les dalles de pierre se dessinent derrière l'opacité du brouillard, dressées comme autant de braves petits soldats condamnés à veiller le dernier repos des guerriers. elles semblent s'aligner devant toi, t'indiquer un chemin que tu connais déjà par coeur pour y avoir usé tes godasses. de toute façon, le matériel, c'est tout c'que tu peux encore abîmer ; l'âme déjà souillée par la mauvaiseté des hommes - les derniers lambeaux de coeur réduits à néant depuis qu'
elle a offert au monde son dernier souffle.
c'était aujourd'hui.
un aujourd'hui d'une autre année.
la page du calendrier n'avait jamais mué, fixée au mur comme le plus douloureux des rappels - fixée dans ta mémoire avec les clous d'un putain de crucifié. parce que c'est c'que t'es, cez, depuis ce jour ; accroché à la vie sans nul autre choix, sur le point de crever sous ton propre poids.
et le poids de la solitude.
et le poids des regrets.
et le poids de la culpabilité.
et le poids du monde tout entier. et tu traînes ce fardeau jusqu'à sa tombe pour finalement y retrouver la bouée de chair et d'os qui vivait du même sang.
t h e l m a.
thelma et le pansement sur la plaie pourtant béante.
thelma et la corde qui te retient.
thelma et tout ce qui faisait un semblant de bien à chaque mot, chaque pas - chaque fois.
tu restes muet un instant, les opales azurées irrémédiablement attirées par le portrait qui, avec le temps, s'était gravé de lui-même sur le muscle que tu dissimules derrière ta cage thoracique. les traits fins, la beauté immuable. joy avait tout de celle qu'on ne pouvait oublier. rien que
tu ne puisses oublier.
tu fermes momentanément les paupières comme pour t'éveiller à ces souvenirs, initier une prière qui ne lui parviendra sûrement jamais, pour c'que t'y crois, blackbird. t'as jamais été pieux de toute façon, pas même pour croire qu'on lui avait ouvert les portes du paradis - mais parfois peut-être pour croire qu'on t'accueillerait un jour en enfer.
«
tu me sauves in extremis d'un tête à tête foireux. »
entre toi et la mort -
sa mort.
plus douloureux que foireux, en réalité. mais t'oses pas dire que ça t'fait mal cez, que ça te prend aux tripes et même au coeur chaque fois que tu viens là.
-- tous les jours tu me sauves, thelma
et tu l'vois sûrement pas
mais j'suis pathétique
une épave quand t'es pas là pour me remettre à flots
ou pour au moins me donner l'impression qu'j'ai pas besoin d'être sauvé
pourtant tu l'fais
et tu l'sais sûrement pas
mais toutes les nuits tu me sauves, thelma.
«
j'suis venu sans avoir le coeur à rester » tu admets, l'attention toujours fermement portée au lit de marbre étendu à tes pieds - un berceau si dur pour un être si tendre. t'aurais sans doute tourné les talons dans la seconde si elle n'avait pas été là. parce que le courage s'est fait la malle ce matin quand t'as posé les yeux sur le mur délabré - parce que la croix sur le calendrier était plus lourde encore que celle que t'avais à porter.