(tw: sexe) all she wanted was the answer

J’ai cru un instant que les loups avaient cette faculté d’hibernation profonde. Mais ce sont des individus qui s’adaptent aux saisons. Ils ont la fourrure assez épaisse pour les combattre et s’en accommoder. Ils avancent, bien plus rapidement que les hommes, et oublient l’hiver glaçant grâce à leurs poils drus présents entre chacun de leurs coussinets.
Les individus sont avertis...

Selena, reine des impairs, avait voulu planifier la distraction.
Habituée à l’acquis.
Avec Dusan, c’était tout autre chose.
C’était une histoire sans prémonition, sans projection.
Aux risques de le perdre ou d’être abandonnée.
Il y avait une inconnue à découvrir, à adoucir.
Ce soir, elle s’était donnée à lui sans vergogne.
Cette libération n’avait été soumise à la jurisprudence.
Sans aucune négociation et sans remise de peine.

Elle n’a pas l’habitude Selena.
Les chambres luxueuses, la tapisserie au mur, le velours sous les orteils.
Les draps côtés, doux et parfumés.
La champagne qui brille aux yeux après un repas satisfaisant.
Du papier à musique.
L’aspiration sans sentiment, une tension mécanique non palpable et sans état d’âme.
Martelé.
Elle est trop généreuse Selena, parce qu’elle croit que tout le monde peut la satisfaire en contrepartie de pouvoir satisfaire l’adversité.
Pour une simple liberté d’esprit et de corps.

Ce soir, c’est tout son contraire.
Dans les bras protecteurs d’une bête profondément touchée par la spontanéité.
Une réciprocité. Un miroir.
Une fusion.
Une première fois, qu’elle espérait nombreuses à l’avenir. Parce que l’animal qui l’emmenait au septième ciel lui faisait ressentir des émotions particulièrement sereines.
La liberté.
La lune qui les accompagne dans ce moment intime.
Un soulagement. Une respiration profonde. Un gémissement.
Les muscles se relâchent, sereins.
L’endorphine s’installe progressivement dans la tête de Selena.
Appuyée sur ce mur de briques rouges, reprend doucement l’assistance de ses jambes sur le sol lisse des toits new-yorkais.
Le souffle toujours saccadé. L’effort physique et intense prend doucement sa fin. Après la faim.
Le regard perdu dans celui de son amant.

Loup, bestial sois-tu, je ne me lasserai jamais de ta franchise.
Avec toi le monde est différent, si vrai.
Tu m’as sorti de mes pensées conventionnelles, de mon quotidien morose.
Restes avec moi un instant…

Ce temps ensemble, dans le silence et l’union de nos souffles.
La sensation n’est pas la même qu’à l’accoutumé.
Un lien particulier s’est comme créé entre nous deux sans que je puisse l’expliquer.
Prendre ce temps avec lui, sur ces toits, c’était des émotions complètement différentes de mes nombreuses expériences antérieures.
Il n’a pas l’air d’être celui qui profite et se retire sans rien ajouter.
Je gardais ces sensations à l’intérieur de mes tripes comme on garde un secret.
Je lui avais donné ces quelques minutes charnelles comme une délivrance que j’avais attendu depuis si longtemps.
Déjà parce qu’il m’avait prise dans ses bras, et parce qu’il y avait eu ce rituel animal en amont.

La main caressait les cheveux humides avant que Dusan ne me repose doucement à terre.
Il y avait dans mes jambes une faiblesse permissive aux tremblements.
Je ne ressentais qu’une forme humaine à l’intérieur de mon corps. Alors quand mes pieds retrouvèrent le sol, j’eus cette impression de laisser tomber un fardeaux, comme la lourde peau d’une bête tout juste braconnée.
Effarouchée, j’attrapais rapidement le tissu en dentelles pour le remonter à mes cuisses, tout en regardant le Loup. Les joues roses et intimidées.
Je m’étais mise à nue devant lui, pour lui.
J’avais fait cela pour aucun homme ou aucune femme. Parce que la vie m’avait conditionné à un certaine rythme. Je n’avais pas supposé qu’un jour, un être puisse arriver de nul part pour me bousculer.
Sans les mots.
Sans la bien-séance.
Mais simplement avec les vertus de l’instinct animal, en m’invitant à y participer.
Ma crainte aujourd’hui est d’y prendre une certaine addiction, parce que j'ai intimement aimé cette approche. je m'y suis prêtée malgré moi.
L'addiction.
Une réaction typiquement humaine à tout ce qui est nouveau, plaisant et si répondant à notre jardin secret…

Peut-être que nous étions observés, c’est vrai. Et peut-être que ce spectacle n’était pas compris de beaucoup. Il est qu’une simple poésie comme aurait pu l'écrire La Fontaine. Mais je supposais la morale plus douce et réversible à ces deux protagonistes qui s’harmonisaient dans une parfaite symbiose, comme le Ying et Yong.
A qui pouvait le vivre réellement, le comprendrait.
L’essoufflement après l’effort.
Les regards qui se croisent.
Les pieds lourds soudés au sol.
J’avançais vers Dusan pour glisser la main dans la poche ventrale de son vêtement. Je retrouvais le paquet de cigarettes et son briquet. Ceci afin d’en griller une. Ensemble, s’il était d’accord.

La fumée doucement traçait son sillon dans la brise fraîche de la nuit.
Je ne cessais de le regarder, d’observer les détails de ses cheveux bouclés. Son visage blanc muni de ces magnifiques yeux cuivrés. L’animal, perché au-dessus de moi.
Un sourire se mêlait à mon observation.
Une complicité peut-être.
« J’ai plus envie de t’appeler Bosco… »
La nicotine douce s’enfilait dans le larynx pour retrouver chacune des alvéoles de mes poumons.
La cigarette prit finalement la direction de Dusan, à la recherche d’un baiser volé par l’intermédiaire du filtre.

Cette manière de secouer ses cheveux à la brise du vent, de gauche à droite, comme un essorage. Je voyais toujours l’animal en lui, comme un loup qui sort d’un point d’eau, chassant vivement l’humidité enfoui entre les mèches de son poils. Je m’en délectais, passant le bout de ma langue sur ma lèvre supérieur, jusqu'à la canine. Je m’imaginais un instant être la louve qui fouille ses babines en caressant ses dents supérieures.

J’appréciais particulièrement cette connexion, ce sentiment de sécurité que nous partagions. Une manière de s’avouer mutuellement que nous avions apprécié cet échange intime sans jugement. Je m’imprégnais de lui malgré tout, car oui, nous avions fait l’amour ce soir.  
Bien sûr que je me rappelais de son prénom, et en y repensant c’est vrai que je pouvais facilement me tromper…
Entre Koval, Bosco, Dusan, Mon Loup…
« Dusan, Mon Loup... »

Nous avions pris place contre le mur en briques rouges. Assis, tous les deux. Le regard qui se cherche, tout comme j’aimerai retrouver de nouveau ses lèvres. Parce que malgré tout, faire l’amour n’est pas le seul motif pour pouvoir se rapprocher de quelqu’un.
N’est-ce pas ?
Le croissant de lune éclairait bien plus que les rayons lumineux urbains, sa jeunesse reflétait tellement depuis qu’il était sorti de lui même. Depuis qu’il s’était abandonné avec moi.

Je passais une main sur sa cuisse pour me rapprocher de lui. Il semblait interrogateur sur mon espèce animale. Je pensais qu’il avait fait la liaison.
« Comment me vois-tu maintenant ? »
C’est vrai ça, comment me voyait-il maintenant ?
Qu’avait-il désiré précédemment, une louve ou un cygne ?
Je me voyais comme sa femelle, sa louve Alpha, mais peut-être que lui voyait quelque chose de plus frêle et volatile ?
« D’ailleurs… te souviens-tu de mon prénom toi aussi ? »

Plus nous passions du temps ensemble et plus j’avais cette impression qu’il était le genre de personne à s’effacer et à rester discret.
Le fait de lui demander son avis, ça avait l’air de le mettre en difficulté.
J’avais déjà pris trop de place avec mes délires et mes propositions farfelues.
« Eh bien… Je ne me sens plus vraiment cygne depuis que… enfin. Depuis qu’on est monté sur ce toit... »
Ce sourire, nous le portions tous les deux sur nos visages blancs.
Les yeux de Dusan me rappelaient encore ce whisky, cela m’en donnait presque soif.
Je n'avais pas envie qu'il s'efface, bien au contraire. J'appréciais qu'il me dise son avis, ses envies.

Je le regardais réfléchir. La soirée avait été mouvementée alors la perte de mémoire pouvait se justifier.
Ce n’était pas vexant, mais il fallait avouer que j’étais du genre à croire qu’on se souvient du nom de la personne qui nous bouscule. Peut-être un défaut professionnel ça aussi.

Wingston. Il se souvenait de ce nom. Ce nom que je ne portais pas. Finalement c’était peut-être une bonne chose. Ou pas.
Je tentais de cacher ma petite déception. Et puis il finit par m’avouer le pot aux roses.
« Tu t’en souviendras peut-être la prochaine fois… »

Je ne souhaitais pas tout lui dire maintenant. Laisser une part de mystère, ce fameux mystère dont je m’étais finalement accrochée lors de notre premier échange de regard. Mais ses mots me laissaient songeuse. Il avait dit cela, comme si qu’il avait cette habitude de rencontrer du monde. Peut-être étais-je une personne parmi tant d’autres ?
Et peut-être qu’il ne se souvenait pas du nom des gens parce qu’il ne les revoyait pas ?
« A moins que tu n’envisages pas de me revoir… »
Je me rappelais lui avoir laisser un morceau de papier avec mon numéro de téléphone. Cette fameuse réservation...

Quand Aymeric tentait ce genre d’approche, je l’envoyais toujours sur les roses. Je n’appréciais pas ses attentions et ses petites manières pour tenter de me mettre dans son lit. Nous étions mari et femme, mais juste mari et femme.
Avec Dusan, c’était… particulier.
Mes yeux observèrent son délicat manège, me faisant sourire au coin.
Des frissons au toucher à ses doigts contre les miens. Ceci pour s’entremêler dans un petit jeu d’enfant.
Je pouvais être ce que je voulais. Vraiment ?
« Je dois avouer que je me suis imaginée dans la peau d’une louve depuis que nous sommes montés ici. Et ça me plait bien... »
Mon regard cherchait le sien.
« Ta louve... T'aimerais ? »

Ce jeu du bout des doigts, c’était totalement inconnu pour moi. Je ne connaissais pas ce genre de délicatesse mais y participais. Cela me faisait penser à ce genre de comportement qu’ont les adolescents quand ils découvrent leur sexualité. Sauf que je sentis rapidement sa gène.
J’avais peut-être fait mouche ?
Ses mots sonnaient comme une promesse.

Ses paroles me redonnent le souris.
Je pensais encore que je n’avais rien à lui apprendre. J’espérais tout de même qu’il n’adapte pas son discours à ma personne. Le but n’étant pas qu’il me dise ce que j’avais envie d’entendre, mais bien que cela vienne de lui.
Ce baiser, si doux.
Je le prolonge parce que j’apprécie particulièrement ce goût de tabac mentholé. Ce baiser qui me rappelle notre étreinte précédente. Un baiser feutré, appuyé, qui prend sa pause au bout de quelques secondes.
Je chuchote.
« Selena... »
Nos mains se serrent et je passe le pouce sur la paume de sa patte. L’empreinte y dessine des ronds et des arabesques aléatoires.
Le baiser se prolonge un peu, beaucoup, passionnément… avant que je reprenne une respiration lente.
Un souffle.
« Mais je crois que j’aime qu’on se voit ainsi… cette réservation finalement, c’est peut-être un peu too-much non ? »
C’est vrai.
Pourquoi tout programmer ?
Ce moment ensemble, ici et maintenant, c’était bien plus épanouissant qu’une soirée bien ficelée.
J’avais envie de découvrir Dusan, et surtout de lui laisser le choix parce qu’il n’avait pas l’air de l’avoir très souvent ce choix…