Erreur de jeunesse | Drew

traits de caractère / Désabusé, le poète est probablement celui qui tue les cigarettes dans un soulier. Futilité que d'utiliser un cendrier quand on peut le jeter. * Alcoolique, tout le monde le sait. Il boit son verre au petit-déjeuner. L'ex addict au cannabis a été contraint de se désintoxiquer, de se sevrer. Mais les centres et leur fausse bienveillance n'ont fait que développer la tyrannie de la solitude. Âme esseulée, âme incomprise, il a malgré tout abandonné les drogues douces et dures. Mais vodka et bière sont toujours couchées sous le même lit que le Parker toujours endormi. * Carriériste, il se donne à son job comme il ne se donne à personne. C'est là son unique but de vie, son unique raison de résister. Il délivre les secrets des grands, des méchants, comme ils disent. Il les pointe du doigt et ne se cache pas. Honte de son père, il est la fierté de sa propre couronne, de sa propre légitimité. Andrew ne veut pas plaire, au contraire. Il veut marquer. * Nonchalant, l'homme parle comme on respire, sans vraiment réfléchir. Il exhale son air et ses paroles sont souvent comme son haleine, putrides. Il se moque de vexer. Il vous le dira sûrement, c'est sa phrase préférée : "Il n'y a que la vérité qui blesse." Mais ce n'est pas vrai, Andrew aussi peut vous heurter.  

« T'es qu'une erreur de jeunesse.» la phrase sort naturellement tandis qu'il crie de toutes ses forces. L'homme a les rides formées autour des yeux et son regard en est encore plus déstabilisant. Le fils ne cille pas, il a les bras croisés sur sa poitrine et une clope qui le démange au bout des doigts. Mais Parker senior marche sur lui et lui arrache la nicotine de la main, lui ôte l'espoir d'une délivrance irréelle. « T'as entendu ce que je t'ai dit? » La voix du paternel se calme mais elle semble encore plus blessante quand elle emprunte des tonalités basses. Andrew sourit, provocant son père à la gifle qu'il ne tarde pas à lui mettre. L'impact résonne, l'écho de la large pièce est sans appel. Il y aura une trace sur ce visage impudent et ce dès ce soir. Le gamin relève la tête avec le même aplomb et réitère son mépris avec un nouveau sourire. Une nouvelle gifle lui impose le silence des traits, le secret de sa satisfaction. « Oui père, je vous ai entendu. » Le vouvoiement est toujours de mise quand il souhaite agresser son géniteur. Ce dernier lui tourne le dos et lui ordonne alors de quitter la pièce avant qu'il ne lui inflige plus qu'une simple fessée du visage. L'expression horrifie le gamin. Mais tout l'horrifie Andrews, tout ce qui provient de ce paternel aussi tendre qu'une éponge à récurrer.

« T'es qu'une erreur de jeunesse.  »

La phrase trotte dans ta tête, elle te blesse et te met dans tous tes états. Pourquoi? Après tout, tu te moques du désir qu'on a de t'avoir auprès de soi. Mais tu sens qu'elle te poursuivra des années. Tu imagines ton père en train de la déculotter et quelques semaines plus tard, apprendre que tu vas te pointer. Tu l'imagines sans difficultés soupirer d'un désespoir sans équivoque, comme s'il savait déjà à quel point tu serais une épine dans son pieds. Une larme coule sur ta joue et tu t'amuses à la photographier avec cet argentique trop cher qu'on t'a offert pour tes 14 ans. La photo finit déchirée par terre, comme toutes les autres que tu t'empresses de faire.

Des confettis de tes larmes, c'est poétique. Des pacotilles de tes drames, c'est narcissique.

Le journal de guerre de l'homme s'ouvre sans un tremblement de mains tandis qu'au loin une bombe fait rugir son grondement. Mais la peur de la mort n'enserre pas les entrailles du jeune homme. S'il meurt ici, il sera honoré. « T'es qu'une erreur de jeunesse. » La phrase revient dans ses songes quotidiennement ou presque. Il les voit, ces erreurs de jeunesse et ces erreurs de vieillesse, ici, crouler sous les tas de terre flambantes, sous les tonnes de corps sanglantes. Il voit ces erreurs, ces pères qui ont engendré des fils qui ont endossé l'uniforme militaire pour leur plaire. Plaire à la mère patrie, plaire au père impie. Les doigts grattent avec rage et des images se collent sur le carnet du bourlingueur de guerre. Des gouttes de sueur perlent sur son front quand l'infirmière entre pour lui enjoindre de quitter la tente, il y a une attaque des campements.

La vie commence là où la peur s'arrête.

Il sort, il court, et la lumière du jour le frappe, l'éveille et le force à sortir du cauchemar des nuits passées. Une silhouette est devant la fenêtre, une femme dont la chevelure s'étend dans le dos. Elle n'a rien de céleste et pourtant, elle représente son paradis en ce moment même. « Désolé. » Il esquisse en guise de regret pour les cris qu'il a dû échapper. Mais elle ne se soucie pas de lui, elle se moque de ses peines passées. Son visage, illuminé par le soleil du matin, se tourne vers l'homme encore dans les draps. Son sourire est froid, un froid qui anime les glaces de son propre coeur. Andrew répond par un sourire adolescent tout en se levant pour aller se chercher une tasse de café. La blonde au regard cynique se détache de lui tandis qu'elle enfile une blouse sur ses épaules nues et qu'elle sort sur la terrasse. Des volutes de fumée s'envolent autour d'elle et Andrew la regarde, subjugué par la beauté de leur lien si éphémère et si profond à la fois. Un soupir lui échappe quand elle éteint sa cigarette.

Cette cigarette qui passe de main en main
Qui s'allume mais jamais ne s'éteint.
Cette brûlure qu'une autre provoquera
Quand dans sa vie tu débarqueras.

Un brûlure de tabac, une marque de souffrance
Qui sera pour vous deux la charnelle délivrance
D'un besoin de se voiler la face quand le mal
Rugit et s'agace de la savoir si fatale.

Tu n'es pas homme à aimer. Et pourtant les femmes défilent dans ta vie, souillées. Souillées de tes paroles amères de poète, craignant que ta plume ne les condamne sur papier, que ta bouche ne les insulte en vérité. Tu ne les aimes pas et pourtant chacune t'apporte plus, t'apporte... un toit. Le refuge des bras que tu ne possèderas pas, que tu quitteras avant que l'étreinte ne devienne trop forte. Qu'elles retournent à leurs époux, qu'elles pleurent s'il le faut, mais tu ne resteras pas si leurs sorts sont trop mortels. Tes bras sont recouverts des morsures de la guerre et des tatouages que la dernière de tes maîtresses appose sur ta peau. Fléau de la luxure, sceau de ton absence dans le monde de tes pairs, tu regardes les flammes de l'enfer... celles qu'Ostara se plaît à t'offrir quand dans tu te plonges dans ses mires.