over the moon (sandy)

les paumes brûlantes, les yeux vifs.

c’est toujours comme ça quand ça se fait dehors. l’illégalité plein les poches, parfois au creux des mains. heath déteste faire ça dehors. ses jambes sont gorgées d’une adrénaline prête à le faire courir à l’autre bout du pays si il le faut, et ça l’ennuie que ça soit comme ça. dans sa bibliothèque, il peut vendre sans se soucier d’être coursé, et c’est ce qu’il préfère. la pire partie de lui n’en a pas tant à faire que ça. ça fait longtemps que heath court dans la rue. trop longtemps pour se lasser.

il attend. ça, il est pas capable de s’y faire. la patience lui fait bouillir les organes, le dévore de l’intérieur. les choses doivent se passer rapidement, sinon, elles n’ont qu’à ne jamais arriver.
et puis, quand son client arrive enfin, heath garde sa remarque amère sous la langue et échange son sachet contre les billets qu’il fourre rapidement dans sa poche. l’autre le fixe, un petit moment, et heath hoche la tête. dans les secondes qui suivent, il est seul à nouveau. c’est bon, c’est fait, c’est réglé. ça aurait pu prendre dix minutes de moins, il pense les sourcils froncés.

maintenant, il faut s’en aller d’ici sans passer pour un criminel. c’est dur, ces derniers temps. heath a le visage de ceux qu’on arrêter parce qu’on croit qu’ils sont coupables. ça pourrait être amusant, si la prison n’était pas en jeu.
revenant sur ses pas, heath croise quelqu’un, un ‘collègue’, comme il aime dire. ça n’a pas de sens. c’est ni un travail, ni un hobby. c’est rien du tout. c’est de l’argent sale récolté auprès des désespérés. ça devrait pas l’amuser.

il s’apprête à continuer sa route, mais y’a quelque chose qui l’en empêche. il y a cette silhouette, en face de l’autre dealer, qui lui semble atrocement familière. familière.
c’est son corps qui réagit en premier. son corps qui sait. son cerveau ne devine qu’après, et il redoute ce qu’il comprend.

ça a le goût d’un mauvais rêve. heath s’en fout, de ceux qui consomme. ça arrive à tout le monde, la terre entière nie qu’elle aime se crever les neurones en se défonçant à la première chose qu’elle trouve dans la rue. tout le monde s’éclate le corps contre un rocher. et heath ne s’en souciera jamais plus que ça.

mais c’est sandy. y’a sandy, juste là, tout près, et heath peut pas se retenir. il attrape son avant bras, la tire vers lui pour qu’elle lui fasse face. c’est celle avec qui il a grandit. la fille du voisin. prête à s’éclater le corps contre un rocher, comme le reste du monde. et au yeux de heath, ça semble pas correct.

“sandy,” il se précipite, le regard aggravé. “qu’est-ce que tu fous là?! à quoi tu joues?” heath lui lance, le coeur serré, plus inquiet qu’énervé. il analyse son visage, son attitude. les traits qu’il a tant chéri. qu’il continue de chérir. “c’est pas un putain d’endroit pour toi. c’est pas un truc pour toi. à quoi tu joues?” il répète, la mâchoire tendue.

il y avait un temps où les choses étaient différentes. toujours aussi désordonnées, moins brûlantes et sombres. c'était simple de faire sourire sandy, encore plus simple de s'esclaffer avec elle. étrangement, heath ne peut plus vraiment se souvenir de ces jours avec précision.

parce que ça fait longtemps, eux deux. du temps à vivre l'un à côté de l'autre, comme une habitude quotidienne. côte à côte, et puis, au fil des jours, les regards se sont défaits, les mots décousus. c'est mieux comme ça, c'est ce que pensait heath--c'est plus correct comme ça.

au final, ça a peut-être gâché les choses encore plus vite que prévu. il le voit aux hostilités de ses yeux, au cru de ses paroles. ça ne lui fissure pas l'être plus que ça. il connaît à peu près de quoi sont faites les tornades qui composent sandy. sinon, heath ne sait pas grand chose. t'as l'air de toujours tout savoir. tant mieux. une prétention à porter en guise de masque, pour se donner un peu de couleur. c'est sûrement mieux qu'un gris fade.

“j'pensais que t'étais assez grande pour savoir toute seule.” la dureté dans le regard, heath la pare avec les froideurs qu'il a trouvé dans la rue. “j'pensais que t'avais arrêté d'être une gamine capricieuse,” il ajoute, parce que c'est facile à dire. c'est facile de ne sélectionner que les éclairs passagers de leur relation, de les pointer du doigt. “j'me suis sûrement trompé.”

la provocation a le goût de quelque chose qu'on a oublié par mégarde. la retrouver a ce vague sentiment de nostalgie, et ça fait presque sourire heath.

“ce qui est vraiment fou, c'est que tu te joues encore à la princesse. t'es encore coincée ici?” il engage un bref contact, un frappe du bout du doigt qui frôle le front de sandy. “c'est dommage. d'ailleurs, dis-moi comment tu prévois de finir. comme ça, j'pourrais expliquer à ton père ce qui t'es arrivé. y'a moyen qu'il soit plus content de me voir que toi, d'ailleurs.”

c'est juste dommage. heath n'a jamais aimé la sensation de la mélancolie perdue sous sa langue. c'est dommage. sandy lui a filé d'entre les doigts, à un moment, sans qu'il ne s'en aperçoive. ça aurait pu se défaire autrement, peut-être.

“mais ouais. peut-être que t'as raison. on devrait fêter ça. ça serait plus tripant que de s'prendre la tête ici, hein? ça se trouve, on pourra super bien s'entendre le cerveau éclaté.” il hausse les épaules, et il sait qu'au fond de lui, l'idée le dérange pas tant que ça. “j'espère que tu t'achètes de la bonne came, au moins. que tu fais ça bien. comme ça t'auras de quoi être fière.”

les choses étaient différentes, avant. toujours aussi désordonnées, moins brûlantes.
le vague souvenir du rire de sandy dans des corps plus légers et dépourvus de plaies à la surface de l'âme.