des sourires en coin, des clins d'oeils, avant le deuil d'un amour en déclin.

traits de caractère / loreleï, c'est la petite peste de service. celle qui se moque d'une pauvre fille, si elle est mal-lunée. celle qui est scotchée sur son téléphone, tout le temps, dès qu'elle le peut, à mettre à jour son profil instagram, à filmer sa vie, à s'croire influenceuse avec ses nombreux followers. elle est celle qui fait attention à son image. celle qui ne porte jamais, jamais de jean. même en hiver. se contentant de ses robes et de ses jupes hors de prix. les collants, les talons, à faire attention à son image. petite princesse. celle qui ne dit jamais merci, à ceux qui ne côtoient pas le même cercle social. à ceux qui ont des dollars, beaucoup de dollars, de différence. c'est la peste. oui. mais c'est bien ce qu'on veut qu'elle soit, non ? alors loreleï, elle peut pas dire. elle peut pas dire qu'un dimanche sur trois, elle prend un sac avec des affaires de rechanges, et qu'après s'être changée dans sa voiture avec un jogging, et sans maquillage, avec une capuche sur la tête et une heure de route pour rejoindre une petite ville en dehors de new york, elle s'occupe de la soupe populaire. s'occupe de servir à manger à ses gens, ceux qu'elle renie en temps normal, mais ceux qui lui font vivre de belles histoires. parce qu'il suffit d'un bol de soupe tendu et d'un sourire pour qu'ils racontent un peu leurs vies. elle peut pas dire qu'elle ne supporte pas sa vie, celle qu'on l'oblige à vivre, à avoir, quand elle rêverait de prendre ses propres choix. elle peut pas dire qu'elle n'est pas une pétasse, elle peut pas dire qu'elle a une vie, une âme, qui veulent s'exprimer.
non. elle peut pas. alors. elle reste la pétasse.
tant pis.

sois belle et tais-toi.
souris, mais ne mets pas tes coudes sur la table.
allons, loreleï, ajuste cette robe, ça ne va pas du tout là.

papa se tient fièrement debout. cet immense ciseau dans la main, les journalistes en face de lui. le premier hôtel blais prêt à ouvrir. les réservations sont déjà prises pour les trois prochains mois. elle ne sait même pas comment cet hôtel a pu prendre autant d'ampleur. sans doute parce que son père est quelqu'un de connu dans le monde médiatique. un peu comme sa mère, grande politique qui se fait beaucoup entendre à new york, et, partout ailleurs. loreleï se tient droite, entre ses deux parents, alors qu'ils posent pour les photos. elle a à peine treize ans, mais elle fait comme on le lui a appris. les bras tendus le long du corps, le même sourire. il est loin d'être beau, mais il est là depuis si longtemps sur son visage qu'on en oublie le vrai du faux.
le ciseau coupe le grand ruban, alors qu'ils sont les premiers à pénétrer dans ce fameux hôtel, sous les applaudissements d'un public qu'elle ne comprend pas elle-même. parce qu'à ses yeux, c'est rien de fou, si ? elle n'en sait rien. l'endroit est luxueux. un peu trop, mais elle est censée être habituée. loreleï regarde ses parents, regarde tout ce qu'il se passe autour d'elle. c'est un monde qu'elle vit depuis des années mais elle est encore un peu perdue là. alors qu'elle se retrouve déjà dans les bras d'une baby-sitter. faut croire qu'à treize ans, elle n'est pas apte à se gérer toute seule. elle est déjà loin de ses parents, se trouvant dans ce qui semble être son nouveau chez-elle. ses parents ont convié une pièce à jeu, alors qu'à treize ans, elle commence déjà à avoir d'autres envies qu'une montagne de poupée barbie mais... peu importe. elle n'a pas le droit de réclamer. alors elle va jouer comme elle peut, avant de manger les brocolis préparés par cette femme qu'elle ne connaît pas mais qu'elle va souvent voir. avant de dormir. dans une chambre qui est malgré tout décoré très sobrement. c'est là. son nouveau chez elle. une suite dans un hôtel qui pue le fric. les titres seront beaux demain, dans les journaux. assez pour faire plaisir papa et maman.

tu bois pas ? mais sérieux, t'as raté quoi là ?
t'as pas instagram ? donnes-moi ton téléphone. on va réparer tout ça, là.
sérieux ? t'as jamais baisé ? attend. on va te trouver quelqu'un, c'est ta soirée loreleï !

la musique est forte. très forte. elle prend son téléphone portable, regarde stella, sa ... meilleure amie ? ce qui ressemble, en tout cas. elle a chaud, l'alcool se répercute dans son sang. dix neuf ans, elle n'est plus à se première cuite. consciente que le levé va être difficile demain matin. mais tant pis. elle fait ce que tout le monde veut d'elle non ? parce qu'elle boit, là. elle a repéré un garçon, un garçon qui a accompagné son verre par la même occasion. sans qu'elle ne comprenne quoi que ce soit. elle n'apprécie pas ce qu'elle boit, mais elle boit et c'est tout ce qui compte. elle rigole. elle est heureuse. elle croit l'être. mais elle a arrêté de se demander ce qu'elle préfèrerait pour elle. les storys défilent sur snapchat, parce qu'à cette époque là, c'était ce réseau social qui était plus important qu'instagram. elle danse. elle se retrouve coller contre un mur sans savoir comment. des mains sur son corps. elle pense qu'elle le veut. parce que loreleï n'a pas encore le réflexe de vouloir dire non. de vouloir repousser, de penser à elle avant le reste. des mains qui retirent sa robe, elle se retrouve dans elle ne sait quel lit. mais elle pense que c'est cool. alors... alors elle se perd dans les bras d'un homme qui, encore une fois, ne lui apportera pas ce plaisir que ses copines ne cessent de lui dire. non. elle ne ressentira rien. et elle s'en ira le lendemain, comme toutes les fois, rentrant chez elle avec une énième gueule de bois.

t'es pas dans le même monde qu'eux, princesse.
ne lui répond pas, tu nous dénigreras.
qu'est-ce que tu fais loreleï ? reprends cette pièce, on s'en va.

un dernier sourire à ses parents qui s'en vont pour le week-end. elle a l'âge de faire ce qu'elle veut, à vingt trois ans. elle leur a dit qu'elle réviserait tout le week-end, et c'est un peu vrai. elle ne peut pas faire abstraction de ses études. la première journée est longue, elle se retrouve à faire du shooping avec ses amies. très peu concentrée pour rester devant son bureau. mais le second jour, elle enfile dans un sac des vêtements qui sont complètement contraste avec ce qu'elle porte en temps normal, se retrouvant avec des habits très lambda finalement. elle regarde à peine cet homme qui lui tient la porte. cet homme qui s'appelle arthur. elle le sait parce que c'est noté sur son badge, même si c'est la seule personne qui aura visiblement eu la chance qu'elle s'intéresse un minimum à ce qui est écrit sur ce badge. un faible, très faible sourire qu'elle lui glissera, pour une fois. ses parents ne sont pas là, elle a bien le droit hein ? même si pour le coup, ils se montrent un peu plus tolérants face à leurs employés. enfin, les employés de son père. loreleï va dans sa voiture, roule un bon moment avant de se garer sur le bas-côté et d'enfiler des vêtements un peu plus confortable. elle conduira encore quarante minutes avant de trouver cette bâtisse. en piteux état, certes. et c'est bizarre mais elle se sent bien ici. son coeur se réchauffe, à l'idée de ce qu'elle s'apprête à faire. tous les mois, depuis presque six mois maintenant, elle vient ici. elle se place de l'autre côté. avec cette cuillère dans les mains, elle distribue de la soupe à toutes ses personnes démunies. t'arrives tôt, alix. ce second prénom. ce mensonge tissé, finalement. mais... mais si c'est ce qu'elle doit faire pour continuer de se sentir humaine, alors elle le fait. une fois. une seule fois dans le mois. et ça durera deux heures, avant qu'elle ne prenne le chemin du retour, qu'elle s'arrête à peu prêt au même endroit en enfilant à nouveau cette robe et ses talons. et la vie reprend. le masque, finalement. celle où elle est loreleï. ses parents sont déjà arrivés, elle le sait parce qu'ils sont dans le hall de l'hôtel. alors cette fois-ci, elle n'adresse pas un seul regard à arthur. rien. restons hautaine, c'est ce qu'elle sait faire finalement. cette vie, robotisée. cette vie, organisée de a à z. et tant pis.