Toi le père que je n'aurais jamais plus. Couché sur le sol de la cuisine, les yeux rivés au plafond, le gamin retient ses larmes. Il a du mal à respirer tant la peine l'oppresse. Cela semble irréel et pourtant il sent encore la terre sous ses doigts. C'est la terre qu'il a jetée sur le cercueil de son père. Les gens se lavent les mains quand ils reviennent d'un enterrement. William n'en a pas été capable. C'est comme si cette poussière c'était le dernier lien qu'il a avec son paternel, la dernière chose tangible qui le connecte à feu Jonathan Blythe. Daniel arrive dans la cuisine et s'immobilise. Le gamin a à peine quatre ans, il ne comprend pas encore complètement ce qui se passe. Fixant son aîné, il s'en rapproche lentement.
"Willy?" William ne bouge pas. Mais une main s'agrippe à son bras et le corps du cadet s'allonge auprès de lui. Tendrement, William attrape la main qui le serre au niveau du coude et la caresse.
"Maman a dit qu'on partait." Plus loin dans l'appart, une réception se tient. Une réception funèbre qui réunit les proches de la famille. La mère accusait elle aussi assez mal la mort de son époux. Seule avec quatre garçons à élever, elle avait déjà signé un contrat à New-York. Changer de ville pour oublier ce qu'elle avait perdu ici. William hocha de la tête. Oui, ils allaient partir. Son regard chercha la lumière au travers de la fenêtre. Il imaginait le parc et ses saules pleureurs. Là.... là où "papa" et lui allaient jouer quand il était petit. Là où Daniel n'aurait pas la chance de faire pareil. Alex et Thomas firent leur entrée dans la cuisine et sans rien dire, vinrent se coucher auprès de leurs frères. C'était un triste tableau que ces garçons qui souffraient en silence.
"Papa me manque déjà" soupira Alex en essuyant une larme fugace. William ne disait rien mais il serrait la main de son petit frère qui tremblait sur lui. C'était instinctif, il comprenait quelle était désormais sa place. Jonathan mort... le plus âgé des Blythe était désormais... William.
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Cours, chien, cours!La pluie inondait le terrain. Vêtus de leurs uniformes kakis, les soldats rampaient au sol, totalement indifférents au froid et à la boue qui leur obstruait la vue. William, lui, se faufilait comme un vers de terre sous les treillis qui arrachaient la peau de ses camarades. Donovan le regardait faire avec une certaine haine. Jaloux, il était conscient que son ami était meilleur que lui et de loin. Tous étaient conscients de la supériorité du jeune William. A peine était-il arrivé qu'il les dominait tous. Elève prometteur, il était aussi le favori de sa promotion. Ses instructeurs savaient qu'il se préparait à intégrer l'académie royale pour se lancer dans l'armée de l'air. L'aviation était le seul sujet où William semblait prendre vie. Renfermé, le chouchou des profs ne se faisait pas remarquer. Contrairement aux fils de riches qui avaient une grande gueule, William était à sa place, réservé. Loyal, appliqué, il ne se mêlait pas aux groupes de novices. Toujours le nez fourré dans un livre, il est vite devenu l'extra-terrestre de sa promo. Les autres se moquaient de lui en silence, dans son dos. Mais jamais de face... car William faisait peur. Cet air froid, indifférent, présageait une force de caractère qui les effrayait. Une seule fois, l'un de ses collègues osa le provoquer. Jimmy Harris, petit soldat en fin de parcours qui aimait se griller une clope quand les chefs n'étaient pas là. Il bouscula William pour le provoquer mais William n'y prêta pas attention.
"Eh l'handicapé, fais gaffe." Blythe ne daigna même pas s'arrêter. Humiliant Jimmy de par son silence, ce dernier ne pouvait le laisser passer.
"Je te cause Willy Wonka!" S'immobilisant, William pivota pour le regarder. Froid, il ne bougeait pas.
"Et?" fut sa seule réponse. Jimmy avança vers lui, prêt à en venir aux mains alors qu'il n'y avait encore rien.
"J'aime pas ta gueule de petit prétentieux." Un rictus moqueur se glissa sur les lèvres de celui qui venait d'être insulté. William savait qu'il était provoqué et voyait bien ce qui se dessinait.
"Et?" répondit-il avec une arrogance qui lui seyait trop bien.
"Et je t'emmerde petit fils à papa de mes deux!" La situation était comique. Jimmy se méprenait totalement sur William. William était issu d'une famille modeste, à la limite de la pauvreté. Pour arriver là où il en était, il avait dû bosser comme personne d'autre. Jimmy le pensait favorisé par un rang social alors que c'était tout sauf ça. Il continua de s'en prendre à lui, de lui parler comme à un moins que rien pendant plusieurs secondes. Mais le silence de William le rendait fou. Finalement, Jimmy finit par craquer et par tenter de mettre un coup de poing à William. Esquivé, William attrapa le chien fou au col et le souleva du sol. Yeux dans les yeux, Jimmy remuait les pieds pour que la gravité opère et qu'il retrouve sa stabilité sur terre.