et que tu n'as pas le droit de l'interroger à ce sujet. C'est le genre de question qu'aurait pu lui poser ton épouse. Toi, tu n'as absolument pas ce droit là et tu le sais. A défaut, tu lui répètes ou lui fais comprendre de temps en temps qu'elle doit cesser de se sacrifier comme elle le fait. Même lorsque ce n'est pas du tout le ressenti qu'elle a elle même. Y'a peu de chance que ça arrive ça ... Que tu fais remarquer très sérieusement. C'est plutôt toi qui envahit un peu trop sa vie, avec tes deux enfants.

J'ai juste peur que t'oublies de penser à toi ... Que tu continues sans la regarder. T'assumes pas forcément tous les mots que tu laisses entendre. Tu ne cherches ni à la rejeter ni à lui couper l'envie de revenir passer du temps avec vous. Loin de là. Toi tout ce que tu veux, c'est être sûr qu'elle n'est pas malheureuse parce qu'elle a foutu en l'air une relation qui semblait fonctionner, pour être avec vous. Mais t'es pas assez courageux pour le dire clairement. Pour lui demander si elle ne regrette vraiment pas cette séparation. Elle t'interroge au sujet du bar et t'en profites pour ne pas revenir sur le reste. Tu préfères les conversations en surface de ce genre, pour éviter de mettre les pieds directement dans le plat. Mieux que ça même. Plein à craquer tous les soirs. J'ai du embaucher une nana. Sortie de nulle part et sans une expérience folle dans le domaine. La vérité c'est que t'as été touché par son histoire et que t'as voulu l'aider. Tendre une main à une parfaite inconnue en espérant ne pas faire une erreur. C'est plus facile que de t'arrêter sur tes propres problèmes.

Et toi ... ? Rien de nouveau ? C'est maladroit. T'es pas le type le plus sociable qui soit. Tu ne sais pas mener une conversation normale avec une personne "normale". T'as envie pourtant, de discuter avec elle. De savoir comment elle va, comment se porte sa petite entreprise, si elle sort un peu la tête de l'eau. Parce que tu ne lui racontes pas grand chose mais elle fait la même chose en retour. Elle ne se confie pas à toi. T'en comprends la raison. Ces choses là ne sont pas supposées n'aller que dans un sens. Mais tu regrettes que vous ne parveniez pas à faire de ces choses là une "normalité". Vous avez su avoir une certaine complicité quand Jenny était là. A croire que sa disparition l'a étouffé et emporté avec. Il faut dire que ça a changé énormément de choses de ton côté. Dans ta façon d'être, de te comporter, de ressentir les choses. Ou de ne plus les ressentir justement. Tu te fais la sensation de ne plus être qu'un fantôme errant depuis trop longtemps. Tu le regrettes, videmment. Mais tu ne sais pas comment te sortir de cet état là.

Sunday morning.

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Je suis rassurée par la réponse de Suile. Parfois, je m'imagine qu'il va me renvoyer chez moi, me dire que je suis trop présente et qu'il veut vivre sa vie seul avec ses enfants. Que ma présence insistante lui rappelle trop sa défunte femme et qu'il ne le supporte plus. C'est ma plus grande crainte. Bien sûr, il ne m'empêcherait jamais de voir ses enfants, il sait trop à quel point ils sont importants pour moi. Mais me demander de prendre du recul et me laisser en retrait, ça, ça pourrait parfaitement arriver. "Me voilà rassurée." que je réponds d'un murmure, retenant le soupire que je gardais pour moi. Je tourne la tête vers lui à sa remarque suivante mais je n'arrive pas à capter son regard. A-t-il décelé quelque chose qui lui fait dire ça ? Je ne donne pourtant pas l'impression de m'être négligée physiquement. Je suis toujours la même, je prends soin de mon apparence et de ma tenue. La seule chose que je ne m'imagine pas reprendre, c'est de sortir avec quelqu'un. S'il parle de ma rupture brutale avec Jack juste un peu après la mort de Jenny, il a le droit de se poser des questions. Je n'ai donné que de faibles explications à cette rupture. Parce que moi même je n'en avais pas d'autres à formuler. C'est un gars bien, il m'aurait épaulé si je lui avais laissé la possibilité. Sauf que je ne voulais pas de soutien de sa part. En perdant ma soeur j'ai compris que j'essayais de reproduire son schéma de couple. Sauf que Jack ne ressemblait en rien à Suile.

"Ma situation actuelle me convient très bien, je t'assure. Je préfère être seule que mal accompagnée." Bon ce n'est pas forcément la meilleure réplique pour qualifier Jack. Il ne m'a donné aucun motif de rupture si ce n'est qu'il était trop plat, trop normal. Et moi avec ma personnalité un peu loufoque, je ne me sentais pas totalement à mon aise même si je faisais tout pour qu'on croit le contraire. En changeant de sujet, j'espère un peu le dérider. Je sais que le bar lui tient à coeur et d'apprendre qu'il est tellement plein qu'il a dû embaucher quelqu'un me ravit sincèrement. Je pose même ma main sur son épaule pour lui montrer mon soutien. "C'est génial Suile. Tu vas pouvoir un peu souffler." Main que je retire de suite parce que le contact a ravivé des choses que je souhaite garder enfoui. Je la pose plutôt sur ma cuisse pour lisser ma robe fleurie de plis invisibles.

Je reporte un instant mon regard sur mon voisin, consciente qu'il fait un effort pour prendre de mes nouvelles. Je ne lui en veux pas du tout d'être dans un tel état. Ça me rend triste en fait. Qu'il soit tellement renfermé qu'il n'arrive plus à voir la beauté du monde. Seuls ses enfants arrivent à raviver la flamme en lui et c'est vraiment dommage. Qu'il fasse un effort pour moi me fait forcément plaisir mais je ne suis pas non plus cent pour cent à l'aise à l'idée de me confier à lui. Notre lien n'est plus le même depuis un an, c'est évident. "Je finis la nouvelle collection pour la rentrée. Après il faudra s'occuper de la promotion. Mais je suis confiante. Je suis encore loin d'une entrée en bourse mais ça me va." Et voilà. Que puis-je lui raconter d'autre ? Je ne vais tout de même pas lui parler de mon esthéticienne qui s'est fait la malle avec son prof de gym ? Oh et puis zut, ça peut peut-être le faire sourire. "J'avais rendez-vous chez mon esthéticienne hier et en arrivant au salon, sa patronne m'informe qu'elle est partie. Elle a quitté la ville du jour au lendemain avec son amant. Qui s'avère être le mari de la dite patronne. T'y crois toi ?" Bon finalement une fois racontée, l'anecdote n'a plus rien de drôle. M'enfin c'est trop tard maintenant. "C'est fou ce que les gens sont prêts à faire par amour." Je me fige. Cette phrase me décrit parfaitement et un vrai soupire s’échappe de mes lèvres. S'il y a bien un sujet délicat, c'est celui-là. Je me mords la lèvre, inquiète de savoir si j'ai mis les pieds dans le plat. Je m'en voudrais vraiment si j'avais rendu l'humeur de Suile plus maussade encore.

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Tu ne sais pas si elle s'attendait vraiment à une autre réponse de ta part ou pas. Si elle craignait de t'entendre avouer que tu pourrais te lasser de la voir à ce point souvent dans votre vie / à vos côtés. Mais tu ne demandes pas. Tu n'interroges pas beaucoup Suileabhan. T'oses pas l'ennuyer avec de futiles questions. Et surtout, t'apprends encore les limites. C'est plus flou que jamais avec elle. Fut un temps où tout était beaucoup plus simple. T'étais toujours de bonne humeur et capable de déconner avec elle comme t'aurais pu le faire avec une pote ou une soeur. Mais Amara c'est la soeur de Jenny. Et son absence ne fait que rendre flou le lien qui vous unie tous les deux. Le résultat final c'est que tu ne sais pas du tout ce qu'il en est désormais. Que tu ne sais pas non plus comment tu dois te comporter avec elle. Tu n'oses évidemment pas non plus l'interroger en ce qui concerne Jake. Elle préfère être "seule que mal accompagnée". Est-ce que ça signifie qu'elle était mal accompagnée par celui qu'elle a faillit épouser ? T'as jamais eus cette impression.

Jenny non plus d'ailleurs. Soit, elle a fait remarquer à quelques reprises qu'il était ennuyeux et qu'il finirait par éteindre la jolie lueur de sa petite soeur. Et toi tu te disais juste qu'elle avait l'air heureuse et que ça suffisait. Du coup t'enchaînes quand vous parlez du bar. Elle semble soulagée ou simplement contente d'apprendre que t'as pris un peu d'aide. De sa main qui se veut joyeuse sur ton épaule, elle interpelle ton regard qui vient rencontrer le sien. Franchement, y'a bien du boulot pour deux. Que tu réponds. Tu n'auras pas davantage de temps pour toi. Mais au moins tu t'épuiseras un peu moins. T'auras pas à courir à gauche et à droite, tout le temps. Maladroitement, tu tentes de retourner la conversation pour ramener le sujet à elle. T'as vraiment envie de savoir comment elle va et connaître les nouveautés de sa vie. Simplement, tu ne sais toujours pas comment faire. Elle aussi est assez expéditive quand elle t'apporte une réponse et se contente de quelques info au sujet de la collection à venir. Tu sais pourtant qu'elle adore ce qu'elle fait. Fut un temps où elle semblait ne vivre que pour ça.

Tout naturellement, ton regard cherche tes enfants. Juste pour t'assurer que tout va toujours bien. C'est le cas. Lily dépense son énergie à grimper dans les jeux, sans jamais prendre de trop gros risque. Et pour l'instant, Lucas ne semble pas vouloir goutter au sable avec lequel il joue. T'es assez rassuré pour pouvoir ramener les yeux sur Amara qui fait suivre des ragots. Paroles qui ont au moins le don de te faire sourire vraiment. C'est léger, c'est doux, c'est à son image. Et ça rend les propos suivants plus ou moins supportables. Même si t'as la boule au fond de la gorge qui te fait déglutir avec difficulté. T'as connu l'amour qui rend fou toi. Qui te fait faire tout et n'importe quoi. Attend de le connaître toi aussi. Le vrai. L'évidence. Celui qui te fera faire des choses que tu juges bizarres ou idiotes pur l'instant. Peut-être qu'elle connaîtra un amour interdit, comme son esthéticienne par exemple. T'en sais rien de ce qu'elle vivra dans les faits. Mais tu ne peux qu'espérer qu'elle le connaîtra ce grand amour. Elle qui papillonne depuis longtemps.

Sunday morning.

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Parler du travail est banal, ça permet de passer le temps. Je m’intéresse vraiment à ce qu’il fait du bar de ma sœur et je suis ravie qu’il ait engagé de l’aide pour ne pas avoir à tout gérer seul. Entre la clientèle à servir, superviser la commande des boissons, nettoyer le lieux après chaque soirée sans parler de toute la paperasse, je le crois quand il dit qu’il fait des nuits blanches. Mais ce genre de discussion reste très plate et superficielle. Il n’y a ni émotion ni confidence. Ça pourrait être des paroles échangées entre deux étrangers qui attendent leur bus. Est ce qu’on en est réduit à ça ? Des conversations simples pour ne surtout pas aborder les sujets qui fâchent ? Je ne suis pas la mieux placée pour donner des leçons, je ne me confie pas facilement. C’est Jenny qui me sortait les vers du nez à l’époque. Elle avait le don de détecter quand quelque chose n’allait pas. Ou quand je n’étais pas toujours sincère. La seule chose que j’ai toujours réussi à garder pour moi c’est mon penchant malsain pour mon beau frère.

Le grand amour ? Je pense l’avoir déjà regardé en face. Le problème, c’est qu’il a joué la garce avec moi et qu’au lieu de me rendre heureuse, il m’a forcé à observer, là dans l’ombre, que celui que mon cœur a choisi rende heureuse une autre que moi. Ma sœur en l’occurrence. Ce fameux après midi où elle a décidé qu’il était temps que je le rencontre. Son sourire ravi quand elle l’a fait franchir le seuil de la maison familiale. Mon cœur qui s’est pris un mur tellement le choc a été rude. Je n’ai rien dit. Je n’ai rien montré. Je me suis dit que le physique passerait et que je me rendrais compte que sa personnalité n’allait pas. Sauf que si. Plus j’apprenais a le connaître et plus je tombais sous son charme. J’en voulais à ma sœur au début, d’avoir rencontré cet idéal avant moi. Mais j’ai très vite ravalé ma jalousie pour ne pas faire cette erreur de jugement. Ma soeur était parfaite et elle méritait le plus parfait des compagnons. Alors je me suis mise à relativiser. Me dire que si il n’est pas avec moi, c’est que mon propre double devait se trouver quelque part. Sauf qu’avec les années, les déceptions s’accumulaient et mes convictions s’étiolaient. Et si tout simplement tout ça n’était qu’un défaut du système ? Un mauvais timing qui jouait en ma défaveur ?

J’aurais pu devenir aigrie et blasée en comprenant que mon bonheur serait à jamais compromis. A la place, je prenais chaque petite parcelle de bonheur qu’on m’offrait. Et depuis un an, je me contente de passer du temps avec lui, bien consciente qu’il ne pourra jamais rien se passer entre nous. Et pourtant je me surprends à imaginer ce futur comme une possibilité. Totalement surréaliste. Alors oui j’aimerais lui dire que je cherche encore. Que je suis ouverte aux rencontres pour éventuellement tomber sur la perle rare. Mais à quoi ça servirait de mentir au fond ? A la place, je hausse les épaules et je tente de ne pas trop montrer mon trouble. Parce que forcément l’entendre parler d’amour comme ça, et du grand amour en plus, ça me fait de l’effet et je suis presque tenter de lui dire ce que j’ai sur le cœur. Ma raison est trop forte, elle a appris son rôle à la perfection au fil des années. "Mon tour est passé.. Dans une autre vie peut-être.

Sunday morning.

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Tu ne comprends pas pourquoi Amara n'a pas encore eut la chance de rencontrer l'amour. Le vrai. Le grand. Celui qui fracasse l'âme et retourne l'être tout entier. Celui qui te fait évoluer, avancer, grandir. Celui qui te rend plus heureux que n'importe quoi et n'importe qui d'autre. Tu te dis malgré tout que ce n'est qu'une question de temps pour elle. Elle a encore la vie devant elle pour rencontrer la personne qui a été créée pour elle. Parce que toi tu crois en ces conneries. De l'âme soeur qui attend quelque part. Qui n'attend que la rencontre pour se manifester tout à fait. Soit, parfois la vie fait un sale coup. Ce qu'elle t'a fait en te retirant de façon brutale celle que tu aimais. T'es persuadé que sans ça, vous seriez rester ensemble. Après les premières années compliquées que vous avez surtout passé à vous apprivoiser, tout allait pour le mieux. Aucune raison pour que ça change. Normalement. Les mots de ta belle soeur t'interpellent. Tu poses un regard pour le moins surpris sur son visage.

Sérieusement ? Pourquoi tu dis un truc pareil ? T'abandonnes déjà les recherches ? T'essaies de plaisanter / taquiner. Même si tu n'as toujours aucune envie de te mêler de ce qui ne te regarde pas. Surtout à ce sujet là. C'est sans doute étrange pour elle de parler amour avec son beau frère. Elle aurait forcément préféré le faire avec sa soeur. Elle le faisait certainement souvent avec elle. Je suis désolé, ça ne me regarde pas du tout. J'essaie juste ... D'avoir une conversation "normale" pour une fois. Que tu t'excuses maladroitement, en évitant de nouveau son regard. Sans doute qu'il faudrait mieux que tu t'abstiennes. Elle n'ose sans doute pas te dire qu'elle n'a pas même envie de parler avec toi. Tu comprendrais pourtant. Et t'es pas même assez susceptible pour mal le prendre. Tu préfères largement la franchise à toutes épreuves. Fort heureusement, ta fille choisis ce moment pour vous rejoindre en courant. Tu l'attrapes au vole quand elle te fonce dessus et la flanque sur tes jambes. Tu ne l'avoueras pas, mais t'es un peu soulagé qu'elle vienne mettre fin à cette ébauche de conversation.

Papa z'ai soif ... S'il te plait ? Elle ajoute les derniers mots en levant ses grands yeux bleus, innocents, vers toi. De quoi te faire sourire avant que tu n'attrapes ton sac pour en sortir une bouteille d'eau. Dis donc, j'espère que t'y as pas passé trop de temps sur cette natte ... Tu t'adresses à Amara tandis que tes doigts filent sur le front de ta fille pour ramener quelques mèches égarées et trempées de sueur, sur le sommet de son crâne. Parti comme c'est parti, la coiffure ne ressemblera bientôt plus à grand chose. Ce qui est normal. Les enfants sont faits pour se lâcher autant que possible lorsqu'ils se trouvent en extérieur. Tu préfères ça plutôt que d'avoir une Lily débordante d'énergie au moment d'aller dormir. Papa peut-être que Lucas aussi il a soif. Non ? Encore un sourire de ta part et tu sors le biberon pour le remplir à moitié d'eau. Biberon que tu donnes ensuite à ta fille pour l'inviter à s'occuper elle même de son petit frère. Tu sais qu'elle aime bien faire ça. Et toi t'aimes voir la complicité entre eux. Tu trouves Lily très responsable quand il le faut. Jamais ils ne se chamaillent tous les deux. Elle se risque aux caprices avec toi mais quand il s'agit de son frère, elle est très généreuse.

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Si la question est indiscrète ? Pas du tout, Suile fait partie de mes proches depuis suffisamment longtemps pour qu'il puisse se permettre ce genre de privilèges. Est-ce que la conversation est étrange ? Complètement. Puisqu'il est le centre de la discussion mais qu'il ne le sait même pas. Avec quelqu'un d'autre je pourrais m'épancher un peu plus sur le sujet. Avec lui, je préfère esquiver pour qu'il ne capte rien. J'évite les signaux, je reste discrète quand mon regard se permet de le regarder, je ne montre pas de trouble. Du moins j'essaye mais c'est dur actuellement. Quand l'homme que vous aimez depuis des années vous parle d'amour, vous avez forcément envie de le secouer pour qu'il comprenne ce qui se passe sous son nez. Moi je ne peux pas et pire encore, j'en serais certainement jamais capable. Jenny sera toujours entre nous, peu importe ce qui se passera. Ce rêve auquel je tiens ne se réalisera jamais. S'ils s'étaient simplement séparés, les choses auraient été différentes. Pas forcément plus facile à gérer pour autant cela dit. Dans tous les cas, être amoureuse du mec de sa soeur est une mauvaise idée. Très mauvaise.

"J'ai tiré la boule noire c'est tout." Je crois pas vraiment en tous ces trucs de destin mais je sais que Suile, si. Je pars du principe que l'on récolte ce que l'on sème. Je pourrais donc tout faire pour séduire mon beau frère. Mais à quel prix ? Sacrifier le lien un tant soit peu solide entre nous pour un amour voué à l'échec ? A quoi bon. Je le sens gêné de m'avoir ainsi bousculée, pourtant c'est bien la première fois depuis longtemps qu'il a l'air d'être réellement à fond dans une conversation. C'est agréable, dommage que ce soit justement pour ce sujet là. "Bien sûr que ça te regarde. On est une famille, pas vrai ? Faut pas te sentir gêné de me parler Suile." J'essaye encore une fois de le rassurer, parce que je n'ai pas envie que cela devienne une habitude entre nous. Qu'il s'excuse à chaque fois qu'il ose exprimer son opinion en ma présence. Au contraire, ça montre son intérêt pour moi et ma vie et c'est suffisamment important pour moi pour que j'en tienne compte.

Je suis soulagée de voir débouler Lily toute dégoulinante pour réclamer quelque chose à boire. Sa coiffure est ébouriffée mais le gros de la natte tient encore. Puis au pire des cas, c'est rapidement refait si elle commence à partir dans tous les sens. Je caresse moi aussi une mèche humide de ma nièce pendant qu'elle se désaltère avec un sourire attendri. "Elle est mignonne comme ça. Puis quand on lui enlèvera, elle aura plein d'ondulations dans les cheveux. Je pense même que ça lui plaira encore plus que sa coiffure actuelle." L'énergique petite brune court vers son frère pour lui donner son biberon d'eau et les voir ainsi ensemble me fait sourire mais me sert le coeur en même temps. Leur lien de parenté est indéniable, ils se ressemblent tellement tous les deux avec leurs cheveux châtains et leurs yeux clairs. Vu comme c'est parti, Lily sera une grande soeur protectrice envers son frère. Et lui aurait tord de ne pas en profiter.

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Tu doutes vraiment que ce soit très sain d'avoir une conversation de ce genre avec ta belle soeur. Ne serait-ce que parce que c'est le genre de sujet qu'elle devait avoir plutôt avec Jenny. Parce que parler amour c'est un truc que font les femmes entre elles, non ? C'est ce que tu t'es toujours imaginé en tout cas. Et à chaque fois qu'elles ont passé du temps rien que toutes les deux, t'es parti de l'idée que c'est précisément ce genre de truc qu'elles se racontaient. Sans être bien certain, bien entendu. Et maintenant tu te surprends à en parler avec elle. Maladroitement, soit. Parce que t'essaies de ne pas dépasser des limites que t'imagines bien être là et que tu te fixes toi même. Pour ne pas risquer de foutre en l'air cette relation entre vous. Ce lien auquel tu tiens. Duquel t'as besoin, aussi et surtout. Mais tu ne peux pas t'empêcher de vouloir analyser ses mots. Est-ce une façon de dire qu'elle a déjà rencontré la personne qui fait battre son coeur, sans avoir le droit d'y toucher, pour une raison ou pour une autre ? Tu ne t'imagines ça qu'un très court instant. Très vite, tu te dis que c'est idiot, que ça ne peut pas être ça, que tu te fais des films.

T'avoues un peu de ta gêne alors que la conversation se poursuit mais que tu ne peux t'empêcher de penser que t'aurais pas lancer une telle conversation. Evidemment, Amara te contredit. Mais de sa part ce n'est pas bien surprenant. Elle fait tout pour te relancer depuis un an. Pour te secouer aussi gentiment que possible et te rendre forme humaine. Tu ne l'imagines pas du tout te confirmer que ça ne te regarde pas. T'es juste trop gentille pour me faire remarquer que tes histoires d'amour ne me regardent pas. Que tu ne peux que faire remarquer, le ton toujours à l'amusement malgré tout. Tu ne lui en voudrais pas vraiment de te faire une telle remarque. Et en même temps, il est certain que ça te ferait reculer de plusieurs pas. Mais j'me suis toujours imaginé que c'était à ça que ressemblaient vos conversations, quand vous filiez toutes les deux avec Jenny ... Que t'ajoutes avec un semblant de sourire. Quand vous rendiez visite à ta belle famille et que les deux soeurs s'éloignaient un peu pour discuter.

Votre semblant de conversation est mise à mal par l'arrivée de ta fille qui veut boire. T'as vite fait de lui sortir une bouteille. Il suffit que ça vienne de toi pour qu'elle soit ravie. Que tu fais remarquer, amusé. Il pourrait bien commettre l'exploit incroyable de lui faire exactement la même coiffure, qu'il n'aurait pas droit au même résultat de sa part. Aucun doute qu'elle se contenterait de dire que oui c'est joli mais que tatie fait bien mieux encore. Tu t'es habitué. T'es loin de te vexer. En partie parce que tu sais que c'est juste parce qu'elle adore sa tante. Qui a le mérite d'être une femme. De pouvoir être son modèle, à défaut d'avoir encore sa mère pour ça. Ta petite file déjà rejoindre son frère pour lui donner de l'eau. Elle reste sagement à côté de lui pendant qu'il boit, pour ensuite te ramener le biberon. Elle a toujours été très fière d'être une grande soeur. Tes enfants de nouveau bien occupés, tu t'installes contre le dossier du banc, les bras croisés sur le torse.

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Je ne suis pas spécialement à l'aise dans cette conversation et Suile le constate. Mais contrairement à ce qu'il pense, ce n'est pas parce que je ne veux pas en parler avec lui mais bien parce que je ne peux pas. Il y a conflit d'intérêt et pour lui expliquer ça, il faudrait que je laisse échapper des secrets que je garde depuis trop longtemps gardés. Donc je me tais, je lance des sous-entendus sans pour autant développer et ça passe. Je suis amusée tout de même quand il insiste pour dire qu'il n'est pas la personne la plus qualifiée pour discuter de ça avec moi. Au moins sur ce point, nous sommes d'accord ! C'est quand même dommage de devoir se censurer sur des sujets à ce point banals. "Je laisse le soin à ta fille de te le dire un jour" que je réplique en imaginant très bien la scène dans ma tête. Mon beau-frère avec une quinzaine d'années de plus, tentant de découvrir l'identité du mystérieux amoureux de sa fille sans qu'elle ne le découvre.

Cette petite plaisanterie permet de détendre l'atmosphère, vite à nouveau alourdie par la mention de ma défunte soeur de la bouche de son mari. Qu'il dise librement son nom est assez rare pour le souligner. Surtout pour parler d'un souvenir heureux du passé. Alors je ne soulève pas ce fait, plutôt étonnée qu'il s'intéresse à ce que deux soeurs pouvaient se dire dans l'intimité. "On parlait de plein de choses, pas que de garçons heureusement. Tu savais par exemple qu'elle m'avait confié avoir du retard quand elle attendait Lily ? Je crois que tu n'étais même pas au courant toi même." Jenny ne m'en voudra pas d'avouer ça, plusieurs années plus tard. Je n'ajoute rien de plus puisque ma nièce arrive à ce moment là pour quémander à boire. Je ne veux pas qu'elle entende notre conversation pour qu'elle ne pose pas un tas de questions sur sa mère et qu'elle mette à mal le courage de Suile. Ni le mien par la même occasion.

La distraction qu'elle offre quelques instants est bienvenue. Elle me permet de reprendre mes esprits tandis que je me redresse sur le banc. Je garde les yeux sur les deux têtes brunes quand ils sont ensemble et encore ensuite, quand ils s'occupent chacun de leur côté. J'ai bien conscience d'être importante dans la vie de Lily, c'est toujours plaisant d'être appréciée. C'est réciproque d'ailleurs, je ne verrais plus ma vie sans eux désormais. Le vide dans mon coeur depuis la mort de Jenny est en partie comblé par leur énergie et leur vitalité. Il me suffit de penser à eux pour sourire et oublier mon chagrin. Parce que l'heure des pleurs est derrière nous à présent. Il faut voir l'avenir, leur enfance qui doit être aussi belle que possible. De préférence sans trop de fantômes pour les hanter. Je serais la première à leur décrire leur mère quand ils seront un peu plus grands pour comprendre. Je me souviens de tout un tas d'anecdotes sur elle et notre propre enfance pour pouvoir en parler pendant des heures. Chaque chose en son temps. Pour l'heure, il faut déjà réussir à guérir le coeur du père. Ce qui est déjà une tache conséquente en soi.

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Tu sens bien que malgré toutes ses belles paroles, elle non plus n'est pas très à l'aise avec le sujet de conversation. Ce que tu ne peux évidemment pas lui reprocher. C'était maladroit de ta part de parler de tout ça. Mais ça prouve au moins que tu t'intéresses un tant soit peu à elle et à sa vie. Que t'as envie de savoir comment elle va, globalement. Parce que tu te dis qu'elle a quand même une vie en dehors de tes enfants et de son travail. Hm ! Me parle pas d'malheur. Que tu grondes, ours mécontent, quand elle mentionne un peu l'avenir avec ta fille. Tu seras forcément le genre de père qui fait tout pour savoir si sa fille fréquente un garçon ou non. Et si c'est le cas, qui veille au grain et qui n'hésite pas à aller trouver le gamin pour le prévenir qu'il a tout intérêt à bien se tenir. C'est mal, tu le sais. Mais tu ne seras rien de plus qu'un papa hyper protecteur. Ancien flic par dessus le marché. Autant dire que c'est toi qui lui donneras du fil à retordre et non l'inverse, lorsqu'elle sera en âge de fréquenter des garçons. Vous ne serez d'ailleurs pas d'accord sur cet âge là.

Pour une fois, tu fais l'effort de mentionner Jenny, sans le faire dans un contexte trop sombre. D'ordinaire tu n'as à parler d'elle qu'auprès des gens qui présentent leurs condoléances. Et ceux qui ignorent encore ce qu'il en est et qui, tout naturellement, te demandent comment elle va et où elle est. T'es surpris de parvenir à dire son nom sans avoir la sensation que tu vas t'écrouler tout de suite derrière. Le fait que ce soit avec Amara y est sans doute pour beaucoup. T'as besoin de croire qu'un jour vous serez capables de parler d'elle pour vous remémorer les bons souvenirs. Ce n'est pas encore le cas. Ça reste compliqué. Amara a tout juste le temps d'ajouter une confession, que vous êtes interrompus par ta fille venue boire un peu. Petite pause dans une conversation qui te donne l'impression de marcher sur un fil. T'es terrifié à l'idée de basculer et d'avoir le mot de trop. Celui qui rouvrira en grand la plaie qui ne s'est jamais tout à fait fermée. Mot de trop qui pourrait venir d'elle également, tu le sais.

Je savais pas. Que tu confies après de longues minutes de silence alors que vous êtes de nouveau seuls tous les deux. Mais tu n'en veux pas à Jenny. Pas du tout. Tu comprends parfaitement le lien entre deux soeurs. T'es simplement curieux de savoir les autres choses qui ont pu être dites. Est-ce que Jenny se confiait à elle lorsque, au début de votre relation, t'étais incapable de te laisser aller aux sentiments au point de ralentir votre relation et de provoquer de nombreuses disputes ? Est-ce qu'elle s'est confiée également lorsque les choses ont fini par se débloquer et que tout est allé très vite ? Est-ce qu'elle se plaignait parfois ? Est-ce qu'elle se réjouissait et s'extasiait sur leur vie de couple et de famille, à d'autres moments ? Des questions que tu ne poseras évidemment jamais. Les confessions qui ont été faites entre les soeurs, doivent rester leur truc à elles. Des choses que Amara gardera pour elle et chérira toujours. Mais c'est pas si surprenant non plus. Que tu conclus quand même pour qu'elle n'aille pas s'imaginer que t'es déçu d'apprendre la chose.

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You twist to fit the mold that I am in
But things just get so crazy living life gets hard to do.

Comme je m'y attends, Suile n'aime pas imaginer l'avenir amoureux de Lily. Cette petite lui créera forcément des problèmes à un moment donné, que ce soit par son choix d'amis, de petits amis ou même d'études. On ne peut pas correspondre parfaitement aux attentes de ses parents. On a beau les aimer de tout notre coeur, ça reste notre vie. Quand j'ai décidé de créer mes propres bijoux, ma mère pensait que je parlais d'un hobby, comme d'un jeu pour passer le temps. Sauf que pas du tout. J'y tenais à mon rêve et j'ai réussi à le réaliser. Ce n'est pas facile tous les jours pour autant et je ne dois surtout pas relâcher mes efforts si je veux rester dans la course. Le commerce est un milieu hostile qui demande de rester sur le qui vive et d'avoir constamment une longueur d'avance. Donc si ma nièce tient un peu de moi, elle risque de donner des cheveux blancs à son père avant l'heure. En attendant, sa réaction de papa poule est touchante et me rappelle celle de mon propre père la première fois que je lui ai ramené un garçon à la maison. Étant la dernière, il s'attendait sans doute à ce que je prenne mon temps. Sauf qu'avec Jenny et son amoureux parfait, je me devais de trouver comme rivaliser.

Les enfants désaltérés, le silence revient en force entre nous. Ça ne me dérange pas, j'ai fini par m'y habituer. Puis je préfère ça à une conversation forcée. Je sens tout de même l'intérêt de mon beau-frère concernant la confession que je lui ai fait quelques minutes plus tôt. "Ça ne m'étonne pas." Je me souviens parfaitement du moment où Jenny m'a appelé en panique et m'a demandé de la rejoindre chez eux. Suile était au poste donc nous étions seules. En arrivant là-bas, je l'avais trouvé assise à la table de sa cuisine, une boîte de test de grossesse devant les yeux. Elle l'observait comme si elle allait lui dire quelque chose. Je me souviens parfaitement de la peur qu'elle avait ressenti mais aussi de l'immense joie qu'une potentielle grossesse représentait. Après une longue conversation, je l'avais quitté avant que son mari ne rentre pour les laisser découvrir le résultat du test ensemble. Le texto qu'elle m'a envoyé quelques heures plus tard ne contenait qu'un "+". La petite Lily était en route.

"Les liens fraternels sont les plus forts. T'as aussi cette complicité avec les tiens non ?" Enfin sans doute plus avec son frère qu'avec sa soeur pour le coup. La différence d'âge n'aide pas toujours à être proche. Puis Kate voyage beaucoup elle aussi, elle a une vie totalement différente de son grand frère. Elle a été d'un grand soutien à la mort de Jenny, même pour moi. Après tout, je venais de perdre la seule soeur que j'avais, me retrouvant d'un coup seule avec mes émotions ingérables. Je n'avais plus cette épaule sur laquelle me raccrocher ni cette oreille attentive qui m'aidait à avancer. J'ai fini par me faire à l'idée, je n'ai pas vraiment eu le choix. Mais je me surprends parfois à parler toute seule, à m'adresser à ma grande soeur en pensées, lui demander son avis sur mes choix, sur ma vie en général. Je ne suis pas quelqu'un de très spirituel mais je suis persuadée qu'elle nous observe actuellement et qu'elle aimerait donner un coup de coude à son mari pour qu'il se réveille de sa torpeur.