(libre) morning will come, it has no choice

morning will come, it has no choice. (marty rubin)

Les passants qui avaient dû longer le banc où la longue silhouette était avachie avaient sûrement fait un pas de côté, le nez légèrement retroussé, une vague lueur dégoûtée au fond des yeux. Un vagabond. Voilà ce qu'ils avaient dû se dire, en jugeant le jeune homme affalé. Un poivrot. Un sans abri. Un drogué. L'une de ces options. Ou deux. Ou les trois en même temps. Il n'aurait pas dû se trouver là, il gênait leur course matinale, leur marche pressée vers le boulot, la promenade quotidienne du chien. Il n'était pas rassurant, il donnait une vilaine image, il rappelait les choses qu'on préférait sans doute ne pas voir en face (ne pas voir du tout). Pourtant, s'ils s'étaient approchés, s'ils s'étaient légèrement penchés au-dessus du corps assoupi, ils auraient vu qu'il avait peut-être les traits tirés, mais que pour le reste, il n'empestait pas particulièrement l'alcool, et le joint fumé la veille n'était plus qu'un souvenir informe que Marlon ne garderait pas. Ils auraient même peut-être constaté qu'il avait plutôt belle allure, dans ses vêtements sombres, près du corps; qu'il avait sur le visage une constellation de pointillés qui auraient pu lui donner un air espiègle s'il n'avait eu le regard aussi indolent ou cynique (selon le jour, l'humeur, les circonstances ou les besoins). Qu'il avait tout du vaurien, mais rien du déraciné.
Il s'était juste posé là. Flemme de rentrer.
Ce fut un jappement de canidé, ou le crissement de pneus, ou le cliquetis de talons pressés, ou l'accumulation des sons ambiants de la ville qui s'éveillait (même si elle ne dormait jamais tout à fait) qui tira Marlon des limbes dans lesquels il errait depuis qu'il s'était échoué là. Il n'ouvrit pas immédiatement les yeux, toutefois. Il inspira, las d'avance, et se tortilla pour se tourner sans tomber du banc. Les mains plaquées sous les aisselles, il expira lentement et hésita à se laisser à nouveau happer par le sommeil (c'était tentant, qu'est-ce que c'était, une dizaine de minutes de plus, après tout?) mais une délicieuse odeur de café frais l'attira vers la lumière et Marlon capitula, clignotant des paupières, aveuglé par la clarté matinale, et il tourna la tête pour situer l'origine du parfum exquis qui éveilla ses sens et le ramena définitivement sur terre. Lentement, non sans laisser échapper un grognement de douleur lorsqu'il déplia ses longs membres ankylosés, Marlon se redressa et s'assit convenablement. Il lorgna la personne qui savourait son café et il fouilla ses poches, en quête d'une cigarette (autant commencer la journée en s'embrumant les poumons, même si c'était surtout pour s'occuper les mains que le jeune homme avait ce réflexe).
- Il sent bon, votre café. Il vient d'où? s'enquit-il, l'élocution quelque peu entravée par le cylindre qu'il venait de glisser entre ses lèvres, tandis que ses doigts bataillaient avec la roulette de son briquet.