empire ♛ venusta

traits de caractère / ambitieuse ; manipulatrice ; jalouse ; tenace ; rancunière ; sans scrupules ; exigeante ; vaniteuse ; cultivée ; volage ; stricte ; névrosée ; lunatique ; perfectionniste ; fausse ; susceptible

1978,, une comptine s’élève d’une voix fluette dans le jardin de la vieille bicoque cernée d’engins agricoles. La gamine de huit ans, assise dans l’herbe, brosse les cheveux ternes et rêches d’une poupée dont elle n’est, visiblement, pas la première propriétaire. Autour d’elle, ses quatre frères courent dans tous les sens, usant de branches d’arbre en guise de mitraillettes, se voyant puissants guerriers que rien ne saurait ébranler. Plus loin, sa sœur aînée glousse dans les bras de son nouveau petit ami, puis peste devant une plus jeune sœur qui se moque ouvertement d’eux. Tous respirent la joie de vivre, les poumons emplis de cet air rural que tant de citadins leur envient, tout comme leur apparente tranquillité. Mais ce qu’ignorent ceux des villes, c’est qu'aucun endroit sur Terre n'échappe à la laideur du genre humain.

1985,, les couloirs bondés du lycée résonnent des voix adolescentes qui s’y élèvent. Les casiers se font points de rendez-vous ou d’humiliation, les cliques s’y repèrent de loin et sont soigneusement évitées par celles et ceux qui n’auront pas eu la chance d’être considérés comme populaires. Le lycée est une jungle dont Trixxie connaît les moindres rouages et qu’elle mène à la baguette. Uniforme de cheerleader de circonstance, quarterback à son bras, elle est la Queen Bee que l’on admire autant qu’on ne craint ses méthodes pour asseoir son autorité. Aujourd’hui, c’est une malheureuse membre du club d’échecs qui est la cible de son besoin irrépressible de montrer qu'elle est souveraine en ces lieux, versant sur son crâne le contenu de sa canette de soda.

- J’en voulais un à la cerise, pauvre conne. L’accent italien sous-jacent en ajoute au charme de la belle, la rend plus unique dans ce bled où ça relève de l’exotisme.

Autour d’elle éclatent les rires de sa cour, des potiches qui la suivent comme des mannes attirées par la seule lumière qu’elles voient, des membres de l’équipe de football locale qui, à leur instar, restent groupés pour soutenir leur alpha à l’intelligence incertaine. Autour d’eux, des élèves ricanent en chœur tandis que d’autres portent sur la malheureuse victime un regard empli de pitié, sans pour autant daigner venir à son secours. S’en prendre à ses bourreaux ne serait que leur rappeler qu’ils existent. Alors ils passent leur chemin, la tête basse et feignant d’ignorer cette énième scène d’humiliation, de celles qui ont lieu chaque jour que Trixxie foule le sol du lycée. Mais les autres se rassurent en pensant à l’avenir, à leurs vies qu’ils pourront reprendre en main quand elle ne sera plus là pour veiller à ce qu’aucun projecteur ne soit braqué sur quelqu’un d’autre qu’elle-même. Car l’avenir réservé à ceux qui les martyrisent paraît tout tracé et ne pas dépasser les limites de leur pauvre petite ville paumée dans la cambrousse ou, du moins, l’espèrent-ils vraiment. Mais c’est sans compter sur la volonté de fer de Trixxie de leur donner tort.

TW : violence 1986,, le mascara coule sur les joues fardées, les lèvres incarnat se tordent dans une expression mêlant la rage au désespoir, les ongles manucurés s’enfoncent dans les pans de la robe louée pour la soirée. Assise sur la banquette arrière de la vieille voiture de son père, Trixxie tremble déjà en sachant le sort qui l’attend pour avoir été à l’encontre de l’autorité paternelle. Cette dernière conduit en silence, son visage fermé éclairé par intermittence par la lumière fade des lampadaires qui en durcissent les traits tirés. De temps à autres, son regard glacial se reflète dans le rétroviseur central alors que ses mains resserrent leur emprise sur le volant en cuir. Les yeux noyés de Trixxie fuient cette vision, restent braqués sur les lignes blanches qui défilent sur le bas côté de la route alors qu’elle pense à l’occasion qu’elle avait de briller, enfin, ce soir. Ce concours de beauté organisé par le comté de Van Buren était sa chance de se faire remarquer par les bonnes personnes, par celles et ceux qui l’auraient intégrée au monde de gloire et de beauté auquel elle aspire depuis toujours, celui qui laverait la fange dans laquelle elle s’embourbe toujours plus jour après jour à force de vivre en plein dedans.
Un frisson parcourt l’adolescente lorsque la voiture tourne dans l’allée de la propriété, et son corps entier se fige lorsque le moteur s’arrête enfin. Inconsciemment, elle s’enfonce dans le cuir des sièges, rêvant d’y disparaître, de se soustraire au regard du père qui vient peser sur elle lorsqu’il se retourne.

- T’as toujours pas compris ou t’es complètement demeurée ? Trixxie se tend davantage sous la voix rauque qui s’abat sur elle. Autour d’eux, l'obscurité seulement percée par la lumière laiteuse d’une Lune glissant derrière des nuages disparates. J’vais finir par croire qu’tu l’fais exprès, tu sais ? Les yeux cernés de noir de l’adolescente se braquent sur la poignée de la portière alors qu’elle reconnaît le bruit caractéristique d’une ceinture que l’on retire puis que l’on tend. J’vais t’passer l’envie de r’commencer à jouer la p’tite pute. Dans un élan commun, le père passe son buste entre les deux sièges avant et Trixxie se jette sur la poignée de la portière qu’elle sait pourtant verrouillée. Malgré la frénésie avec laquelle elle tire dessus en hurlant, malgré les suppliques qui s’élèvent de son gosier, la boucle métallique de la ceinture s’abat sur elle, sur son dos, sur son flanc, continuant encore lorsqu’elle se recroqueville en tâchant de préserver son crâne et son visage. La robe louée se teinte de rouge çà et là, se déchire parfois sous le fer qui la frappe encore et encore, jusqu’à ce que l’homme ne juge sa sentence accomplie et ne s’asseye de nouveau sur son siège conducteur. Un claquement résonne alors dans le véhicule, celui de portières qui se déverrouillent. Trixxie, tremblante et sanglotante, s’empresse d’ouvrir la sienne et de se précipiter dans l’habitation pour aller s’enfermer dans sa chambre. Le myocarde bat si fort qu’il est près de lui transpercer sa poitrine qui se soulève dans une respiration secouée de sanglots qu’elle étouffe dans son oreiller plaqué sur le visage. Les jambes repliées contre son torse, le maquillage qui s'imprime sur la taie blanche, elle fixe ses prunelles sur les posters de ses idoles placardés au mur qui lui fait face. Les larmes qui noient encore son regard ne sont plus celles de peur qu’elle a ressentie sous les coups de son père, pas plus que celles de douleur sous ces assauts, loins d’être les premiers, son dos et son abdomen lui rappelant chaque coup subit, chaque braise de cigarette écrasée contre sa peau. Non, son regard luit ce soir d’une rage nouvelle, d’une hargne jamais égalée et d’une volonté surpassant tout ce qu’elle a déjà pu ressentir à présent. Elle le hait, lui, elle les hait, tous. Tous ces pouilleux qui se complaisent dans leur médiocrité, qui ne savent qu’écraser ceux qui cherchent à réussir.  Elle n’a rien à leur prouver, n’a que son chemin à tracer et se fera un plaisir certain à les recouvrir de cette boue immonde le jour où elle leur passera à côté en Cadillac. Ni les coups de son père, ni ces pégus envieux ne l’empêcheront de s’élever pour créer sa propre réussite. Elle risquera son courroux si ça doit lui donner une chance de se faire remarquer. Elle abattra tous ceux qui se mettront en travers du destin qu’elle s’est choisi. Elle deviendra quelqu’un, une petite pute s’il le faut, atteindra les étoiles par tous les moyens. Et règnera sur elles.

1988,, le car s’arrête à la gare routière de New-York, laisse tourner le moteur pour son dernier trajet de la journée, direction le dépôt. Il balance sous les pas des passagers qui en sortent au compte-goutte, ouvre les entrailles de sa soute où chacun y retrouve ses valises. L’adolescente, majeure depuis la veille, s’empare des siennes et s’isole un instant pour en ouvrir une et en sortir un gilet qu’elle passe sur ses épaules. La fraîcheur nocturne de l’état de New-York n’a rien à voir avec celle de l’Arkansas malgré l’été qui débute, et ça n’est là que l’un des nombreux détails auxquels elle devra s’adapter si elle veut tenir le coup dans son nouveau chez elle. Il ne lui a fallu qu’une matinée pour faire ses valises la veille, puis deux heures de marche jusqu’à la gare routière de Clinton. Et une poignée de secondes pour choisir sa destination : la ville la plus grande et la plus lointaine qui s’offrait à elle sur le tableau lumineux annonçant les départs imminents. Celle qui serait, dans sa précipitation, la plus propice à accueillir sa réussite. Et autant dire que la belle a eu du flair.

1992,, il est puissant, il est riche, il possède l’une des plus grandes entreprises de New-York. Elle se veut à son bras, à la place de cette pétasse qui n’est qu’un nuisible qu’elle n’hésitera pas à exterminer. Venusta Vanacore, née il y a cinq ans dans les castings de New-York, devient petit à petit mannequin, a su faire ce qu’il fallait pour en arriver là, n’a pas hésité à saboter la concurrence, à amadouer les bonnes personnes. À mettre sa dignité de côté et à faire ce qu’ont refusé celles qui n’ont pas la même notion de fierté qu’elle. Qu’est-ce qu’une heure sur le bureau du directeur de casting à côté d’une vie promise au sommet ? Son choix est vite fait. Son réseau se forme, se gonfle de noms toujours plus éminents, d’individus à la morale bancale qu’étoffent ses prestations d’escort-girl. Et sa notoriété grimpe en flèche. Peut-être devrait-elle calmer ses ambitions, sans doute ferait-elle mieux d’apprécier ce qu’elle a réussi à accomplir depuis son arrivée à New-York. Mais, en voyant l’influence de cet homme avant l’homme lui-même, Venusta ne peut s’empêcher de se projeter plus loin encore dans l’avenir, plus haut qu’elle ne pourrait jamais l’être. Comme les autres, elle l’utilisera. Comme les autres, elle en profitera. Mais, celui-ci, elle ne le sait pas encore, elle l’épousera.

2009,, ses mains caressent le revêtement en cuir étendu sur le bureau en ébène. Les yeux brillants, un large sourire lui fendant le visage, elle marque son esprit de cette sensation au bout de ses doigts, sous ses mains qui s’écartent sur le meuble alors qu’elle vient y poser doucement sa joue dans un long soupir de satisfaction. Il est pourtant loin d’être le premier qu’elle voit, ayant connu ceux de ses généreux donateurs dans d’autres positions plus équivoques, mais celui-ci a quelque-chose de plus. Celui-ci est devenu sien. Au sommet d’une tour de verre du Queens, surplombant la cité dans son entièreté, ce bureau est celui du PDG de la Empire Model Agency. Et Venusta en est devenue l’heureuse propriétaire. La concurrence fut rude, elle ne peut le nier, l’autre candidate ayant, elle, brillé pour ses performances en management depuis de longues années dans cette entreprise commençant tout juste à s’importer à l’internationale. Mais, une fois encore, la carriériste a su faire valoir ses arguments, professionnels et physiques, allant jusqu’à s’assurer que sa rivale disparaisse dans la nature, tout en demeurant, elle, parfaitement intouchable. Ainsi, si les rumeurs vont bon train quant aux recours qu’aurait pu avoir la nouvelle PDG au sein de l’EMA pour obtenir ce qu’elle convoitait, nul ne saurait apporter les preuves de sa culpabilité dans cette étrange disparition. Et puis, si d’aventure l’on se montrait trop indiscret à son égard, l’ambitieuse trouvera bien un moyen de les faire taire…

2011,, ses lèvres carmin s’étirent tandis que sa main délicate enserre celle, puissante, de ce nouveau collaborateur dont elle soutient le regard avec intérêt, le considère comme un partenaire d’affaires plutôt qu’un supérieur. Un client, pourquoi pas. Un nouvel homme à charmer, à l’occasion, à l’abri des regards de cette épouse se tenant à leurs côtés et à qui elle tend la main ensuite, cela va de soi. Les affaires sont les affaires, le plaisir vient après. Ses deux invités s'emparent des flûtes de champagne qu’on a amenées et trinquent avec elle au futur qu’ils ont en commun, aux échanges fructueux auxquels leur alliance donnera lieu. Ses filles ne se produiront plus que sur les podiums, voilà que certaines ont été promises à de luxueuses suites d’hôtel. Le réseau tentaculaire de la Vanacore s’étend à présent au proxénétisme par ce premier client prêt à mettre le prix pour chacune des beautés reconnues mondialement que comporte l’EMA. Peut-être Venusta devrait-elle calmer ses ambitions, sans doute ferait-elle mieux d’apprécier ce qu’elle a réussi à accomplir, encore une fois. Mais il va de soi qu’elle ne s’arrêtera pas là, pas avant de surplomber la Terre entière.

2021,, son empire est devenu colossal, ses modèles sont réclamés jusqu’à l’autre bout du globe, en couverture ou en guise de compagnie. Venusta règne d’une main de fer sur l’EMA et veille personnellement sur les filles dédiées à ses affaires officieuses. Elle devrait se contenter de ce qu’elle a, parce qu’elle a beaucoup, tout, trop. Des ex-maris à ne plus savoir qu’en faire, quatre enfants nés de ces unions, du moins officiellement, une fortune qu’elle ne pourrait jamais épuiser en une existence entière, même si elle le voulait. Mais cette soif de pouvoir et de reconnaissance, cette course à la perfection, elle l’emportera dans la tombe, continuera d’écraser quiconque se mettra sur sa route.

.