Et, peu à peu, sa vie redevient celle qu’elle a été. Comme si les pièces qui forment le puzzle de sa vie réussissaient à nouveau à s’assembler. Tout n’est pas parfait, rien n’est jamais parfait avec Cassey. Mais elle a retrouvé l’essentiel, sa fille. Son bébé lui est revenu, comme un miracle inattendu, pourtant aussi tellement attendu. Leur relation a repris là où elle s’était arrêtée, comme si tous ces mois n’avaient pas compté, comme si rien ne pouvait l’égaler. Arya, elle est dans toute sa vie bien trop tumultueuse sa plus grande stabilité. Son roc, son pilier, sa raison d’exister. Sans elle, l’antiquaire ne saurait même plus celle qu’elle est. Puis elle recommence aussi tout doucement à renflouer son compte en banque. Le deuxième travail toujours là, comme si même avec ses problèmes terminés, elle était incapable d’arrêter. L’argent facile qu’elle ne peut pas refuser. Elle peut le maîtriser, elle peut le gérer. Ce n’est pas comme si elle avait un homme pour s’en inquiéter. Un homme, il y en a bien un, qui a tenté de veiller sur elle… Owen. Mais il y a ce mur qui s’est construit entre eux. Cette distance qui s’est installée, après qu’il lui a avoué qu’il l’aimait. Un amour qui a tout gâché, tout ce qu’ils recommençaient lentement à construire. Un amour qui lui a rappelé, à elle, combien il a pu la détruire. Elle ne veut pas revivre ce qu’elle a subi par le passé, Cassey. Elle ne veut pas le laisser mettre à nouveau son cœur en miettes. Mais il lui en veut, comme s’il ne comprenait pas, comme s’il ne saisissait pas qu’elle a juste trop peur du mal qu’il pourrait lui faire. Il lui en veut de cette distance, qui n’est qu’une précaution, pour leur éviter à tous les deux un peu plus encore de souffrance. Et elle ne sait pas ce qu’il va advenir d’eux, elle tente de ne pas trop se torturer en y repensant. Mais c’est peine perdue, car Owen, il reste le père de sa fille. Leurs vies sont liées, à jamais, même si elle ne le voulait pas. Elles le sont même sans Arya. Cet après-midi, c’est la petite Gabriella qui va les réunir sans le vouloir. L’antiquaire était à sa boutique, en plein travail, quand elle a reçu cet appel apeuré. L’école de la petite fille, venue lui informer que celle-ci est malade, tandis que son oncle reste injoignable. Elle comprend rapidement, Cassey, qu’il va falloir venir la chercher. Et elle n’a pas d’autre choix que d’accepter. C’est ce qu’elle fait, sans même réfléchir, parce que la petite n’a rien demandé. Ce n’est pas parce que ses rapports avec son oncle sont désastreux qu’elle doit le faire subir à la nièce qui n’y est pour rien. La jeune femme passe la récupérer sans attendre, puis passe le restant de la journée à ses côtés. Gaby est endormie depuis vingt minutes à peine quand la porte vient à sonner. C’est certainement Owen qui vient la récupérer. Et t’as le cœur battant, la peur au ventre. Une inspiration profonde plus tard, la jolie blonde se décide à aller ouvrir. C’est bien Lui. – Salut. lui dit-elle quand même, alors qu’il lui présente ses excuses d’emblée. Elle se pousse pour le laisser entrer. – Doucement, elle vient à peine de s’endormir. lui fait-elle remarquer tout en fermant la porte derrière lui. Malgré la tension entre eux, elle essaie d’oublier, pour mieux le rassurer. – Elle va bien, je pense que c’est juste un coup de froid. Mais tu devrais la garder chez toi demain aussi… dit-elle simplement, le ton neutre. Comme s’ils n’étaient pas en froid, comme s’ils ne s’étaient pas déchirés la dernière fois où ils ont pu parler. Comme si ce n’était pas troublant de se retrouver à nouveau à ses côtés.
Il y a cette boule d’angoisse qui se forme en elle dès l’instant où elle se retrouve à nouveau face à lui. Ce n’est pas arrivé depuis les fêtes de fin d’année… Ce n’est pas arrivé depuis la dernière fois qu’ils se sont disputés. À trop s’aimer, ils se sont déchirés, peut-être même détestés. Mais Cassey, elle ne le haït pas. Elle n’a pas réussi à le haïr alors qu’il l’avait abandonnée, seule et enceinte à seize ans seulement, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle peut y parvenir. Mais il y a trop de rancœur, trop de non-dits, trop d’incompréhensions surtout. La sensation désagréable qu’il n’essaie pas de se mettre à sa place, trop pris par ses propres sentiments pour déceler combien il l’a fait souffrir. Combien il a fait d’elle cette femme aux relations amoureuses catastrophiques, cette femme qui devant l’amour, ne cherche qu’à fuir. Peut-être que c’est sa faute, peut-être que c’est elle la responsable. Peut-être qu’elle est la seule coupable. Elle n’a jamais tenté de lui expliquer, combien elle a été brisée. Mais Owen, il n’a pas davantage essayé. Il n’a jamais cherché à comprendre ce qu’elle ressentait, ce qu’elle pensait. Il a passé tout son temps à se justifier, s’excuser, sans jamais essayer de savoir ce qui a pu se passer pour elle. Elle pourrait, cette fois encore, lui dire toutes ces choses. Les avouer au lieu de rester dans son coin et l’éviter. Mais la jeune femme ne se sent pas suffisamment en confiance avec lui pour se confier. Et elle est fatiguée, aussi, fatiguée de revenir sur cette détresse qu’il ne comprend pas. Fatiguée de se battre avec lui sur tout et n’importe quoi. C’est plus facile de l’éviter, plus facile d’essayer à nouveau de l’oublier. Un peu moins quand il débarque chez elle, la mine inquiète, préoccupé par l’état de sa nièce. Elle fait tout pour le rassurer d’emblée, Cassey. Elle ne sait que trop bien ce que c’est. – Oui, je pense que ça ne peut lui faire que du bien. confirme-t-elle simplement alors qu’il paraît un peu plus apaisé. Elle le laisse observer la petite fille, sagement endormie, avant qu’il ne reporte son attention sur elle. C’est d’Arya qu’il veut prendre des nouvelles. – Elle va bien, elle a terminé ses partiels du semestre, elle est plutôt confiante. Elle ne le privera pas de leur fille, sous prétexte que leur relation s’est détériorée. Elle n’est pas comme ça, Cassey, puis au fond, elle sait qu’elle n’a aucune raison de lui en vouloir. C’est juste leur relation qui ne fonctionne pas. Ses deux océans se posent un instant sur lui, sans un bruit. Il est encore dans sa tenue de pompier, elle voit les traces laissées ici et là par l’incendie. – Comment s’est passée ton intervention…? demande-t-elle finalement avant de s’éloigner vers la cuisine pour lui servir un verre d’eau. Il n’a pas dû prendre le temps de se poser une seconde. Elle lui tend le verre sans un mot, mais le regard qui en dit long. C’est troublant de se retrouver à nouveau face à lui. Mais Cassey, elle sait faire bonne figure, c’est juste le sourire qui lui manque.
Tout pourrait si facilement basculer. Dégénérer dans des situations même insoupçonnées. Car ils sont comme ça, tous les deux, ils frôlent à chaque instant l’explosion. Qu’elle soit agréable, sensuelle, par leurs corps en fusion. Ou bien qu’elle soit chaotique, violente, de leurs âmes en perdition. Ils ne connaissent pas la demi-mesure, ne font rien à moitié, tout à l’excès. Ils en sont là, pourtant, dans cette conversation presque gênée. Ce malaise qui ne leur ressemble pas, mais c’est peut-être mieux comme ça. C’est peut-être mieux pour leur éviter de se torturer davantage dans ces conflits qui les épuisent. Mieux pour eux, mais pour leur fille aussi. Ils seront sans doute amenés à se revoir, comme cela a été le cas pour les fêtes de fin d’année. Elle ne peut pas reproduite les erreurs qu’elle a faites à Noël, Cassey. Elle ne peut pas l’ignorer, pour finir par se jeter dans ses bras. Il devrait bien y avoir un juste milieu. Et c’est ce qu’elle tente de trouver, là tout de suite, entre eux. Ils se retrouvent dans cette discussion civilisée entre deux adultes, loin d’être facile étant donné leur dernière dispute. Mais ils essaient, au moins, il essaient tous les deux. – Je la regardait réviser, elle est dotée d’une concentration incroyable. Ce n’est pourtant pas faute de vouloir la déconcentrer. Entre la mère et la fille, on sait laquelle est la plus mature. Elle n’y pouvait rien, elle ne pouvait pas s’empêcher d’aller la retrouver constamment. Parce qu’elles vivent enfin à nouveau ensemble, et pour Cassey, c’est le plus beau des cadeaux. Ce sont les habitudes qu’elles reprennent de leur vie à deux. Mais, décidant de faire un effort à son tour, l’antiquaire interroge le pompier sur cette intervention qui a pris toute sa journée. Il paraît fatigué, lessivé, il finit le verre d’eau qu’elle lui a offert d’un trait. – Essaie de te reposer ce soir… lui répond-elle seulement, un brin embarrassée, comme si elle ne savait pas quoi ajouter. C’est tellement rare, encore plus à ses côtés. C’est difficile de se retrouver à parler comme deux étrangers alors qu’ils se sont tant aimés. Elle fait la conversation comme elle peut, Cassey, mais elle s’attend à le voir s’en aller. Au lieu de ça, il prend soudain la parole pour lui avouer tout à fait autre chose. Un peu surprise, elle le contemple de ses grands yeux bleus déboussolés. Le silence retrouvé, quelques petites secondes, avant qu’elle ne vienne à lui confier. – Je sais…. Je sais que tu ne voulais pas me faire souffrir. Il n’est pas quelqu’un de mauvais, Owen. Et ce n’est pas tant leurs désaccords qui la touchent, Cassey. C’est surtout cette sensation d’être totalement incomprise. Mais elle ne sait pas, elle ne sait plus comment le dire. – Moi non plus, je ne voulais pas te blesser. J’aimerais que ce soit plus simple entre nous. elle lui avoue, ses deux océans toujours ancrés dans les siens. Elle aimerait, c’est vrai, mais elle ne sait pas si c’est possible. Comme s’ils avaient perdu cette connexion, ce lien qu’elle croyait indivisible.
L’atmosphère retrouve une certaine légèreté. Il leur suffit, comme c’est déjà arrivé, d’évoquer celle qui est leur fille. Comme si elle suffisait, Arya, à effacer tous les malaises qui peuvent subsister entre eux. Comme si elle était, irrémédiablement, ce lien qui les rattacherait toujours tous les deux. La rancœur, autant que la souffrance de l’antiquaire, disparaît quand il s’agit d’elle. Comme si elle s’oubliait, pour elle, pour eux et leur relation, et donner à Owen de ses nouvelles. Il paraît ravi, fier même, quand elle l’informe des partiels certainement réussis de la jeune femme. Devant ses paroles, elle arque un sourcil, Cassey, comme si elle ne comprenait pas. Mais il lui explique rapidement, ils n’en ont jamais fait autant. La jolie blonde a une formation solide dans son domaine. Plutôt travailleuse quand elle était passionnée, elle avait tendance à bien plus facilement décrocher quand les matières ne l’intéressaient pas. D’autant plus quand son premier amour était dans les parages. D’un air offusqué, elle entrouvre les lèvres avant de reprendre très vite. – Hé, c’est toi qui faisais tout pour me déconcentrer ! Il prenait un malin plaisir à la troubler. La déstabiliser. Un pouvoir sur elle que, malgré les années, il a semble-t-il conservé. Mais leur conversation leur permet de retrouver une certaine complicité, comme si doucement, la situation se dénouait. Et il en profite, pour s’excuser. Oh, il ne le fait pas réellement, il se contente de le sous-entendre. Mais elle le connaît suffisamment pour le comprendre. C’est un premier pas qu’il fait vers elle, une main qui lui tend pour calmer enfin toute cette colère. Elle la saisit, Cassey, encore prudemment, elle lui répond néanmoins sincèrement. Pas plus que lui, elle n’a voulu lui faire de mal. Elle n’a jamais voulu lui faire de mal. Leur relation prenait lentement, mais sûrement, de l’ampleur sans qu’elle ne veuille se l’avouer. C’est l’amour qu’il lui a confié, qui a tout accéléré. Qui l’a poussée, elle, à s’éloigner. Mais elle a l’impression que, quoi qu’elle fasse, elle le fait souffrir. Cela lui a juste été plus facile de fuir… plutôt que de le détruire. Plutôt que de se détruire, elle, une nouvelle fois. Elle ne le supportera pas une deuxième fois. La belle reste plongée dans le silence alors qu’il dit à haute voix ce qu’elle pense tout bas.
Non, vous ne savez pas faire, vous ne savez plus, vous avez oublié, comment vous aimer.
Ses prunelles se détournent juste au moment où celles de son ex viennent se poser sur elle. C’est trop difficile, trop douloureux. Elle a la sensation amère que, c’est trop tard pour eux. C’est comme s’ils avaient raté le coche, comme s’ils ne pouvaient plus se retrouver. Plus comme avant. Mais c’est peut-être bien le problème, peut-être qu’il a raison même. Peut-être qu’ils ont voulu aller trop vite. Reprendre là où tout s’était fini. Alors qu’ils ont grandi, ils ont évolué. Ils ont peut-être juste tout bonnement changé. Son regard bleuté se pose à nouveau sur les deux océans qui lui font face. – Je crois que… on a fait comme si rien ne s’était passé. On a repris notre relation pratiquement là où elle s’était arrêtée. Elle y a réfléchi, plus d’une fois, ses longues nuits d’insomnie. Elle a réfléchi à toute cette incompréhension entre eux, toute cette rancœur jamais vraiment envolée. Ils ont trop attendu l’un de l’autre, bien plus qu’une relation qui commence. – C’est vrai, tu es venu à ma rescousse quand j’avais besoin d’aide. Je suis presque venue vivre chez toi quand tu étais blessé… C’est pas… Ce n’est pas ce qu’on aurait fait, avec n’importe qui. Ils ne sont pas n’importe qui, ils ne le seront jamais. Mais ils ne sont pas pour autant ce qu’ils étaient dans le passé.
C’est l’insouciance des temps d’antan qui les pousse à la légèreté tout doucement. La complicité retrouvée, la magie qui a encore le pouvoir d’opérer. Ils ne sont toujours qu’à quelques pas de renouer. Elle ne peut pas nier les paroles de son ex, Cassey, elle n’a jamais su lui résister. C’est bien, encore aujourd’hui, la cause de toutes les implosions qu’ils ont été incapables d’éviter. Le sourire coupable, la belle ne peut que confirmer, et avouer la vérité. – Non, je n’arrivais pas à te résister. admet-elle dans un haussement d’épaules délicat. Renouer avec le passé a pu les aider à crever l’abcès avant que, rapidement, la conversation prenne une tournure bien plus prenante. Elle ne veut pas se disputer avec Owen, pas encore. Ils se sont déjà fait trop de mal tous les deux. Depuis vingt ans, chaque fois qu’elle pense à lui, c’est la souffrance qui revient. C’est difficile de s’en détacher, sûrement impossible d’oublier. Elle a le cœur encore trop brisé. Émietté en ces milliers de morceaux que personne après lui n’a jamais su réparer. Elle ne sait pas ce qu’ils ont fait de travers, ce qu’ils n’auraient peut-être juste dû pas faire. Mais, avec le recul, l’antiquaire se dit que, peut-être, ils sont allés trop vite. Ils n’ont pas su aller au bon rythme. Comme s’ils pouvaient oublier, toutes les années qu’ils ont passées séparés. Comme s’ils pouvaient redevenir, ce qu’ils ont été. C’est un leurre, au fond, elle le sait. Mais c’est difficile de renoncer à un premier amour, même s’il nous a brisé. Plus difficile encore quand ce premier amour s’avère aussi être le dernier. Le seul, même, qu’elle n’ait jamais connu. La gorge un peu nouée, la belle pose ses prunelles sur son ex. Ses pupilles bleutées empreintes de sincérité, il lui confie combien elle sera toujours importante pour lui. Autant qu’il le sera pour elle. – Toi non plus, tu ne seras jamais n’importe qui. avoue-t-elle dans un murmure. Elle a mis si longtemps à se l’admettre, encore plus à le prononcer à voix haute. Mais Owen, il fait partie d’elle. Il est cet homme qui lui a fait découvrir ce que c’est, aimer. Il est aussi ce qui lui a donné le plus beau des cadeaux, leur fille. Arya est la personne la plus précieuse au monde pour elle. Sa vie ne serait rien sans elle. Sa main glisse dans ses cheveux, un peu fébrilement, alors qu’il lui fait cette proposition. Celle de tout reprendre à zéro. Elle ignore si elle en est capable, Cassey, elle ne l’a pas été une première fois. Elle ne sait même pas, en réalité, si elle en a vraiment envie, après tout ce qu’ils se sont dits. – Tu veux dire qu’on se verrait comme… un rencard ? demande-t-elle, un brin hésitante, mais un sourire amusé sur le coin des lèvres. Cela fait longtemps, très longtemps, qu’elle n’a pas eu un rendez-vous galant. C’est encore plus étrange de l’imaginer alors que, quelques temps plus tôt, ils étaient encore amants. Le sérieux retrouvé, elle finit par ajouter, les raisons qui l’empêchent d’accepter. La peur de se tromper. Ne plus savoir, comment l’aimer. – Et si on se rend compte qu’on n’a plus rien en commun ? Et si vous ne vous aimiez plus dans le présent ? Si vous réalisez qu’il n’y a plus rien entre vous, maintenant ? Et si tu te rendais compte que t’étais juste devenue incapable d’aimer ?