Le denier du rêve (ft Lion)

Le Denier du rêve

Orphée & Lion

@Lion Brummell Elle semblait proie dans les bras de la terreur, l’enfant assise sur le banc vide, blanc d’impersonnalité, le banc de l’oublie, le blanc de la défaite, avec ses stries et ses marques, sa saleté, il permettait seulement de s’asseoir à l’ombre de l’orangerai, les branches sautillaient lorsque les oiseaux s’y posaient, et les gamins hurlaient dès qu’ils sortaient de la prison de l’école, c’était un déluge, une tornade, un tsunami de petits corps hyperactifs. Mais Orphée aimait s’y loger, ouvrir un livre et paresser, sa peau brûlante par la chaleur récalcitrante. Orphée, l’enfant, l’adolescente grandie par un matin où le sang… Elle secoue la tête, range sa pièce de théâtre, Antigone la regarde, elle regarde les lignes emprisonnées par le manque de sommeil, la beauté ne peut s’attraper, elle n’est pas concentrée.
Elle s’en va, endormie encore par la nuit passée, l’insomnie l’étreint et la brise, il n’y a personne à l’horizon aveuglant de la pollution, elle qui attendait l’homme qui partageait sa place. Il était apparu un après midi, un dimanche, lorsqu’elle observait les nuages, cette première rencontre ils ne s’étaient pas adressés la parole. Et il était revenu, elle avait enfin osé poser les questions qui lui démangeaient les lèvres, questions de politesses. Lion. C’était son prénom. Atypique et surprenant, un prénom qui se liait à son aura de vieux débonnaire. Les mois permirent à ces deux âmes de se lier par le silence et la curiosité brûlant dans la rétine, plus jeune, elle avait néanmoins cette maturité causée par la perte, le chagrin, toujours, la surprenait et ses larmes roulaient à présent sans qu’elle n’essuie les traces. Elles étaient objet de lâchement quand celle-ci souhaitait contrôler la moindre parcelle de sa vie, elle qui ne put contrôler la mort de ses proches choyés.
Il apparaît, près d’elle. Assis à sa place, à l’ouest du soleil, à l’est de la lune. Sa barbe broussaille comme un signe d’énervement, il possédait dans ses gestes les secrets d’un homme ayant vécu la guerre. Orphée ne lui avait jamais posé de telles questions mais elle devinait que son existence s’achevait dans la douleur éreintante. Elle s’octroie une main sur la jumelle comme signe de bonjour, elle qui n’a pas les politesses, allant directement au sujet qui l’intéressait faisait des efforts. « Avez vous bien dormi ces derniers jours ? » Elle ricoche, habituelle, l’inquiétude au bord de la gorge ; le sommeil est une demeure épineuse, emplie de ronces et de poison, elle tente à s’approcher afin d’être rassurée.

« Une lampée de plus, et ses yeux se fermèrent (...) il roula sur le sol, sans s'apercevoir qu'il tombait, et il fut heureux comme un mort »

Dehors, il s’en est allé, poursuivre le jour et ses lumières encombrantes. Une rencontre qui aveugle, désenchante. L’ermite a le cerne qui papillonne, réclame clémence au soleil qui couronne un bout de ciel. Que l’ombre paraît douce désormais, et qu’il est aisé d’en oublier les égarements malheureux tissés par l’obscurité. Lion résiste au calvaire, à cette lueur qui lui brûle jusqu’aux entrailles, les viscères plongées dans l’âpreté de la lassitude. Il résiste à ce monde qui se déploie, insignifiant, décadent, et juché dans des altitudes de superficiel.
De ses yeux, il regarde à peine. Depuis qu’il a l’oeil imbu, l’oeil colère sur tout ce qu’il sillonne. Depuis qu’il ne voit plus vraiment derrière le trouble qui s’est enraciné dans l’organe, et crible le bleu de ses veines de quelques teintes de noir. Un trouble qu’il abreuve d’une quantité d’alcool et qui dessèche le reste de ses sens.
Ces temps-ci, ses nuits sont des plus orageuses lorsque le corps se condamne au repos. L’ébriété le consume, sans attraper les tempêtes qui le remueront jusqu’au levé. Il s’endort dans les bras de la guerre et se réveille parmi les cadavres mutilés que sa tyrannie a amoncelé sur le perron. L’homme dégouline, ses textiles gorgés d’eau, aussi éreinté que s’il les avait abattus lui-même, et peut-être même est-il coupable. Et il taira ces meurtres comme il a tu les précédents. Pose un pied sur le parquet grinçant afin d’affronter à nouveau la rudesse d’une vie qui lui a tant coûté.
Depuis quelques temps, le vieil Adonis a trouvé partenaire pour savourer les blasphèmes de l’existence. L’enfant au nom d’Orphée reluit, possède ce parfum de vitalité lequel déverse des sensations apaisés sur ce coeur contrarié d’homme. Aujourd’hui encore, il a battu le sentier jusqu’à elle, assise sur un banc au milieu des braillements bambins. Il prend place à quelques centimètres de la nymphe qui s’essaie, pour une fois, à quelques politesses qu’il remarque à peine.
“ Je ne dors pas bien depuis des années. Tu es là depuis longtemps? ”
Lion ne se taraude plus de l’absurdité de telles confessions. Par son envergure, il devrait préférer les conseils avisés de Grisha, son ami, plutôt que les curiosités impersonnelles de cette fille au sujet de ses déboirs. Mais la belle est si neuve qu’il n’y a rien de plus cru que le fil de sa pensée, aiguisant le goût d’authenticité du dandy qui ne sait plus s’en détourner. Il y revient alors, se piquer contre les délicatesses de l’ingénue. La pauvre âme n’a même pas tout à fait désaoulé.
“ Comment sont tes rêves? ”, c’est ce qu’il a souvent demandé, les mois durant, pour pallier aux répliques habituelles et surannées qui servaient à savoir comment la jeune femme se portait.

Le Denier du rêve

Orphée & Lion

Sous l’ardeur d’un soleil brûlant, la chaleur d’un Helios sensible et réchauffant, Orphée relève son visage jusqu’au cieux, admire le paysage d’azur, aveuglant et terrible, elle se noierait dans le bleu profond de la voûte céleste afin de contempler d’en haut ces âmes aux milles destins tragiques. Sur le banc, le livre dans le sac, et près d’elle un ami, plutôt vieux mais Orphée a toujours senti le décalage, trop jeune parmi les maturités et trop grande parmi les simplicités. A ses côtés elle se sent mieux, apaisée, tranquillité de l’âme qui combat par tous les pores de sa peau, un derme d’épouvante et les souvenirs encore trop frais pour éloigner l’odeur acre de l’hémoglobine. Les agneaux hurlent et elle entend sa voix dans les méandres de sa tragédie. Orphée lit Ophélie, la jolie vierge chutant dans l’abysse, morte dans la flore sauvage d’un paysage merveilleux, Shakespeare, par sa plume et son langage, sa complexité et sa flamme, l’emporte loin des misères du stress du soldat. « Je tente de les oublier. » Car Orphée a déjà en tête de s’éloigner de l’atrocité pour mordre et foncer ; vivre, moi je souhaiterai vivre. L’étudiante en psychologie utilise les théories, s’approprie la résilience du déni, pour l’instant. Elle garde cependant dans le coin de son âme les souvenirs joyeux, les souvenirs heureux.

Lion a cet air de dandy dépressif, au bord de la falaise, à jeter son âme au creux de la mer, dans les houles de la détresse. Orphée l’observe, regard brave, franc, regard de la jeunesse inspectant les failles et la lumières. « C’est quoi ce que disait Patti Smith ? » Hier, elle a dévoré en une après midi, allongée dans son lit, ne pouvant quitter son lit, jusqu’à la fin du récit, Just Kids, des enfants grandis et affrontant la dureté de l’existence mais avec la joie et la fureur, le buisson enflammé de s’en sortir. Elle a appris par coeur les citations qu’elle a souligné. Avec candeur, le timbre de la voix enfantine, féminine, une nuée de colombe sorti de la gorge de lait. « Parfois j’avais envie de dire pouce et d’arrêter tout ça. Mais arrêter quoi ? Arrêter de grandir, tout simplement, peut-être. » Elle récite, après des recherches mentales, la bonne phrase pour illustrer ce moment et ce qu’elle ressent, ce qu’il ressent. Le regard scrute, le regard admire, la face de cet homme rencontré on ne sait où, dans un lointain, sur une planète sinueuse et spectrale. Debout, elle lui tend la main. « On va récupérer nos lumières, les rallumer et se les coller dans le coeur. Ca commence déjà par une balade. Marcher c’est bien, ça permet de penser mais pas trop fort, juste ce qu’il faut pour rêver. » Elle a le don de l’empathie démesurée et la philanthropie innée.

@Lion Brummell