k n o x - Dommage

traits de caractère / T’es pas très gentil, Knox. Pas méchant, mais pas sympa non plus. Peut-être que si tu dormais la nuit, tu serais plus patient avec les gens, moins chiant aussi. Parce que c’est un peu ton problème, tu ne fais aucun effort, pire, tu le fais exprès. Parce que tu t'ennuies profondément alors tu joues avec les gens, tu provoques, t’attends que ça au fond, qu’on t’en colle une. Qu’on s’intéresse à toi. Sauf qu’une fois que c’est le cas, tu fuies. Parce que tu ne vois pas pourquoi on te tendrait la main, tu ne le mérites pas, tu n’as rien pour toi, rien pour eux. C’est un cercle infernal dont tu ne sais pas te sortir. Au fond, t’es juste perdu. Tu t’es perdu depuis trop longtemps déjà.

T’avais l’impression de n’entendre que le bruit de tes pas dans la station de métro déserte, aucune chance, tes converses au caoutchouc limé ne faisaient guère plus que le bruit d’un chat. T’étais crevé, les battements de ton coeur te crevaient les tympans et le goût du sang te prenait à la gorge. Tu crachais sur le béton et d’un revers de bras, tu étalais le sang coagulé de ton nez. Foutue soirée de merde. Ils diraient encore que ce n’était que ta faute, t’aurais dû fermer ta gueule et pas faire d’histoire. Le truc qui te soulait le plus, c’est que tu n’avais rien fait de mal cette fois, putain ! Ta carte, ce n’était pas une fausse ! T’avais même pas triché, pas menti, tu voulais juste une putain de bière à la base et sans trop savoir comment, tout était parti en vrille.

— Tu l’as volé, oui ou non, ce portable, Knox ?
— Mais j’tai dit que non ! avais-tu gueulé en donnant un coup de pied dans le bureau de bois devant toi avant de te laisser retomber contre le dossier, pressant l’arête de ton nez de deux doigts. T’étais juste claqué de leurs questions qui n’en finissaient plus, de leur regard agacé, irrité. T’étais fatigué d’eux et encore plus d’entendre Mamie te reposer la même question, comme si ta réponse allait changer, par on ne sait quel miracle.
— Bon, il vous a dit que non, c’est qu’il ne l’a pas volé ! avait-déclaré la vieille femme, en se levant mettant ainsi fin à l’entretien. Mamie Manson, elle ne rigolait pas et malgré sa petite taille, elle avait ce quelque chose d’autoritaire en elle qui dissuada le policier d’insister davantage. Peut-être la croyait-il vraiment, ou peut-être était-il juste fatigué de ces histoires pour un pauvre téléphone.
Tu n’avais pas demandé ton reste, tu t’étais levé pour suivre ta sauveuse et la raison aurait voulu que tu fasse profil bas, mais c’était plus fort que toi, pas vrai ? Tu te retournais au dernier moment vers le policier pour lui adresser un furtif mouvement obscène avant de rire silencieusement dans le dos de la vieille femme. Tu faisais pourtant moins le malin une fois seul avec elle, jeté sur le siège passager tandis qu’elle claquait la portière avec plus de vigueur qu’elle n’en semblait capable.
— Il est où ?
— Parti dans un caniveau.

Crachant un nouveau molard dégueulasse au sol, tu inspirais profondément, parfois, elle te manquait. Souvent en réalité, mais tu ne l’admettais pas volontiers. Ta fierté s’en retrouvait entachée. Comment pouvait-elle te manquer alors qu’elle t’avait jeté dehors, un soir de novembre, sans le moindre égard ? Probablement parce qu’elle s’en foutait, que tu t’en sortes ou pas. Ou alors parce qu’au fond, elle le savait que tu t’en sortirais, parce que t’étais pire qu’un cafard, un increvable. Une infection incurable. Une maladie vénérienne honteuse et potentiellement contagieuse par sa médiocrité. Comme ton père, exactement comme lui ! aimait-elle le rappeler. Et quand le sujet de ton père venait sur le tapis, la discussion finissait toujours mal. Un peu comme ta mère qui avait fini par en crever, d’amour. Et de crack aussi. C’était une histoire tragique qui vous avait tous un peu tué, mais Mamie surtout. Parce qu’elle avait perdu sa fille unique et qu’elle le voyait lui à travers toi. Lui, celui qui lui avait dérobé sa fille pour le meilleur et pour le pire.

— Tu crois vraiment qu’un jour tu deviendras quelque chose en te comportant comme ça ? Regarde-toi !
Mauvaise idée, tu préférais ne pas te regarder dans une glace parce que tu savais que tu faisais peur à voir, trop maigre, les traits trop tirés et la mine fatiguée. Tu n’avais pas dormi. Tu dormais atrocement mal alors tu avais traîné sur l’ordinateur de mamie, en douce. Toute la nuit. Comme celle d’avant et celle qui précédait.
Face aux reproches du proviseur, tu ne cherchais même pas à te défendre, tu ne savais plus de quoi on t’accusait, non pas que tu avais la mémoire courte, mais tu ne savais plus bien pour laquelle de tes conneries tu avais fini dans son bureau. Tu ne prometterais pourtant rien, ni de ne plus recommencer, ni de te tenir à carreaux, parce que tu ne savais pas tenir tes promesses.
— C’est ta dernière chance Sterling, ressaisis-toi et mets toi au travail, tu es là pour ça !

Ça bourdonnait dans ta tête, à moins que ça ne soit la rame du métro qui vibrait ? Tu soupirais. Tu avais juste envie de t’allonger un peu et attendre que ton mal de crâne passe. Dans ta poche, ton portable vibra et tu l’en tirais pour voir un message de woolf. Elle t’avait saoulée la veille. “Fuck you…” murmurais-tu, pas d’humeur à communiquer avec la bande ce soir. Mais tu le savais au fond, que c’est ce que tu ferais une fois devant ton ordinateur et posé avec une connexion. Tu avais beau t’énerver dès que l’un d’eux te contrariait, au fond...sans eux tu n’étais rien, pas vrai ? C’était du moins la sensation que tu avais ces derniers mois.

Poussant un nouveau soupir, tu finis par monter dans le dernier métro en direction du motel. T’avais pas un rond en poche et tu pourrais probablement pas te payer une chambre, mais arrivé à destination, tu grattais quand même à la porte de Barbie, armé d’un sourire enjôleur, plein d’espoir, un sourire de beau-parleur. Le sourire de celui qui avait oublié sa dégaine de voyou et les insultes laissées en guise de pourboire de la nuit dernière.
“Juste une nuit de plus et je te jure, je te la paye cette fois !”