We the people fight for our existence
We don't claim to be perfect but we're free
We dream our dreams alone with no resistance
Fading like the stars we wish to be
I. Love knows no frontierC’est loin, très loin d’ici, que notre histoire commence. Hyderabad en Inde. Un paysage de carte postale. Des temples séculaires où raisonnent les mantras des brâhmanes en prière. La douceur du fruit du dragon dansant avec l’âcreté du bois de santal, se consumant dans les brûles-encens. Hyderabad et son concert de klaxons qui étouffe l’onde sonore du gong, ou l’appel à la prière du Muezzin surplombant la ville depuis le minaret du Charminar. Ces buildings tutoyant les sommets, que regardent tristement envieux les habitants des Bidonvilles. Cet écrin pour le moins dépaysant, fut le théâtre d’une rencontre tout aussi improbable qu’incroyable. Celle d’un groom dans un hôtel de luxe, avec la fille de l’un des plus puissants promoteurs immobiliers de toute la côte est des états-unis. Un véritable conte de fée des temps modernes. L’amour entre deux êtres n’appartenant pas au même monde : un mythe, une vue de l’esprit et une utopie ? Pas toujours. Lynn Shedir et Kiran Amritaj en sont la preuve. Ou bien l’exception qui confirme la règle. Leur rencontre fut absolument shakespearienne. Comme vous le savez, ou ne le savez peut-être pas, Hyderabad regorge de marchés nocturnes aux mille-et-une couleurs, senteurs et saveurs. De magnifiques merveilles, qui valent le déplacement et le coup d’œil. Lynn Shedir aurait certainement été elle aussi de cet avis, si les trombes d’eau précédant l’arrivée inattendue et soudaine d’un typhon, ne s’étaient pas mises à se déverser des cieux avec autant d’intensité que le jet d’un pommeau de douche poussé à son maximum. Obligée de rentrer en catastrophe à l’hôtel où était descendu son père pour affaire, quelle ne fut pas son désappointement lorsqu’elle trouva portes closes en cette heure de la nuit plus que tardive.
Par chance pour elle, un aimable groom étant de service de nuit et qui passait miraculeusement par là, vint à son secours en lui ouvrant les portes depuis l’intérieur. L’unique héritière d’un colossal empire financier, se dit que c’était sûrement le ciel qui lui envoyait cet homme providentiel. Si elle s’était écoutée, elle se serait probablement jetée sur lui afin de l’embrasser. Allons, un peu de tenue ! Sont-ce là des manières pour une dame de se comporter ? Non, de toute évidence. Avec son accent chantant, Kiran Amritaj s’enquit de savoir si la malheureuse allait bien. Oui, à présent et face à de si beaux yeux noisettes, cela ne pouvait qu’aller bien. Comment peut-on se sentir mal face à ce sourire aussi éclatant que la blancheur de la lune et ces adorables bouclettes couleur café ? Ce fut ce qu’elle se dit dans son for intérieur, alors qu’elle était encore toute tremblante et transie de froid. Totalement perdue dans le chaos de ses pensées, Lynn ne capta pas le sens des paroles de l’homme au teint basané, ni ne s’aperçut aussitôt qu’il s’était permis d’enrouler un bras autour de ses épaules, afin de l’aider à se réchauffer un tant soit peu. Quelques paroles rassurantes, de chaleureux remerciements et notre Lynn se retrouva en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, emmitouflée par son chevalier servant dans des serviettes bien chaudes sortant tout juste de la blanchisserie. Il y avait de l’électricité dans l’air. Et ce n’était pas seulement dû à l’orage qui commençait à gronder dehors.
Un arabica partagé pour parachever de se réchauffer. De longues heures passées à discuter et à faire connaissance. Puis une chose en entraînant une autre, l’électricité fit des étincelles et ne tarda pas à allumer un incendie de désir. Incendie que devint un véritable brasier de passion, que les deux amants veillèrent à alimenter et entretenir au jour le jour. Tout était parfait. à un détail près. Kiran Amritaj, groom et portier dans un hôtel de luxe, est tout aux yeux de Monsieur Shedir sauf un bon parti pour sa fille unique.
« Je ne veux pas de ça chez nous ». Telles furent les paroles assassines que décréta le patriarche. Inconcevable. Impensable. De toute manière, il a bien d’autres plans pour elle. Comme l’unir au fils Hartman, l’héritier de la firme rivale. Ceindre les deux puissances immobilières des états-unis, afin de faire rayonner et prospérer un vaste empire dans tout l’Amérique du Nord. Voilà le grand rêve du père de Lynn. Un dessein que ne partage pas la principale intéressée. Disputes sur disputes éclatèrent. Le vieil homme posa un ultimatum à sa progéniture. Soit elle rentre avec lui à la fin de la semaine et agit dans l’intérêt de la famille, soit elle reste ici et auquel cas ce sera pour lui comme si elle était morte, ou qu’il n’avait jamais eu de fille. Convaincu que cette dernière finirait par plier et que ce n’était là qu’une
« petite amourette de vacances », Monsieur Shedir dû se rendre à l’évidence quand sa fille ne se présenta pas à l’aéroport : l’amour venait de l’emporter sur l’argent.
I'm a dreamer, a make believer
I was told that you were, too
I love the silence and the clear horizon
And I got that all from you
II. Two hearts are beating togetherL’idylle que fila le parfait couple fut très vite sublimée par les joies de la grossesse, puis de la parentalité. Un petit garçon de quatre kilos deux et cinquante et un centimètres, naquit le dix-neuf Août mille neuf-cent quatre-vingt neuf à Hyderabad. La question de son prénom fut pour ses parents un sujet d’intenses tractations et pourparlers. Quel nom donner à cet enfant ? Lui qui est le fruit d’un métissage aussi fabuleux qu’étonnant. C’est finalement Madame qui eut gain de cause avec Inko. Monsieur s’étant finalement fait à l’idée, que l’intégration de son fils au pays de l’oncle Sam serait plus facile pour lui, s’il était détenteur d’un prénom laissant planer le doute quant à ses origines de l’autre bout du monde. Car oui, les tout jeunes parents avaient de longue date prévu de partir pour les états-unis, sitôt que la grossesse de Madame serait arrivée à son terme. Il est vrai que l’Inde du début des années quatre-vingt dix, était loin d’être aussi glamour et développée que celle d’aujourd’hui. Souhaitant un avenir radieux pour leur rejeton, le couple se dit que la première puissance du monde lui offrirait sans doute plus d’opportunités de se réaliser entant qu’individu que l’Inde. Hors de question cependant d’aller implorer et quémander auprès de Monsieur Shedir. Lynn a bien trop de fierté pour ça. Une fierté de lionne qu’elle a d’ailleurs transmis à son fils. Ils se débrouilleront eux-même. Ce sera dur parfois. Éreintant voire usant, mais ils y arriveront. Elle le sait. Si tout les trois s’aiment, restent unis et soudés : ils peuvent tout affronter et surmonter.
C’est loin de la capitale, dans la ville portuaire de New-York, que le couple s’installa et ouvrit une épicerie, spécialisée dans la vente de produits de primeurs orientaux. Des produits de l’agriculture bio, issus de coopératives et du commerce équitable. Un concept très tendance et porteur aujourd’hui, mais totalement novateur et inédit à l’époque. Un contexte des plus propices, et qui permit au petit Inko de pleinement s’épanouir. Déjà tout petit, le garçonnet fait preuve d’une incroyable qualité d’éveil. Il est certes plutôt social avec les autres petits bouts de son âge au jardin d’enfant, mais ce qu’il préfère par dessus tout, c’est s’isoler et se mettre à l’écart pour observer. Pour entendre. Pour contempler. Pour comprendre. Oui, le bambin est dans son monde à lui. Tant et si bien, que ses parents redoutent un handicap cognitif ou psycho-moteur. Une batterie de tests et d’examens infirma cette éventualité, soulageant grandement les époux Amritaj au passage. Inko est simplement un enfant rêveur. Un petit garçon qui préfère les livres à la compagnie et aux interactions avec la marmaille de son âge. Il se voit comme étant le preux chevalier en armure terrassant le dragon, et allant délivrer la princesse au plus haut étage de la tour du donjon. Et des fois même … il se plaît à croire que c’est un prince qui est captif. Le petit métis est donc un être hypersensible, débordant d’amour et de bons sentiments.
A l’école en revanche, ce n’est pas vraiment cela. L’enfant d’ Hyderabad est certes un doux rêveur, mais c’est également un petit démon turbulent et dissipé. Il faudra beaucoup de temps avant de comprendre ce qui se passe. Lors d’une et unique visite chez un psychologue, l’évidence apparue. Ce dernier proposa au petit plusieurs tests de QI, et le verdict fut des plus ahurissants. 165 de Quotient Intellectuel. Soit cinq points de plus que celui d’Einstein. Surdoué ou enfant précoce, toujours est-il que le diagnostic pour le thérapeute fut on ne peut plus clair : Inko utilise tellement peu son plein potentiel en suivant une scolarité
« normale », qu’il a le sentiment de s’ennuyer et d’être en décalage par rapport aux autres élèves de son âge. Le
« traitement », à savoir sauter deux classes, fut, en plus d’être indolore, on ne peut plus efficace. Dès lors, tout alla on ne peut mieux dans le meilleur des mondes. Du moins, jusqu’à ce fameux jour de Janvier 1995. Le héros de notre histoire est alors âgé de cinq ans. Aujourd’hui, c’est Monsieur Amritaj qui emmène le petit à l’école. Seulement, le petit en question ne semble pas pressé et fait plus preuve de mauvaise volonté qu’autre chose. Son capital patience épuisé, le père finit par hausser le ton sur son impertinent fils, qui lui répond avec une insolence propre aux gamins :
« Je te déteste ! ».
He lived like he knew nothing lasts
Didn't care to look like anyone else
And he was handsome, so handsome
I still hear his laugh like he’s here
III. The pains of hellSilence radio durant tout le trajet en voiture. Le dernier. Il aura suffit d’une route partiellement verglacée et d’un poids lourd faisant une embardée, pour que tout bascule. Rien. Le vide. Un blackout complet. Quand Inko ouvre les yeux, la première chose qu’il distingue au milieu des éclats de verre du pare-brise, c’est le gisant de son père allongé sur le dos au pied d’une des roues du camion. Haletant et tremblant, le petit garçon passe outre la douleur et rampe en couinant vers le corps étendu de son père. Il sait. Il a compris. L’enfant extrêmement mâture qu’il est a compris. Mais il ne veut pas y croire. Pour une fois, il refuse de comprendre. Non … . C’est impossible. Avec la force du désespoir, il secoue fébrilement l’épaule de son paternel et parvient péniblement à articuler entre deux crises de larmes :
« Papa … . Réveille-toi papa … ! J-je … je suis désolé. Je ne pensais pas ce q-que… ce que je t’ai dit tout à l’heure. Je ne te déteste pas. J-je… je t’aime. Papa, papa, papa !!! ». Non, non, non !!! Cela ne peut pas se terminer comme ça.
« Je te déteste. ». Inko ne peut se résoudre à croire que ce seront là les dernières paroles, qu’il aura dit à son père de son vivant. Pourtant … . Il a beau crier et s’activer, rien n’y fait. La marre de sang dans laquelle ils baignent tout deux, ne fait que croître et semble engloutir le bitume. Dévasté et à bout de force, le petit garçon finit par s’allonger à côté de son papa. Dans son sang. La tête appuyée contre le creux de son épaule. Les nerfs lâchent.
Morphée le prend dans ses bras, et lui épargne de voir plus longtemps ce spectacle traumatisant. Il les entend. Les sirènes qui retentissent. Il les entraperçoit entre les plumes du sommeil. Les lumières de l’ambulance qui dansent. Mais c’est trop tard. Il le sait. Tout cela était entièrement sa faute à ses yeux. S’il n’avait pas traîné et joué les sales gosses, jamais son père n’aurait eu à rouler aussi vite. Bien sûr, il y aurait probablement eu ce camion, mais cette collision aurait pu ne pas s’avérer mortelle, si les circonstances avait été toutes autres et la vitesse moindre. Il en est convaincu. Tout comme il s’évertue à penser que la disparition de son père, est une manière macabre que le sort a trouvé pour le punir d’avoir été aussi insupportable et détestable. Ce qui est, il en a bien conscience, complètement absurde. Mais c’est plus fort que lui. Les affres du chagrin n’ont de cesse de le faire déraisonner. Dès lors, la culpabilité devint son lot quotidien ainsi que sa peine maximum. Ce tragique événement eut un impact sur la personnalité du jeune garçon. Le doux rêveur à l’imaginaire débordant qu’il était jusque là, devint petit à petit un être plus terre à terre, froid, distant et anormalement fataliste. Une obsession le hante. Il veut comprendre. Comprendre comment son père a perdu la vie. Ce qui s’est passé. Pourquoi son corps a fini par lâcher. Découvrir la gravité de ses blessures. Pour tenter d’expliquer l’inexplicable. Avec l’espoir que cela puisse lui permettre d’accepter l’insupportable. C’est désormais cela qu’il veut faire plus tard. Expliquer comment les gens sont décédés, afin d’apporter des réponses et une once de réconfort aux proches du défunt. Lui qui n’était déjà pas spécialement un enfant aimant jouer avec les autres, se renferma encore davantage sur lui-même et devint plus taciturne. La haine et le dégoût de lui-même ne firent que s’accentuer.
I close both locks below the window
I close both blinds and turn away
Sometimes beginnings aren't so simple
Sometimes goodbye's the only way
And the sun will set for you
Yeah, The sun will set for you …
IV. Stolen paradiseIl maudit ce qui arriva ce jour-là de tout son être. Se plut à imaginer que c’était lui le sale gosse tête à claques, qui aurait dû perdre la vie dans cet accident. Il en était persuadé. Disparaître : telle est la seule chose qu’il mérite. L’adolescence fut pour Inko une véritable période de crise. Mais rien n’y fait. Il a beau crier sa douleur et à l’injustice, comme les loups hurlent sous la lune : ce n’est pas cela qui le ramènera et renversera le cours des choses. Lui qui était un garçon sage comme une image et si adorable, devint un jeune homme bagarreur, provocateur et recherchant le conflit. Il faut dire qu’avec la puberté, son corps à beaucoup changé lors de cette période transitoire de la vie. Sa peau est devenue plus mâte, ses cheveux plus drus et ses yeux naguère d’une douce teinte noisette s’obscurcirent davantage. Ajoutez à cela un patronyme tel que Amritaj, et l’évidence s’impose d’elle-même : Inko n’est pas totalement d’ici, et ne le sera sans doute jamais complètement. Les adolescents n’apprécient guère ce qui ne leur ressemble pas et a le malheur d’être différent. Était-ce dû à de la peur ? à du racisme ? Probablement. Ce qui est certain, c’est que le métis devint le punching-ball et le souffre douleur favoris de ses camarades. Cependant, sa fierté d’écorché vif ne fit pas de lui quelqu’un qui encaisse sans rien dire. Inévitablement, il en vint donc aux mains plus d’une fois. Bien qu’il ait toujours eu l’impression que ses coups étaient inoffensifs et n’avaient pas le moindre effet sur ses assaillants.
L’expression se battre contre des moulins à vent, prit soudainement tout son sens. Lui qui s’était toujours plu après avoir lu Cerventes, d'être Don Quichotte : le voila servi. Sa mère eut beau l’inscrire aux uniques cours de Marma ati et de Kalarippayatt du Queens, dispensés par un vieux sage hindou expatrié et originaire de Bangalore, afin qu’il trouve un moyen de s’extérioriser, et continue d'entretenir un lien avec son père : l’effet escompté ne fut pas vraiment au rendez-vous. Heureusement lorsque jeunesse se passe, sagesse se fait. Par chance pour Inko, son incroyable précocité intellectuelle lui permit de très vite agir et se comporter en adulte responsable. Dès qu’il eut dix huit ans, il entreprit des démarches pour changer de nom famille et adopter celui de sa mère : Shedir. Depuis la mort de son père, devenu son héros comme l’écrivait Victor Hugo, il ne s’est plus jamais senti digne de porter son nom de famille. Pour lui, c’était faire insulte à la mémoire de cet homme. Car il n’en démord pas toutes ces années plus tard : cet accident est entièrement de sa faute. Sa scolarité exemplaire et ses notes admirables lui permirent d’intégrer l’université, où il suivit des études de médecine. Depuis ce mois de Janvier 1995, l’étudiant sait pertinemment ce qu’il veut faire dans la vie. Médecin Légiste.
Expliquer les causes qui ont fait qu’un individu est passé de vie à trépas, est pour ainsi dire devenu sa raison de vivre. Avide de savoir et de connaissances, et probablement aidé par son fort Quotient Intellectuel, il parvint à mener de front un double Doctorat. Le premier en Médecine Légale, et le second en Anthropologie. Pour se parfaire et se spécialiser encore plus, il suivit par la suite une spécialisation en Immunologie. Les soirées étudiantes et les moments de décompression ne font pas vraiment partie de son vocabulaire. De toute façon, il ne côtoie pas grand monde. Inko a en effet par moments la fâcheuse manie, de se montrer supérieur et condescendant avec autrui. Petit complexe de supériorité due à son immense savoir ? C’est fort probable. Quoi qu’il en soit, il est au moins une personne à qui cela plut. Un petit bout de femme d’un mètre soixante et de deux ans son aînée. Une étudiante en l’Histoire de l’Art qui trouva un moyen très doux pour séduire le loup. Elle fut son premier amour. Celle auprès de laquelle il s’initia aux plaisirs de la chair. Une bouffée d’oxygène salvatrice, qui lui redonna goût à la vie. Bien sûr, son idylle n’entame à rien sa mentalité de travailleur et de bûcheur, mais il a cependant appris à profiter de temps à autres des petites choses de la vie. Des sorties romantiques. Quelques petits week-ends en amoureux. à la fin de sa sixième année de doctorat, vint le temps de sa première rupture amoureuse.
I didn't hear you leave
I wonder how am I still here
And I don't want to move a thing
It might change my memory
V. The tears and the inkLa belle venait en effet d’être diplômée. De nouveaux horizons l’attendaient. La mort dans l’âme, les deux jeunes gens durent se séparer. Des adieux déchirants pour la jeune femme qui pleura à torrent. Tendrement, Inko la prit une dernière fois dans ses bras et tenta de trouver les mots justes pour la réconforter. Un domaine dans lequel il n’a jamais excellé.
« Oh, allons, allons. Sèche-moi vite ces vilaines larmes. Aussi magique et sublime soit cette histoire, nous savions tout deux qu’elle ne durerait malheureusement pas éternellement. Ce ne serait pas raisonnable. C’est une page de ce grand livre qu’est la vie qui se tourne. Un tout nouveau chapitre t’attend désormais. ». Il a beau jouer le type détaché et philosophe, au fond de lui Inko est dévasté. Anéanti. Il a mal. Tellement mal. Comme si on l’écartelait ou lui arrachait une partie de lui-même. Une de plus. La mort de ce premier amour fit renaître en lui son côté rêveur, littéraire et artistique, qu’il pensait à jamais disparu. Il était là depuis le début. En stand-by. Attendant patiemment que vienne son heure. Ne pouvant jeter la faute sur celle qui venait de le laisser, il ressentit une nécessité vitale de jeter l’encre sur le papier. Écrire l’abcès, écrire l’absent. Écrire la pluie, pas le beau temps. Ses kilomètres de vie manquée. Du mal en prose, des vers brisés. Pour lui, on n’écrit pas la chance qu’on a. Pas d’histoire d’amour quand on en a. Voilà pourquoi, toi son amour, il n’écrira rien sur toi. Rassure-toi.
Cette douloureuse séparation consommée, Inko acheva ses études avec maestria. Le jury devant lequel il défendit sa thèse, portant sur les différentes techniques d’administration des poisons et leurs effets sur le corps humains, salua l’ensemble de ses travaux. Mieux encore, les résultats ainsi que les conclusions de la thèse de son Doctorat en Anthropologie, traitant du processus de décalcification des ossements humains en environnement stérile, furent publiés dans une revue scientifique très cotée. La consécration si jeune ? C’est très gentil, il n’en espérait pas tant. Néanmoins, le jeune homme se dit qu’au vu de toutes les épreuves qu’il a dû traverser, ce n’est que justice finalement. Sa spécialisation en Immunologie achevée, il fit ses premières armes dans le monde du travail entant qu’assistant du Médecin Légiste de la Police Scientifique de New-York. Un vieil homme, qui devait déjà sûrement être là du temps Lincoln, et auprès du quel il apprit la mansuétude, l’humilité et la modestie. Son travail en partenariat avec la police, fut pour lui une véritable mine d’inspiration artistique, qui lui inspira la rédaction de thrillers policiers. Un jour, il prit son courage à deux mains et envoya son manuscrit à plusieurs maisons d’édition. L’une d’entre elles accepta de passer un contrat avec lui pour de le publier. Afin de rendre hommage à son père, il choisit pour la première fois depuis longtemps d’emprunter son nom de famille.
Rajeev Amritaj devint son nom de plume. Rajeev étant son second prénom. L’œuvre se vendit comme des petits pains. à tel point qu’il fallut augmenter et porter le tirage à un demi million d’exemplaires, rien que pour l’état de New-York et les autres subdivisions territoriales limitrophes. Devant l’engouement du public, il prit la décision de rédiger un tome tout les deux ans. Ainsi naquit la série de Thrillers :
« De chair et d’os. ». Des thrillers érotiques, qui sortirent quasiment au même moment que la saga des
« Fifty Shades ». Si les lecteurs raffolent des aventures du Docteur Raja et de l’Inspectrice Callaway, toute une frange de la population crie au scandale. En effet, celui qui se fait appeler Rajeev Amritaj ne se contente pas seulement de dépeindre de façon explicite, et avec parfois des mots crus, des ébats torrides entre un homme et une femme. Il fait également la part belle aux amours homosexuels, saphiques et interdits. Triolisme, orgie, BDSM, bref tout y passe. Oui, Inko est quelqu’un de transgressif, subversif et provocateur. Certains le voient comme un homme ayant le courage de casser les codes, de briser et s'affranchir des plus vieux tabous. Des esprits plus conservateurs, le considèrent comme n'étant rien d'autre qu'un monstre de débauche, pervertissant les gens avec ses écrits. Le lecteur suit les aventures d’un improbable tandem. Une femme de terrain impulsive et fonceuse, et un scientifique se comportant comme une véritable fouine doublé d’un rat de laboratoire.
They air on my skin in the world under my toes
Slavery stitched to the fabric of my clothes
Chaos and commotion wherever I go
Love I try to follow
VI. Bring them peaceEnsemble ce duo aussi différent que le Soleil et la Lune, résout des meurtres en apparences parfaits. Au fil des tomes, une solide complicité s’installe entre les deux protagonistes. Même si leurs échanges demeurent marqués par les malentendus, les mésententes, l’incommunication et l’envie parfois violente d’étrangler l’autre. Lorsque le médecin légiste de la Police Scientifique prit sa retraite, il fit tout son possible pour que son assistant obtienne son poste et puisse choisir l’endroit où il souhaiterait exercer. Exhaussé. Les années passant, Inko finit même par devenir Médecin Légiste en Chef de la ville de New-York. C’est à présent lui qui supervise le travail des autres coroners placés sous sa responsabilité. Il a un profond respect envers les défunts qui passent sur sa table d’autopsie. Peu importe de qui il s’agit, il s’évertue toujours à le ou la traiter avec la dignité et les égards que sont en droit de recevoir les morts. Ce n’est pas du tout le genre à considérer les corps comme des morceaux de viande, qu’il peut allégrement charcuter tel un boucher. Il leur parle, se plaît à imaginer ce que pouvait être leur vie. Parfois, il se confie sur ses états d’âme, et fait les questions ainsi que les réponses au sujet de ses problèmes du moment, alors qu’il examine les viscères de son interlocuteur. Remarque, il peut difficilement trouver une oreille plus attentive. Ce ne sont pas eux qui risquent de le contredire.
C’est probablement ce qui l’aide à tenir et à ne pas devenir fou face à la rudesse de ce métier. Eh puis, ça lui fait également économiser le forfait d’une psychanalyse. Cependant, il est des fois où c’est difficile. Notamment lorsqu’il doit travailler sur des enfants. Au sortir de ces journées très éprouvantes, un verre et une cigarette ne sont vraiment pas de trop. Un rituel qu’il s’accordait au début de temps en temps. Épisodiquement. Lorsque la pression devenait trop intense. C’était juste une petite soupape de décompression. Certes, néfaste et contestable. Pour ne pas qu’il craque et s’effondre face aux horreurs qu’il est amené à voir au quotidien. Ou lorsque ses vieux démons sortent de leur sommeil et décident de le torturer, en lui faisant revivre encore et encore ce tragique accident qui lui arracha son père. Seulement, un verre est très vite devenu insuffisant. Alors, il se remet une rasade. Puis une autre, avant de s’en griller une de plus. Un petit rituel qui a fini par se rapprocher dans le temps. Qu’il s’accorde même quand tout semble aller à peu près bien. Et qui aujourd’hui se répète inlassablement chaque soir. Malgré la somme titanesque de temps que lui prend son travail, il arrive encore à trouver le temps d’aider sa mère quelques fois à l’épicerie. Pas autant qu’il le voudrait, hélas. Les différentes activités gravitant autour de sa vie d’auteur se font toujours plus grandes. Des séances de lectures, d’autres de dédicaces, des interviews données à la télévision et dans les journaux pour promouvoir la sortie de son dernier ouvrage … . La vie d'Inko est donc plutôt bien remplie.
Est-elle pour autant heureuse ? Étant donné qu’il possède quatre des cinq piliers du bonheur, on serait tenté de dire oui. La santé ? Il l’a. Bien qu’il ne ménage pas ses efforts pour la ruiner. La famille ? Ça va, il entretient de bons rapports avec sa mère. Le travail ? Il le trouve très gratifiant et valorisant. L’argent ? Entre son salaire et les royalties qu’il touche sur la vente de ses livres, ce n’est franchement pas ce qui manque. L’amour ? Ah, là ça coince par contre. Pourtant, le moins qu’on puisse dire au vu de son tableau de chasse, c’est qu’il a du succès. Aussi bien auprès de la gent féminine que masculine. Oui mais voilà, ce sont juste des petits flirts sans importance et des amourettes passagères. Jamais, il n’a de nouveau ressenti l’amour total et presque inconditionnel, qu’il a éprouvé pour celle qui égaya ses années à l’université. D’ailleurs, il a bien peur de ne plus jamais avoir la chance de le connaître. Vraiment ? C’est en tout cas ce qu’Inko pensait avant. Avant qu’il ne le rencontre lui. Un expert en balistique de la Police Scientifique, avec lequel il a collaboré sur quelques affaires. Au début, ils s’entendaient aussi bien que chien et chat. Le spécialiste des armes à feu, n’était en rien impressionné par l’étalage de connaissances du légiste. D’ailleurs, son répondant et ce besoin horripilant qu’il avait de toujours avoir le dernier mot, avaient le chic pour irriter et faire sortir de ses gonds l’indo-américain. Qui plus est, l’expert avait tendance à tirer la couverture à lui, ainsi qu’à s’accaparer la gloire et lauriers pour lui tout seul.
Seems like just yesterday
You were a part of me
I used to stand so tall
I used to be so strong
Your arms around me tight
Everything, it felt so right
Unbreakable, like nothin' could go wrong
Now I can't breathe
No, I can't sleep
I'm barely hanging on
VII. Mind GameInutile de vous dire qu’Inko voyait rouge quand cela arrivait. Non mais quel culot ! Lui était capable d’identifier un corps simplement avec une phalange. C’était déjà autre chose, que de déterminer quelle arme a fait
pan ! Oui mais … c’est justement cela qui lui a plu et l’a séduit. Le fait qu’enfin quelqu’un lui tienne tête, et ne s’écrase pas devant lui. Entre eux ce fut … intense. Bestiale et sauvage par moments. Des étreintes et des corps à corps, qui ressemblait parfois à des luttes pour savoir qui allait avoir le dessus. Cet homme ne fut pas une simple passade dans la vie du sémillant et fringant docteur. Leur passion les consuma pendant trois ans. Jusqu’à ce l’expert en balistique reçut une offre beaucoup plus intéressante, dans un laboratoire de Los Angeles. Le métis aurait très bien pu suivre l’homme qu’il aime. Compte tenu de ses compétences, on lui aurait déroulé le tapis rouge pour qu’il travaille dans n’importe quelle structure que ce soit. Oui mais … elle est ici sa vie. À New-York. Il ne peut pas se résoudre à tout quitter. Avec la même attitude calme et altière qu’il avait affiché lors de sa rupture avec son premier amour, il déclara dans un haussement nonchalant des épaules :
« Soit. Si tu penses que ton bonheur est là … alors vas-y. Pars. Que veux-tu que je fasse ? Que je te retienne et te supplie de rester ici en t’implorant à genou ? Tout cela pour que d’ici un an, tu m’en veuilles de t’avoir empêché de saisir une formidable opportunité ? Je suis désolé … mais je ne suis pas assez égoïste pour te poser un ultimatum ou t’infliger un insoluble dilemme. ». L’écrivain à succès tente une fois de plus de sauver les apparences, mais la pilule est difficile à avaler.
Cette fois, il s’en veut. Autant avec elle, il savait que c’était un amour de jeunesse qui l’aiderait à grandir et mûrir. Un amour dont il fallait se délecter avant de le laisser s’envoler. Autant là, il a le pressentiment de ne pas s’être assez battu. D’avoir jouer les carpettes, et de s’en être remis trop facilement à la résignation. Le voilà désormais seul. Avec plus que ses yeux pour pleurer. Et pour cause, au vu des nombreuses crises de sanglots, que lui arrachèrent cette rupture. Des sanglots qui bouleversèrent totalement ses certitudes. Qui lui firent prendre conscience que depuis tout ce temps, il était dans l’erreur. Que lorsqu’on aime quelqu’un, on le retient et le garde auprès de soi. Quoi qu’il en coûte. Ce fut le coup de trop. Le tabac encrassant ses paumons et le whisky détruisant son foie, ne suffirent plus pour anesthésier la douleur. Alors, quand il trouva dans les affaires d’un défunt devant passer sous son scalpel, une plaquette à moitié vide d’
Oxycodone … il se dit
pourquoi pas. Pour voir. Comme ça. Miracle. Un caché gobé à la hussarde et ce fut comme si tout ses maux disparaissaient. Plus de cauchemars. De regrets. De remords. De culpabilité. De peur. Juste de la joie. De l’euphorie. De la lumière. Et cette sensation cotonneuse et onctueuse de bien-être. Prodigieux, mais hélas éphémère. Où est le problème ? Quel meilleur endroit sur terre que son lieu de travail, pour se procurer ces petites pilules magiques ?
Un petit saut à la pharmacie, un moment d’inattention du personnel, une effraction si besoin est ; et hop, ni vu ni connu notre renard d’Inko dérobe un petit tube d’analgésiques, d’opioïdes, de sédatifs ou de morphiniques. Parmi tout les océans de molécules chimiques sur lesquels il a vogué, sa croisière favorite reste indéniablement celle sur les flots du
Fentanyl. Un analgésique opioïde cent fois plus puissant que la morphine, et avec lequel il prétend voir des sons. Si l’écriture fut pour lui un refuge après sa première peine de cœur, ce ne fut malheureusement pas le cas cette fois-ci. Inko fut même frappé par une maladie qui est la hantise de tout les écrivains : le syndrome de la page blanche. L’affliction et la douleur ont en effet totalement et temporairement, asséché son imaginaire d’ordinaire si fécond. Mais bénie soit la médecine. Ses délires sous influence stimulèrent sa créativité. Même si la qualité de ses écrits en étant raide défoncé est … pour le moins déroutante. La sortie du dernier tome de la saga
« De chair et d’os », théoriquement prévue pour la fin de l’année, dut d’ailleurs être repoussée. Alors que dans le même temps, les lecteurs toujours plus nombreux, se languissent de savoir dans quelles aventures l’Inspectrice Callaway et le Docteur Raja, sont encore allés se fourvoyer. Finalement, le troisième tome de la série parut avec un petit trimestre de retard sur la date initialement annoncée.
Inko eut également de quoi se consoler encore davantage. En plus des critiques littéraires dithyrambiques, sa dernière œuvre, beaucoup plus poignante et émouvante que les précédentes, rencontra un formidable engouement auprès du public. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, le cinéma vint le trouver afin de négocier l’achat des droits et porter son œuvre à l’écran. Ce qui finit par se faire après d’âpres négociations. Cependant, l’auteur exigea d’avoir un droit de regard sur le scénario ainsi que le choix des acteurs. Compte tenu qu’il met énormément de lui dans chacun de ses livres, il tient absolument à ce que le résultat se rapproche le plus possible des émotions qu’il souhaite véhiculer auprès de ses lecteurs. Un accord entre les différents parties fut trouvé. Le tournage est d’ailleurs en cours. Si tout se passe bien, le film devrait sortir dans les salles obscures d’ici environ un an ou un an et demi. Tel un funambule, notre aimable légiste semble mener une vie qui oscille entre des heures sombres et d’autres plus radieuses. Comme tout le monde finalement. Inko a également été amené à témoigner à la barre lors de nombreux procès, en sa qualité d’expert légiste. Lorsqu’il se livre à cet exercice, il veille toujours à être le plus clair possible. Contrairement à ses collègues, il n’est pas du genre à assommer les jurés avec des tonnes de jargon scientifique.
Il tente toujours de jouer sur les émotions et la corde sensible des personnes, en décrivant le calvaire et les souffrances qu’ont endurés les victimes en agonisant. à la différence de ses confrères, ce n’est pas quelque chose qui lui déplaît ou qui l’ennuie. Pour être franc, il n’est pas mauvais ou maladroit lorsqu’il comparaît devant une cours de justice. En plus d’attendrir l’auditoire, il sait également être très convainquant. Puis bon, on ne va pas se mentir, le fait qu’il ne soit pas si désagréable à regarder doit également un peu jouer. à l’aube de ses trente ans, Inko semble avoir plus ou moins réussi sa vie. Seulement, il se pourrait bien qu’il ait bien malgré lui planté la graine de l’horreur. C’était il y a quelques semaines seulement. La référence en matière de médecine venait d’être appelée sur une scène de crime. Un bâtiment désaffecté. Ce qu’il vit au neuvième étage le rendit blême et lui flanqua la nausée. Une femme pendue au plafond par les pieds. Nue et emballée dans du film plastique. Les paupières découpées, pour qu’elle soit contrainte de regarder son assassin la torturer. La bouche bâillonnée par du chatterton écarlate. Cette femme, Inko la connaît. C’est elle. Son premier amour. Celle qu’il aima jusqu’au confins de la déraison sur les bancs de l’université. Une mise en scène macabre digne de Stephen King. Pourtant, c’est bien du Rajeev Amritaj. C’est ainsi que la victime de son tout premier roman est découverte. Qu-qu’a-t-il fait … . Jamais il n’aurait pensé que ses bouquins, puissent être des notices explicatives pour meurtrier. Pourquoi ? Pourquoi assassiner cette femme qui avait réussi à marquer sa vie de façon indélébile ? Est-ce que … est-ce qu’un esprit dérangé tient à lui faire du mal, en lui ravissant ceux qu’il aime et à qui il tient ? Si le meurtrier s’inspire de ses romans pour commettre ses crimes, cela ne veut dire qu’une seule chose. Il va y avoir d’autres victimes. Il le sait. Un autre corps va bientôt être découvert, ce n’est plus qu’une question de temps. Du côté des Baies du Queens. Exactement comme il l’a écrit dans son deuxième livre :
« L’appel des profondeurs ». Il a l’impression d’avoir bien malgré lui, placé un flingue dans la main d’un désaxé. New-York s’apprête à vivre dans la peur et l’épouvante, et une fois encore il se dit que c’est entièrement sa faute.