Je ne suis occupé qu'à vivre.

traits de caractère / De son père il n'a que les yeux très clairs, la couleur de sa tignasse et la pâleur de sa peau presque cadavérique l'été, à côté des teints chauds à cause du soleil. Sinon il est comme sa mère, Alexandre à une soif increvable d'apprendre, il aime s'enrichir intellectuellement mais beaucoup de gens apparentes cela à de la curiosité, alors dans ce cas là elle est maladive,  comme son impulsivité qui pourrie la vie de ceux qui l'aiment, Alexandre s’irrite et s'emporte facilement, autrement nommé l’irascibilité et souvent confondu à tort avec la susceptibilité, ce n'en est pas. Quand il était gamin il baissait facilement les bras mais la sévérité de l'armée l'a endurci, maintenant quand il veut quelque chose il l'a mais il se bat pour ça alors c'est mérité. Peu bavard, il n'est pas timide seulement méfiant, a-t-il des raisons de l'être ? Cela lui donne l'air d'être hautain et indifférent mais il ne l'est pas, il n'est pas fait de rien, il ressent mais il est très peu démonstratif. C'est sa manière d'anesthésier ses émotions qui parfois le ballottent douloureusement et avec un boulot comme le sien, s'il laissait ce qu'il éprouve l'affecter il n'y arriverait pas.

Ravaler, serrer les dents et attendre que ça passe.  

Cela fait un peu moins de vingt ans qu'il s'est enrôlé dans l'armée et maintenant il est de nature très anxieuse, bercé de mauvais rêves parce qu'il fricote avec la mort presque tous les jours, celle des autres puis tout récemment la sienne qu'il a effleurée alors son père lui demande à chaque fois quand il arrêtera de se mettre en danger et Alexandre, têtu, rétorque "jusqu'à ce que le danger me tue", au grand désespoir inconsolable de sa mère qui a passée toute sa vie a chérir d'amour sa petite famille alors elle se refuse à l'idée de survivre un jour à l'un de ses enfants.

À chaque fois qu'il rentre à la maison c'est la même chose, il ne reste jamais longtemps dans sa chambre, il y dépose juste son sac, parfois il laisse tomber son manteau sur le lit et il retourne au rez-de-chaussée parce qu'en bas, tout le monde est là. Il doit traverser la cuisine et la salle à manger pour rejoindre le salon, et à chaque fois Alexandre va doucement, il recommence à compter les marches qu'il a tant de fois grimper quand il était môme. Après il regarde sur le plan de travail s'il y a encore le pot en porcelaine avec les gâteaux dedans, l'odeur du chocolat s'en échappe dès qu'il soulève le couvercle et cette odeur lui rappelle les matins avant d'aller à l'école, quand sa mère voulait bien qu'il prenne deux cookies pour les tremper dans du lait avant de s'en aller. Avant de sortir de cette pièce il regarde aussi la table avec toutes les chaises autour, six chaises et une grande table. Juste le temps d'un instant, le grand gaillard retourne s'asseoir à cette place, celle qu'il prenait toujours quand il habitait encore ici. Alexandre se mettait toujours près du bout de la table, à côté de son père parce qu'ils adoraient discuter et d'ici, il voyait tout le reste de la cuisine, sa mère qui allait et venait toujours entre ici et le frigo. Et là-bas il y a toujours le téléphone fixe qui passait son temps à sonner entre, le boulot de son père, les petits amis de sa sœur, les parents des copains de son tout petit frère qui appelaient pour organiser un goûter, les bonnes nouvelles et celles aussi qui faisaient pleurer sa mère quand elle décrochait. Est-ce que ce téléphone sonne-t-il toujours aussi souvent qu'avant ? Alexandre se lève, remet sa chaise sous la table et longe le mur en traversant le couloir. Il y a toujours les mêmes photos dans les mêmes cadres, trois photos de familles, un du mariage de son père avec sa mère et la dernière est un portrait de son père devant l'église, cette photo a été prise le jour où il est devenu pasteur, aucun des enfants étaient nés alors là-dessus son père avait l'air d'un gringalet et ça fait sourire Alexandre. Quand il arrive dans le salon, il s'adosse à l'encadrement de la porte et il regarde le reste de sa famille. Quand il revient, tout le monde rentre à la maison. Tout le monde car, sa soeur née deux ans après lui à sa vie elle aussi, elle n'habite plus ici depuis longtemps mais c'est important pour chacun d'eux d'être ensemble. Parfois quand il regarde le sourire de sa mère qui déchire de bonheur son visage en deux ou quand il entend rire aux éclats son petit frère, il regrette que le temps soit passé (si vite).

"Ça fait du bien de te voir à la maison."

Lui confie avec tendresse la voix de son père avant que sa main lui tombe chaleureusement sur l'épaule. Alexandre tourne la tête pour le regarder, le gamin est plus grand que son père maintenant et le constat pourrait le faire sourire mais un sentiment de nostalgie est plus fort. À partir d'aujourd'hui ils n'ont plus qu'une semaine, après la permission d'Alexandre se terminera et il retournera en mission.


"Un homme à terre !"

Hurle-t-on et l’information se répète dans les talkies-walkies des soldats à proximité de la zone à risque. Alexandre cligne lentement des yeux, il est en train de regarder le ciel quand une poussière de quelque chose lui chatouille la joue, le vent souffle dessus et elle s’envole au-dessus de son visage puis tombe par terre, juste à côté de son corps. Les paupières d’Alexandre sont lourdes, il est soudainement si fatigué, peut-il fermer les yeux juste un instant ? Le sifflement contre ses tympans diminuent puis s’arrête, Alexandre entend à nouveau le bruit des coups de feu et celui des explosions. Son talkie-walkie grésille, une voix s’adresse à lui mais le son est mauvais. Quelqu’un l’appelle par son nom et lui dit de tenir encore un peu car les renforts arrivent.

Alexandre rouvre les yeux, il entrouvre la bouche parce qu’il voudrait prendre une grande inspiration mais il tousse dès qu’il commence à aspirer l’air et à chaque fois qu’il tousse il a l’impression que son corps se disloque. Dans un automatisme sa main se presse contre son uniforme, juste là où il a mal quand son corps tressaute et il met les doigts sur quelque chose de sirupeux, Alexandre penche un peu la tête, redresse la main et regarde le sang sur ses doigts, une goutte roule jusqu’à sa paume. Il plaque aussitôt sa main sur sa cuisse et il frotte ses doigts sur son pantalon pour enlever le sang, il essaye aussi de se retourner pour mieux voir ce qu’il a autour de lui mais une douleur vive lui saisit l’épaule dès qu’il l’écrase pour se mettre à plat ventre, Alexandre gémit douloureusement et il se laisse retomber sur le dos.
Le vent souffle encore un peu, câline sa peau moite de sueur et il frissonne, les frémissements parcourent sa chair, la picore, Alexandre ferme à nouveau les yeux et les ouvrira à nouveau que trois jours plus tard.

Il y a une bible sur sa table de chevet et juste à côté d’elle il y a son collier avec au bout de sa chaîne en métal sa croix. Alexandre détourne le regard et redresse la tête, il a la sensation que tout son corps est engourdit. Son bras gauche est bandé contre son torse, à chaque fois qu’il bouge un peu la tête un pincement lui saisit l’épaule et l’électrise, le soldat avale difficilement sa salive parce que sa gorge est sèche. Alexandre pivote encore un peu la tête et il regarde la poche d’eau sur le pied de perfusion à côté de son lit, elle est presque vide, les dernières gouttes s’écoulent lentement. Donc il n’est pas mort ? À cette pensée tout ce qui le soulage c'est que le chagrin ne tuera pas sa mère aujourd'hui.


"Tu vas vraiment y retourner ?"

Répète sa mère avec une voix plus tremblante que tout à l'heure, elle laisse tomber sa paume contre sa bouche et elle s'écarte de son fils aîné. Alexandre s'excuse et penaud, il baisse la tête.