(vlad), everything got shattered in the dark.

01/ T’es né chez les Burton. Ça implique plein de choses et en même temps, t’as eu une famille assez banale. Des parents aimants qui ont eu trois gosses ; toi t’es le cadet de la famille, le juste milieu de la chose. Ton grand frère t’as toujours dit que ça faisait de toi un privilégié parce qu’en tant que deuxième, t’avais le droit à une éducation moins sévère. Il a souvent dit que t’étais le petit préféré, mais toi tu l’as jamais vu comme ça. Parce qu’au fond de toi, tu voyais bien la fierté que tes parents avaient quand ils regardaient les deux autres. T’as toujours su qu’ils vous aimaient autant l’un que l’autre, tous les trois. Pourtant, ça t’a jamais empêché de taquiner ton frère, de rentrer dans son jeu juste pour l’embêter un peu. 02/ Quand t'étais gosse, les gens passaient leur temps à dire que t'avais l'âme d'un grand artiste. Un peu réservé, étrange, l'air torturé... T'avais la carrure d'un Van Gogh et sans doute le visage d'un Picasso. Sauf que tu n'avais aucun talent particulier ; le dessin, la peinture, l'écriture, c'était tout un tas de trucs qui t'étaient étrangers. Tes parents le savaient mais ne voulaient rien dire, par respect pour toi ou plutôt pour ne pas froisser ces inconnus qui croyaient bon de se pavaner en étalant leur absence de perspicacité. T'étais agacé par tout ça. Ces gens se plaisaient à croire qu'ils te connaissaient par cœur alors qu'ils ne prenaient même pas la peine de t'adresser la parole. La plupart ne connaissait même pas ton nom. Et pourtant ils ont réussi à te faire reculer, tu t'es recroquevillé sur toi-même et t'as transformé ta vie en salle d'attente. 03/ T’as pas été étonné quand tes parents t’ont annoncé qu’ils voulaient être famille d’accueil, pour accueillir des enfants qui n’avaient pas ta chance. Des enfants qui n’avaient pas de papa, pas de maman. Tu n’y voyais aucun inconvénient, tu savais que tes parents avaient toujours eu plein d’amour à revendre. Mais le jour où le premier gamin est parti, tu les as vus plus triste que jamais et tu t’es mis à te méfier de ces inconnus qui venaient partager ta maison. Tes parents t’avaient dit qu’ils les considéraient comme leurs propres enfants, que chacun avait sa place dans leurs cœurs et que tout départ laissait un trou béant dans leur poitrine. Toi, t’étais pas bien grand, tu comprenais pas. Ne voulais pas comprendre. T’avais l’impression que ces gamins prenaient ta place et que chaque nouvelle arrivée représentait une menace parce qu’on te prenait un peu plus ta place. 04/ T’avais que quinze ans quand ils sont morts. Décédés. Partis au ciel. Les expressions étaient multiples pour désigner ce qui c’était passé, mais toi tu retenais juste qu’il y avait eu un accident de voiture et que t’étais devenu orphelin comme tous les autres. T’étais pas mieux que tous ces gamins qui avaient défilé chez toi. Pas mieux que Deborah, la dernière en date à avoir foulé le sol de ta maison. Elle a dû repartir ailleurs et t’as eu la chance de ne pas avoir à la suivre. Parce que t’avais un grand frère suffisamment âgé pour s’occuper de toi, t’as pu éviter d’être un gamin qu’on trimballe de famille d’accueil en famille d’accueil, le temps de savoir ce qu’on pourrait faire de toi. Et t’avais beau aimer ton grand frère plus que tout, ça a quand même laissé un grand vide dans ton cœur. T’étais déjà pas très ouvert, mais là c’était encore pire. T’es devenu froid, te contentant bien souvent de répondre par un mouvement de tête, économisant ta salive pour ce qui en valait vraiment la peine. 05/ Deborah, tu l’as côtoyée pendant cinq ans avant qu’elle disparaisse de ta vie en même temps que tes parents. à la maison, tout le monde l’adorait, lui donnait des surnoms affectueux tels que Deb’ ou Debby. Mais toi t’étais là, à l’appeler Deborah, et encore, c’était quand t’acceptais de lui adresser la parole. T’étais sans doute un peu con mais tu la tenais un peu responsable pour le manque d’attention de tes parents. Pas qu’ils ne faisaient pas attention à toi, mais ils auraient pu être un peu plus attentifs quand même. Tu lui parlais pas beaucoup, mais ça te laissait pas mal de temps pour l’observer. T’as rapidement remarqué qu’elle se connectait souvent sur des sites étranges sur internet. C’était mal, mais tu t’es mis à fouiller dans son historique. T’as découvert des forums où il se passait des choses que tu ne comprenais pas très bien. Et puis surtout, t’as découvert un pseudonyme. Celui-là même dont tu t’es servi pour la chercher par la suite. Il t’a fallu chercher un moment avant de la retrouver, mais t’étais déterminé et t’as fini par mettre la main dessus. C’était juste pour savoir si elle allait bien. Du moins, c’est ce dont tu essayais de te convaincre. 06/ T’as commencé à passer de plus en plus de temps à lire ce qu’elle pouvait bien écrire. Tu comprenais pas trop ce qu’elle pouvait bien faire, quels étaient les messages qu’elle postait, les histoires qu’elle racontait. T’as passé pas mal de temps à l’observer, jusqu’à comprendre ce qui se passait. T’étais là à étudier tout ce tu voyais, jusqu’à ce que tu saisisses enfin le fonctionnement des forums rpg. C’était ta seule chance d’entrer à nouveau – ou pour la première fois, faut dire que tu lui avais jamais vraiment parlé non plus, que tu avais jamais fait l’effort de t’intéresser à elle – en contact avec Deborah et tu l’as saisie comme tu pouvais. Tu t’es inscrit sur son forum, t’as pris la peine de te créer un personnage, de te trouver des liens, et surtout, de te dégotter une nouvelle identité. T’étais là à te pavaner sous le pseudo de wild child et à te faire appeler Ariel, simplement parce que c’était le Disney qui passait à la télé au moment où t’as fait le choix de t’inscrire. Pourquoi tu te faisais passer pour une fille ? Tout simplement parce que t’as remarqué qu’elles étaient majoritaires sur ce genre de forums et que tu voulais te noyer dans la masse. Alors t’as commencé à parler à Deborah sous une identité qui n’était pas la tienne, commençant à faire sa connaissance sous des traits que tu créais tout autant que ton personnage, même si tu mettais un peu de toi dedans. 07/ Ta première fois, tu l’as faite avec un gars. T’en avais pas particulièrement envie, alors tu ne sais pas pourquoi t’as accepté, ou plutôt, pourquoi tu n’as rien dit. T’appréciais ton partenaire, mais tu t’es vite rendu compte que c’était quelque chose qui ne te plaisait pas et qui était loin de te convenir. Pourtant, t’en gardes pas un mauvais souvenir. Ça t’a permis d’en apprendre un peu plus sur toi-même, de découvrir qui t’étais vraiment. Panromantique, hétérosexuel. Voilà ce que t’es. Parce que t’es certain d’avoir eu des sentiments pour ce gars-là, seulement, t’avais pas spécialement envie de passer à l’acte avec lui. En fait, tu t’es vite rendu compte qu’il n’y avait que les femmes qui t’attiraient sexuellement et tu t’es fait une raison. Pas que ça te gênait particulièrement, mais tu savais que ça pourrait gêner tes relations avec d’autres gars. En tout cas, lui ça l’avait gêné. Alors tu l’avais laissé partir, sans regret. Ce n’était clairement pas ton âme sœur de toute façon. 08/ Les vrais amis, ça se compte sur les doigts d’une main. Ce vieil adage, ton père te l’a répété maintes fois, quand bien même il était très entouré. Toi t’as pris ça un peu trop au pied de la lettre, tes amis tu peux les compter sur les phalanges d’un seul doigt. En réalité, t’as qu’un seul véritable ami, que t’as rencontré au début du collège. Il est devenu comme un véritable frère pour toi et t’as toujours su que tu pouvais compter sur lui. Bien sûr, t’as été un peu ébranlé le jour où t’as découvert qu’il sortait avec Deborah, alors même qu’il savait que tu ne pouvais pas la voir. Sur le coup, t’as été un peu agacé et puis t’as laissé couler, les fuyais juste pour éviter d’avoir à la croiser. Bien sûr, tout ça c’était avant l’accident, avant de la retrouver sur son forum pour éviter d’aller la voir directement après t’être comporté comme un véritable goujat. T’as pas dit à ton meilleur pote que tu lui reparlais d’ailleurs. T’avais un peu trop pris l’habitude de te comporter comme un idiot et tu ne voulais pas qu’il se moque – même gentiment – de ton changement d’attitude. Et puis en vrai, ça t’a embarrassé qu’il la trompe, de savoir qu’elle se prenait encore une belle claque de la part de la vie. Mais t’as rien dit, parce que c’était pas à toi de prendre position. 09/ T’as entamé des études d’informatique pour apprendre à coder des petits programmes et débugger des sites, voire des ordinateurs complets. Tu t’étais jamais vraiment trop intéressé à ce qui pouvait faire tourner les sites que t’utilisais auparavant, mais au final, t’as essayé et ça t’a plu. Le montage d’ordinateur et le codage, ça n’a presque plus aucun secret pour toi. Bien sûr, il faut que t’attendes d’avoir ta licence pour faire quelque chose de ton diplôme et t’es même pas sûr que ce soit quelque chose qui va te plaire, mais tu veux y croire parce que t’as pas tellement envie de passer ta vie à faire un métier qui te passionne pas. C’est pourtant le risque quand on choisit des études par défaut, mais toi t’en as que faire. La vie t’a porté jusque là et toi, t’as juste à lui donner un petit coup de pouce pour l’aider à rentrer dans ta conception du monde.