(tw: sexe) all she wanted was the answer

Je m’étais peut-être trompée, emballée.
Un temps quelque peu accéléré par un précipice de sensations et d’envies.
Égoïste, j’étais.
Un temps soit peu, j’avais théâtralisé ce moment. Mais ce geste, cette caresse si infime qu’elle fût avait fait trembler mes plumes… Finalement, n’était-ce pas moi qui avait goûté à une furtive mise-en-bouche ?…

Il n’était là que pour parler ?
C’était étrange comme réponse.
Ses mots me semblaient biscornus, approximatifs.
Tout ce que je venais d’entreprendre me laissait presque un goût amère. Nous étions assis à cette terrasse de café depuis quelques temps, mais sans doute pas assez pour s’offrir la confiance d’une soirée dénudée.

J’étais songeuse de ce pourquoi les gens s’inscrivaient sur ce genre de site ou d’application. J’étais d’ailleurs certaine que les statistiques tendaient à la rencontre unique. Le plan cul.
L’humain est un animal avec des besoins à l’interaction.
L’humain peut ressentir un manque, le temps devenant lourd et pesant.
L’humain pense rarement à l’autre.

Ces paroles me faisaient presque froid dans le dos. Je ne m’attendais pas à de telles déclarations. C’était interprétable.
Je tentais de ne pas comprendre et ne pas associer ses paroles à des choses malsaines. Il devait sans doute me parler de sa profession, de son métier. C’était évident. Le monde ne peut pas regorger que de personnes hors-la-loi. Mon dieu… j’avais déjà bien trop à faire avec mon quotidien, alors je ne souhaitais pas entendre de mauvaises choses par ici, surtout après avoir passé une quinzaine de jours à échanger. C’était virtuel, mais malgré tout j’y trouvais un sens.

« On pourrait peut-être simplement aller boire un verre dans un bar, d’ailleurs tu ne m’avais pas parlé de pain au chocolat ? »
Je déviais totalement la conversation en voyant son sourire qui s’effaçait lentement de son visage blanc.

J’avais cette impression de perdre cette flamme qui l’animait, ce loup ardent. L’image de cygne blanc ne s’accordait peut-être pas avec l’image qu’il avait espéré. Une bourgeoise pourrie par le fric, voulant seulement baiser un soir, pour ne pas être polie. Je saisie une nouvelle cigarette de mon paquet de clopes. Je l’allumais, un peu décontenancée.
« Prends en une si tu veux. »
Je me souvenais de la réaction qu’il avait eu quelques temps plus tôt. Qu’il profite de cette occasion pour remplir ses poumons de nicotines s’il était en manque. Je tirais sur la mienne, laissant doucement la fumée s’échapper par le biais de mes narines. A l’aspiration sur le filtre de ma cigarette, je sentais ce métabolisme pénétrer à l’intérieur de mes poumons, provoquant un effet de bien-être au passage de la gorge à son plein. Les alvéoles se satisfaisaient de la fusion des matières en un échange vif et décidé.
La fumée s’évanouissait peu à peu au-dessus de nos têtes. Je cherchais de nouveau cette couleur cuivrée dans ses yeux.
Le goût mentholé de la clope se posait délicatement sur mes lèvres. La fraîcheur s’adonnait parfaitement avec le tabac. Je recherchais une plénitude, un apaisement, un sens.

J’aurais aimé partager ma soif d’action avec lui, sans doute parce que ma vie n’était faite que d’ennuis. Peut-être que la sienne, au contraire, était riche de bien des histoires qu’il se conservait d’exposer.
La serveuse finit par repasser par là en voyant que nous ne partions pas de la table.
Mon café était froid et il ne restait pas grand-chose dans ma tasse. Elle osa lui adresser la parole en premier.
« Monsieur, vous souhaitez reprendre quelque chose ? »
Suivant son choix, j’étais prête à le suivre.
Suivant son choix, nous aurions pu improviser ?…

Bien.
J’exposais trop ma situation ou mes avantages… Difficile de se coordonner sur ce coup là.
J’avais cette impression de lui avoir marché dessus, comme on marche sur la queue du chien. Sa manière d’exprimer les choses me faisait penser à cette image du chien à qui on a marché sur la queue. Quelques secondes, le temps du feed back pour exprimer son malaise.

Dusan finit par toucher un point sensible.
Pourquoi lui ?
Parce qu’il était le premier avec qui j’arrivais à tenir une certaine conversation.
Parce qu’il était curieux et semblait intéressé.
Parce qu’il venait de montrer l'intérêt à ce jeu suave et sensuel.
Je n’étais pas à l’aise face à son questionnement pertinent. Il avait raison de se poser toutes ces questions. C’était me mettre à nu, et c’était compliqué.
« Tu as raison de te demander ça. Je crois que les jeunes gens sont plus enclins et intéressés par ce type d’expérience. Et sincèrement… physiquement je préfère profiter d’une personne jeune que de mon âge. »
Je croisais son regard. C’était peut-être à mon tour de piquer un phare non désiré.
« Tu comprends vite, autant que je n’ai rien à t’apprendre. Bien sûr que je m’ennuie. J’ai un travail trop sérieux. Une vie calée à la minute. Je vis seule et je ne sais pas quoi faire de tout mon argent. Tu as le profil idéal pour profiter de la situation.
Louer une suite de luxe dans un palace, je suppose que c’est un plaisir, et ça me sort de ma routine et de cet appartement dont j’ai fait mille fois le tour. »
C’était une confession mais elle n’avait pas pour but de le motiver à jouer si ce n’était pas son envie.
Il avait l’air réceptif quand je lui avais proposé ce jeu. Je continuais dans ma lancée.
« Peut-être que le mieux pour moi serait de faire appel à un escorte. Mais ça ne m’intéresse pas. J’ai besoin de spontanéité. Ce n’est pas que mon propre jeu, c’est l’envie de partager ce plaisir qui m’anime… Tu sais… J’ai simplement l’envie de m’enivrer de l’odeur de quelqu’un, de découvrir sa peau par tous les moyens… je sais c’est étrange. Il y a un film qui m’inspire à te dire ça. Il s’appelle Le Parfum. Je crois même qu’il y a un livre qui porte le même nom... »
J’avais beaucoup aimé ce film où l’histoire se déroule à une ancienne époque. Un homme est follement amoureux d’une femme. Il a un don incroyable pour sentir et retenir les odeurs. Il fera tout son possible pour retrouver cette femme rien qu’en recherchant son parfum à la richesse des quintessences des autres humains… Bref, je crois que c’était une histoire comme ça. Ou peut-être pas. Mais j’appréciais cet enivrant rapport au corps qui était démontrer dans ce film. Je qualifiais cela d’animal et de puissant….

Le voir fumer me faisait sourire. Il en fallait peu au final.
Il fumait donc.
Je refusais de consommer à nouveau.
J’observais son visage et nos yeux se croisèrent, un espace envoutant pendant quelques secondes. Il cochait un sourire.
J’imaginais le goût mentholé qui s’était fixé sur les microfissures de ses lèvres. Voilà une idée bien sensuelle de vouloir goûter à ces choses là d’une autre manière...

Travailler pour la justice demande un effort de lucidité. Il est indispensable de s’imposer la foi et la rigueur. Une enveloppe invisible créée par l'esprit nous enlace dans son étreinte, afin de nous protéger de tout manquement au discernement. L’obligation d’être présent(e) fait parti intégrante des responsabilités qui en découlent. Mes fonctions m’obligent à me soumettre à des règles : le droit de réserve, la clarté des idées, le bon sens, le devoir de neutralité.
Ceci afin de produire des réquisitions claires, adaptées et en accord avec les faits reprochés.
Convaincre un juge, une personne extérieure au conflit. Argumenter. Défendre. Sortir de soi. Ce sont des missions qui absorbent l’énergie. Mon énergie.

J’avais besoin d’un lâcher-prise, une faille spatio-temporelle, un ailleurs. Je recherchais un endroit où pendant l’espace de quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, je pouvais oublier un instant qui j’étais et mon nom.
Je parlais de moi, toujours de moi, trop de moi. Mais lui ?

Peut-être qu’un jour je comprendrais mon égocentrisme. Ce jour là, je me rendrais compte que j’ai pris l’habitude de me mentir à moi-même, en pensant que tout ce qui se passe hors du tribunal est sain. Ses mots, pour le peu qu’ils étaient prononcés, n’annonçaient pas le bien. Le cygne dispose d’un voile noir sur les yeux, celui n’aspire qu’à la dépravation dont le sens n’a pas la même définition que la réalité. Un voile noir qui sert bien plus de filtre que de masque.

Ce garçon semblait muré dans le silence, attrapant chacun de mes mots pour les accrocher à son arc de défense. Je ne savais rien de lui, mais tant à la fois. Ce tant de choses que j’isolais à l’intérieur de mon cerveau, pour le transformer en quelque chose d’unique et de faux semblants.

Sa réponse me surprenait. Il connaît ce film. Il connaissait la fin et racontait sans faille. J’échappais un sourire, toujours perdue dans ses yeux cuivrés et brillants. S’il connaissait la fin de ce film, il pouvait peut-être percevoir mes désirs les plus profonds…
C’était peut-être ça mon addiction, celle de vouloir consommer l’homme jusqu’à sa disparition, jusqu’à plus soif, jusqu’à ne plus avoir envie de m’en défaire. Qui sait ?
Quelque chose de passionnel semblable à l’obsession du meurtre des assassins en série.
Je me rappelais d’un livre qui m’avait procuré le même sentiment.
« Exact… J’ai lu un livre dans le même style… c’était de la littérature anglaise. Le Corps Exquis.
L’as-tu lu ? »
Ce livre avait été écrit par Poppy Z. Brite, une grande écrivaine anglaise devenue Il. Elle/Il avait une plume sublime pour décrire les sensations, la passion des chairs et du corps. Ce livre décrivait l’évasion d’un tueur en série d’une grande prison de Londres, et racontait parmi une dizaine de chapitres, les vestiges et les talents d’un homme en chasse de garçons. L’obsession y avait tout son sens et justifiait à la perfection la passion du crime et de la faille qui séparent la vie de la mort…
Ce partage de sources pouvait lui indiquer beaucoup… J’avais lu ce livre pour ma culture personnelle et pour le travail. J’arrivais beaucoup mieux à comprendre la passion des meurtriers sans pour autant trahir mes convictions professionnelles…

Nos cigarettes se consumaient lentement jusqu’à trouver la mort dans le cendrier en verre transparent. J’entendais ses mots sans y prétendre l’intérêt.
Honey.
Travail.
Il y avait un sens à ses déclarations et je commençais doucement à comprendre là où il voulait en venir…
La nuit semblait être son monde. Le crépuscule, l’absence de lumière. Dusan semblait si bien s’y confondre. Ses vêtements noirs pouvaient annoncer la couleur, celle qu’il évoque depuis déjà un petit moment…
Comme à mon habitude, j’entendais sans pousser mes investigations. Je n’étais pas au travail, j’étais en rendez-vous privé. Et je n’avais pas envie de connaître cette facette de lui. Pas si tôt. Pas maintenant… Malgré tout j’avais besoin de m’intéresser à lui. C’était essentiel et la relation ne devait en aucun cas tourner autour de moi.
« Je ne sais si j’aimerai t’y voir… Oserais-tu me parler de toi ?
A ton tour de m’en dire des choses… Surprends-moi... »

J’avais du mal à le cerner. Lui qui voulait juste parler revenait sur notre jeu primaire.
« J’aimerai maintenir ma réservation… mais il faut qu’elle te plaise, autrement… nous pourrions nous revoir dans un contexte un peu moins… conditionné. Si tel est ton désir. Mon loup... Tes désirs comptent autant que les miens. »
Une voix suave, une nouvelle recherche des sens…
Le bout de ma petite sandale qui tente de remettre ça.
Doucement caresse le long de son tibia recouvert de ce vêtement épais.
Les yeux qui fixent, qui cherchent.
Le sourire invite, au coin, tout timide soit-il.

Il aimait les scènes d’action où l’homme pourchassait ces femmes, pour une simple odeur, pour une essence… Il avait évoqué cela tout à l’heure, l’idée d’une traque insaisissable. Oui, j’aurais aimé qu’un homme me cherche de la sorte, être une idée insoutenable et tant désirée comme je cours après cette jeunesse inaccessible.
Je l’étais peut-être déjà, mais sans l’être en bien. Mon visage et mon nom étaient gravés dans les cerveaux de certains criminels. Des gars qui croupissent en prison depuis des années, soit parce que je n’ai pas su les défendre en tant qu'avocate, soit parce que j’ai réquisitionné le pire pour leur vie en tant que procureur. Je pouvais être l’obsession, mais je n’étais pas la quintessence de la jouissance.
Je véhiculais sans doute une image ferme et droite, mélangeant cette odeur de béton sale et de l’éternelle seconde d'attente insoutenable. Un temps interminable perdu entre quatre murs identiques. Une peine.

J’avais assumé devant lui, ma part animale. Aimait-il cela ?

Il n’avait jamais lu Le Corps Exquis.
Dommage…
Ce livre lui ressemblait. J’en étais certaine.
Lui qui vivait, semble-il, la nuit, aurait pu remarquer de grandes similitudes avec son existence. On peut tous se retrouver dans un livre. Un passage m’avait particulièrement marqué, celui de l’évasion du principal protagoniste. L’auteur(e) décrit dans de longues métaphores, le processus d’évasion mentale et physique, passant par l’importance de l’hypnose. L’écrivain(e) y fait une très belle description de l’arrêt total du corps, de la réelle définition qui décrit le fait de feindre la mort. Faire semblant, jusqu’à disparaître totalement de la surface de la terre, avoir l’esprit perdu dans le silence du ciel et de la terre. Ne faire qu’un. Fusionner avec l’impossible pour passer pour mort, puis retrouver le réveil, la vie. Je me rappelle des mots écrits avec force pour démontrer les motivations du personnage principal à revenir à la vie, et reprendre inlassablement les battements de son coeur.
Simplement pour retrouver son quotidien : la chasse de garçons.

Le connaître, oui j’en avais envie. Mais il est vrai que je craignais d’être déçue. Je craignais d’apprendre des choses qui n’étaient pas dans mes convictions. En justice, ne pas savoir est une qualité, au désavantage d’être complice…
« Gardons cette part de mystère à ton avantage… il sera le miens. »
Pour ne pas dire que ce mystère est le meilleur pour sa propre protection. S’il savait ce que je faisais de mon quotidien, il prendrait peut-être peur lui aussi. Non ?

Il avait l’air très concentré, au point qu’il ne semblait pas remarquer mes caresses le long de son jogging.
Déçue ?
Je ne sais pas.
Je venais peut-être de le bousculer avec toutes ces questions. Je me faisais plus attentive à ses réponses.
J’écoutais sans broncher, imaginant ce que je pouvais lui apporter de mon côté. Il semblait vouloir être lui-même finalement. C’était philosophique toutes ces paroles… Comment allais-je bien pouvoir lui offrir ceci ?
Je n’en savais clairement rien…
Pour moi, il y avait une notion de liberté et ce que je venais de lui proposer pour ce vendredi n’en était rien.
« Alors oublions ce que je t’ai demandé pour vendredi… Je ne souhaite surtout pas t’imposer quoi que ce soit. On pourrait s’amuser autrement. Tu ne crois pas ? »
J’y voyais un jeu et je pensais qu’il était dans le même optique. Il me faisait douter, clairement, pour ne pas appeler à la déception. Le but était qu’on puisse vivre un bon temps tous les deux, pas qu’il m’offre un service. Non merci.

Effectivement, je suis déçue.
Effectivement, je m’étais imaginée quelque chose qui finalement ne s’approche qu’approximativement de ce que je projetais.
Ne jamais prévoir, c’est compliqué pour une femme comme moi, surtout quand on croit pouvoir nourrir celui qui crève de faim.
Je suis déçue mon loup. Je le suis.
Parce que finalement ce n’est pas un jeu pour toi tout ça.
Ce que tu rêves, je l’ai vécu quand j’avais ton âge. Mais ton âge, je ne l’ai plus.

Tu as vu mon agenda, c’est vrai que tout y est barbant. Penser à tout et rien à la fois, donner son corps et son esprit à un métier pour en tirer du fric dont je ne sais quoi en jouir. Les anneaux en acier autour des poignets, c'est moi qui les ais. C'est parfois pire qu'une bague au doigt. Tu pourrais vider mes comptes à la banque et brûler autant de liasses que ton esprit demande. Je suis déçue, mais je ne te forcerai pas. Il y en aura d’autres au pire, mais toi tu sors du lot parce que tu sais dire non à ta manière. C’est ça qui me pousse à ne pas me tirer.
« Ça l’est. »
Bien sûr que ça l’est. Il le savait.

J’écoutais, je ne pouvais faire que cela. Il me rappelait mes soirées étudiantes à la faculté de Los Angeles. Les soirées alcoolisées où j’ai découvert mes attirances sexuelles. Ces soirées accompagnées de drogues et d’alcool où des futures avocats, procureurs et juges s’envoyaient en l’air dans un recoin d’un squat, d’une plage ou que sais-je où encore. J’ai vite été bridée dans ces petites joies de la vie, me faisant reprendre par mes parents.
Pour l’image.
Pour réussir dans la vie.
Pour devenir quelqu’un.
Ces ambitions ne m’avaient pas quitté, mais des jours comme celui-ci sont parfois compliqués moralement.
Et frustrant parce que quelqu’un dit Non.

Le soleil était peut-être en train de se coucher, mais dans un élan de motivation, je me levais de ma chaise. Je pensais jouer ma dernière carte pour l’embarquer.
« Alors partons. »
J’étais venue en voiture. Le cabriolet Lamborghini était garé non loin d’ici.
« Improvisons ?... »
J’aurais pu lui tendre la main, mais je n’en fis rien. Des idées me venaient à l’esprit pour le surprendre.
A voir si finalement son trip n’était pas d’aller dans une soirée réservée aux moins de vingt-cinq ans.
Et dire que je pensais les hommes mécaniques et les femmes cérébrales. Ce gars là sortait franchement du lot.