poupée brisée

01/ j’suis amnésique, mais ça va, j’crois qu’tout l’monde a pigé. j’me suis réveillée à l’hôpital, enfermé entre quat’ murs, plus d’souvenirs auxquels m’accrocher. un accident, y paraitrait, dont j’suis la seule survivante. mes parents y sont restés, ainsi qu’ma mémoire et mon seul sous-vêtement. j’me suis enfuie trop rapidement. tous les médecins, les infirmières, les tests, les aiguilles plantés dans l’bras comme une putain d’junkie… ça m’a foutu la trouille. j’ai paniqué et j’me suis barré, sans réfléchir et avec rien d’autre qu’un corps que j’reconnaissais plus 02/ c’est choquant d’être incapable d’avoir une image précise d’ses parents en tête ou d’pas être en mesure d’répondre à une question aussi banale qu’un simple ; t’as quel âge ? même mon propre nom, j’me rappelle pas, j’ai dû improviser en usurpant l’identité d’une pauvre fille dans l’bottin. en c’qui concerne mes années d’existence, j’suis allée au pif. j’ai l’apparence d’une gosse d’quatorze ans, mais j’sais pas, j’ai pas l’impression d’être aussi immature alors j’me suis penchée vers l’dix-huit ans. j’crois qu’ça l’fait 03/ à voir les fringues que j’portais lors d’l’accident, j’crois qu’j’aimais un peu trop les couleurs éclatantes et le style dépareillé. pas qu’ça m’dérange d’porter c’truc, c’est juste que j’trouve ça moche et j’arrive pas à comprendre pour quelle raison j’aimais ça avant alors qu’aujourd’hui j’déteste. c’est comme si j’avais changé d’âme en perdant mon identité. ou peut-être qu’j’aimais pas ça non plus et qu’j’ai enfilé c’t’attifement à l’arrache. who knows 04/ j’suis tombée sur un garçon en sortant d’l’hôpital alors que j’me promenais dans l’queens sans savoir où j’étais. c’était la première fois qu’on s’adressait à moi depuis que j’suis sortie d’ma profonde léthargie. il m’a dit qu’j’avais une tête bizarre et il m’a demandé une cigarette. j’lui ai répondu qu’j’en avais pas, qu’j’avais même pas d’toit et c’est là qu’il m’a offert d’squatter chez lui. j’ai accepté parce que j’savais pas où aller, ni quoi faire d’autre que d’marcher pendant des heures, sans réelle destination. y a rien d’plus chiant que d’vagabonder comme un sans-abris et d’affronter tous les regards qui s’tournaient vers moi, qui m’dévisageaient. même la lune, elle m’jugeait 05/ c’est comme ça que j’suis atterris ici, sur c’canapé tout pourri, dans c’t’appartement crado qu’empeste la moisissure. j’vais pas m’plaindre, c’est pas comme si j’pouvais m’apitoyer sur mon triste sort parce que j’ai pas l’souvenir d’avoir connu meilleur, d’toute façon. si ça s’trouve, j’étais dans une situation pire qu’celle-ci avant l’accident alors j’vais pas commencer à jouer les chochottes et à m’victimiser. j’ai un endroit pour dormir, à l’abris d’la pluie et des œillades indiscrètes, c’tout c’qu’importe. j’dois avoir connu pire, non ?