(arte) jalousie

traits de caractère / souvent trop solitaire pour être sociable, le monde extérieur a souvent tendance à lui prêter les plus mauvaises intentions. une tête qui ne revient pas, quelques préjugés entre deux regards échangés et il est rangé dans la catégorie mauvaise fréquentation. il en joue, évidemment. la vie est une formidable expérience sociale. il aime l'inaccessible. l’avenir. les filles aussi, quand elles ne veulent pas de lui aux premiers abords. la tête froide. déjà trop d’années passées à voir le monde sous ses plus abjectes coutures que les pérégrinations modernes ne font aucun écho en lui. il en connaît tellement peu sur lui que sa curiosité pour les autres en serait presque obsessionnelle. téméraire, compétiteur ou les deux. la vie lui a appris à se battre, constamment. une bataille des égos parfois.

berlin n’était pas encore une capitale quand cette accro au crack a découvert qu’elle était enceinte. trop tard pour reculer. le mur de berlin n’était même pas encore tombé. quand l’histoire réservait encore au monde de belles histoires, cette allemande allait pourrir à jamais la vie de son nouveau né. et, sans jamais la voir, il la tiendrait toujours pour responsable de tous ses maux. elle était réputée pour avoir le contact facile, avec sa jupe trop courte et son décolleté trop plongeant. elle pouvait se targuer d’offrir les passes les plus chères. et puis elle a rencontré ce richissime américain, en études à berlin. c’était tout écrit. l’histoire dira qu’elle ne l’a pas rencontré dans ses rues mais plus loin, à l’écart de sa vie sordide. il a compris qui elle était. ils se sont fait confiance. une confiance aveugle, démesurée pour deux âmes égarées. trop jeune pour foutre sa vie en l’air avec un gamin, trop loin aussi de chez lui pour se soucier des conséquences, il a oublié ses principes quand il l’a abandonné dans sa chambre étudiante. elle n’était pas encore totalement débarrassée de ses addictions. c’était facile de la laisser là où elle appartenait.

la grande fenêtre ouverte du salon qui donne sur la place gendarmenmarkt d’où s’échappent toutes ces sonorités européennes. il apprécie les fluctuations de la langue française coupée au couteau quand elle s’essaie à l’allemand. les premières années de sa vie dans ce grand appartement au parquet toujours parfaitement ciré. les premiers éclats aussi quand il était encore trop petit pour soulager les plus obscènes désirs de son père adoptif. une assistante parlementaire en guise de mère adoptive. elle était désolée. elle était fragile. elle était là mais voulait être ailleurs. une âme emprisonnée qui n’avait pas le courage de s’en aller.
puis il y a eu cette chambre d’amis qui n’en était pas vraiment une. quelques meubles recouverts par d’épais draps blanc. des volets toujours fermés. et ce matelas contre lequel son visage se retrouvait à chaque fois que le ministre souhaitait assouvir ses pulsions. ce n’était pas toujours aussi noir pourtant. il avait l’éducation. la culture. il avait plus que tous les autres d’ailleurs. le statut social qui venait avec un père adoptif ministre de l’économie. il avait plus que les autres oui, il le savait. alors il ne disait rien. trop peur d’imaginer ce qui pourrait se passer autrement. dehors, ce pouvait être pire. il s’en doutait.

dix ans. quelque part, quelque chose qui n’incitait plus le ministre à poursuivre ses pulsions alors il s’est retrouvé à l’orphelinat, encore. des relations compliquées. pourquoi ce gamin qui avait eu une famille pendant dix ans quand d‘autres n’en avaient jamais eu la ramenait ? quelques coups échangés pour légitimer sa place parmi eux. et c’était la rengaine habituelle de cet endroit froid, au confort rudimentaire et aux sourires absents. il n’a pas suivi quand on lui a proposé de voler. il n’a pas non plus suivi quand on lui a proposé de dealer. il avait ses principes. cette tête froide qui le gardait à l’écart des dangers les plus courants dans cette partie de la ville. autant de facilités pour des gamins perdus. il a refusé de suivre cette voie. refuser ce chemin que la vie semblait pourtant lui avoir tracé. il a été abhorré pour ça, adoré aussi.

l’extérieur était encore plus effrayant. quand l’âge de la majorité suffisait à lui seul à expliquer pourquoi il n’était plus le bienvenu entre ses murs. ça lui a pris deux boulots pour survivre. il servait les cafés dès sept heures du matin à ces étudiants venus des quatre coins de l’europe. ils se plaignaient de tout quand lui rêvait d’être à leur place. il a bien suivi des cours en candidat libre, les soirs où il n’avait plus rien pour se payer où dormir. alors il attendait la fermeture et il dormait entre les étagères de la bibliothèque, remplies de bouquins qu’on ne l’avait jamais forcé à lire. mais il le faisait.

et puis enfin il y a eu ce billet d’avion joué au poker, un soir de février 2017. et c’est comme ça qu’il a obtenu un aller simple pour new york. un visa de touriste qui s’est rapidement transformé en visa caduque et en présence illégale. pas assez d’argent pour rentrer. pas de but à poursuivre non plus. un salaire perçu en billets froissés. pas de mot à dire quand les collègues se servaient dans ses pourboires. pas un mot à dire non plus quand le patron le foutait à la porte. il y en a eu des cafés en bientôt un an.