six feet under.

traits de caractère /


maîtresse d'une intransigeance placardée sur chaque parcelle de sa peau, greffée sur ces prunelles glaciales qui jugent et déprécient les contours de ceux qui n'atteindront jamais les désirs inextinguibles. l'image non loin d'une réalité terrible. mère indigne. mère fautive à l'amour mort né. cruelle hérésie dégoulinant sur les journaux entassés sur la table à manger. la mère abominable qui n'a jamais su faire. l'épouse fuyarde qui s'est empressée de courir dans les bras d'un autre. et le silence qu'elle impose, son érudition dictant la mélodie d'un mutisme constant, déjà lasse à l'idée de se battre contre ceux qui ont fait de son image le rôle principal de leur médiocrité qu'ils recouvrent des effluves d'une histoire bien juteuse. alors c'est leur vérité qu'ils étalent et qui fustige la folie sans organe. celle qui renie, meurt d'envie d'oublier l'erreur commise. car derrière la naissance s'ouvre ce gouffre infernal dans lequel le futur a perdu son essence. l'avenir broyé dans le cercle vicieux d'une vie destinée à n'être plus que secondaire. fantôme honni mais surtout craint. pourtant l'iris ne fuit pas, observe sans éclat la mouvance cacophonique des autres. il n'y a aucune douceur dans les opales, l'expression d'une sempiternelle apathie face à un monde dont elle n'extrait aucune saveur.
des banalités du monde, hedda s'en consterne, adresse les quelques pointes de tendresse sur la pulpe refroidie de ses hôtes endormis. elle imagine les vies traversées d'aventures résolument banales puisqu'elles courent toutes vers une seule et même fin. dans leur silence, elle y place ses réflexions, leur confie ses secrets qu'ils emmèneront avec eux, dans la brume d'un palais de cendres. la haine s'échappe alors contre les vanités vaporeuses. les existences réduites à n'être qu'une ridicule contemplation d'une oeuvre vide de sens. hedda l'abhorre pour l'avoir trop de fois vécu, laissant les autres croire qu'elle se parfaisait d'un néant qui n'a jamais su faire autre chose que de s'opposer à elle. mondaine d'apparence, faussement comblée de toute la luxure qu'elle répugne mais qui pourtant continue à être servie sur les plateaux d'argent.  

qui êtes-vous. raisonnant dans la tête, mélodie entêtante et terrifiante d'un oubli innocent. candide pensée extirpée d'une caboche frelatée. elle s'échappe, la mémoire, fuit cette grandeur qui faisait d'elle l'intouchable. l'immortelle, insensible aux méfaits du temps et des épreuves endurées.
« c'est moi maman. »
il y a ce voile déposé sur les yeux. assez opaque pour éclipser les bribes d'images qui autrefois revêtaient le nom de souvenirs. les dessins déchirés, jetés dans les tréfonds d'un puit infini où le passé s'étire puis s'érode, grignoté, ça et là, par la vipère affamée. celle qui dévore les morceaux de joie et de tristesse, ne laisse plus que la mélancolie des actes criblés de trous qui errent sans trouver la raison. vagabonde d'un ciel ombragé, de ce gris tirant vers le charbonneux étouffant tout le reste. car l'éclipse impose sa lente épopée vers ce sommeil certain puisqu'il n'y a que dans le silence qu'on y trouve un réconfort. un sourire esquissé pour une façade qui se maintient une poignée de secondes avant de s'effacer face à l'inconnue autrefois fille. l'essence des larmes se perd alors face aux cavités désertes. celles qui demeurent inertes et sans éclat pour raviver l'âme perdue dans le corps qui faiblit malgré lui. silhouette jeune mais ravagée par la précocité d'une maladie héréditaire. avec elle, les espoirs fanent, un à un, ils détachent leurs pétales de la solitaire meurtrie.  

« il est mort, vous savez.
- je le sais.
- et vous n'avez jamais jugé bon de nous le dire ?
- parce que j'aurais dû me manifester ? pour vous donner de quoi faire de moi l'épouse terrible qui a forcé son mari à se tuer ? »
les phalanges dessinent des contours invisibles sur la table. et les épaules s'affaissent, lasses comme le reflet dans les pupilles qui s'élèvent se planter dans les coins du plafond, parfois se fixent sur le miroir du fond dans lequel elle imagine les regards suspicieux qui la fustigent, la condamnent déjà pour des crimes qui lui échappent. pourtant la fuite était la seule issue. unique brèche dans cet univers étriqué dans lequel elle respirait un air qui ne lui était jamais destiné, transitant simplement de sa silhouette vers celle de l'autre sans qu'il n'insuffle en elle la moindre pulsion sibylline. lasse de la sempiternelle mascarade auquel se résumait son rôle. déguisement de sourires et de tapes dans le dos, de bras qui s'entrelacent sans l'émotion qui les traversent. car les gestes étaient mécaniques, dépourvus de sentiments. mais il n'y voyait rien, ébloui par sa prestance qu'il réduisait au silence puisqu'elle n'était là que pour l'éclairer lui. mais quand arrivait la nuit, dévêtue de son voile obséquieux, pesait sur lui cette implacable vérité qui le paralysait : à son égard, hedda n'éprouvait rien.
alors elle est partie. épouse pusillanime, ingrate sertie de déshonneur, n'ayant pas eu le courage d'affronter le regard, la colère ou l'insuffisance certainement de celui qui ne comprendrait pas, s'évertuerait à vouloir faire rester la gemme qui apportait à son palais toute sa grandeur et sa beauté. celles sans lesquelles son existence ne revêtait pas assez de sens pour qu'il la continue. comme elle, il est parti. et elle savait, hedda. en partant, ne laissant rien d'autre que les placards vides de sa présence et son fantôme planant au-dessus de sa tête. auréolé de cette épée de damoclès qu'il a fini par abattre lui-même.
 

qui es-tu, qu'elle murmure dans les parois de son âme. hedda au regard glacial, le corps n'osant à peine toucher le fond de cette chaise inconfortable. et elle l'observe, derrière la vitre aux rayures témoins d'excès de rage, de cris, de larmes. sans aucune affre effleurant la lisière de ses traits anguleux, elle demeure de marbre devant la parhélie traversée de secousses, les phalanges blanchies étouffant l'ire qui hurle de s'abattre sur son image qu'il hait tant. dans la progéniture, elle y voit l'hydre greffée sur les traits recouverts du vernis de l'ignominie. l'atrocité en étendard, incapable de se taire, toujours logée sur ses commissures pincées qui luttent sans trop forcer pour ne pas s'élargir en ce sourire carnassier. il devient l'inconnu qu'il a toujours été. condamné à l'effrayante indifférence, hedda s'étant faite juge de ses fragments de vie dont il s'est abreuvé. quand ses iris se fracassent aux siennes, elle y retrouve sa propre déréliction, ces embruns de souffrance qui se sont incrustés dans la fibre de ses os. les bleus de l'âme ont noirci, laissant éclore ces bourgeons de pourriture qui nourrissent la gangrène. elle voit le sang dégouliner de ses doigts longs et fins. le sien d'abord puis celui des autres, peignant l'horreur devant les yeux éteints comme s'il n'y avait plus que ça, pour capter l'attention qui n'était jamais là. elle le voit désormais, comme elle voit les sept visages qui se superposent au sien. ces gamins mitraillés, égorgés. les desseins morbides prenant la forme d'une mélodie macabre accompagnée de sa sonnerie d'horreur.