(sage) angel in disguise.

01 / tu es née avec une cuillère en argent entre les lippes, ce genre de cuillère qui éblouit les plus candides mais qui demeure pourtant bien trop lisse et reluisante pour être honnête. 02 / ton père est un riche entrepreneur, des euros dans les poches et la grosse pomme à ses pieds. 03 / ta mère, elle, est une avocate de renom. plus connue comme étant le requin, elle voue une passion sans borne à son métier, aimant à pomper les billets verts de la veuve, de l'orphelin, de l'opprimé, du bandit ou du criminel. 04 / sous la pression de tes parents dont le principal intérêt est et restera la pseudo légitimité de leur image, tu as suivi des études de droit durant deux ans, ainsi que des études de management les deux années qui suivirent. 05 / suite au décès de ta grand-mère maternelle il y a de cela quelques mois, tu as hérité de sa boutique d'antiquités. c'est comme un passé dans lequel tu te plais à replonger, quand bien même il t'est totalement étranger. tu adores les objets anciens et autres vieilleries. ils te racontent des histoires pour que tu puisses oublier les tiennes.  06 / la plupart des personnes que tu rencontres ont la fâcheuse tendance à t'associer trop rapidement à tes parents et à leur cupidité. aussi, tu te laisses aller parfois à leur offrir ce qu'ils attendent de toi pour ne pas avoir à te dévoiler ; si le grand rideau rouge finit toujours par tomber à la fin d'une pièce, les masques, eux, ne le font pas toujours. 07 / curieuse de tout, tu as perpétuellement soif d'apprendre de nouvelles choses et tu as d'ailleurs testé (et adopté, pour certaines) plein de disciplines, notamment dans le domaine de l'art au sens large. 08 / véritable touche à tout, tu prends autant de plaisir à caresser les touches bicolores d'un piano, à noircir de courbes excentriques un papier trop blanc ou encore à plonger avec délectation dans l'histoire bien ficelée d'un bouquin. pour autant, tes plus grandes passions restent la peinture et le violon. 09 / tu as une idée bien précise de ce qu'est la vie. un schéma un peu brouillon mais authentique. pour toi, la vie, c'est synonyme d’objectif, de rêve, de fougue, de passion. de toutes ces choses qui font frissonner les corps, s'échauffer les esprits et se tordre les tripes. t'aimes retrouver de ça dans un peu de tout : le théâtre, la peinture, la photographie. la nature, le jour, la nuit. le froid, la pluie, l’éclaircie d’un matin d’été. les petits détails insignifiants qui vous font voir la vie en grand à travers les yeux d'une enfant.

( sage dans son corsage, enserrée comme dans un étau au milieu des moeurs et des idéaux qu'on lui impose depuis le sevrage )

on a fait résonner dans ta caboche des vérités qui n'appartenaient qu'à eux ; que tu ne pouvais pas t'envoler vers un avenir abstrait fait de gouache et de rêves improvisés au détour d'une courbe ou d'un point de fuite. on t'a répété avec assurance que même le réalisme n'était pas réel, que millet et courbet avaient la tête dans les étoiles mais pas les pieds sur terre. et toi gamine, t'as enterré tes aspirations sous la toile vierge de la vie que tu aurais voulue. et t'as creusé, creusé jusqu'à ce qu'il fasse trop sombre pour que tu puisses même y apporter ta propre lumière, là où papa et maman voulaient précisément t'amener. c'était quelque part, au milieu d'un amas de convenances sous le poids desquels tes épaules s'affaissent encore, pour un bon plaisir qui était à eux, mais pas à toi.

( sage dans son corps sage, les mains derrière le dos et les yeux de l'innocence d'un enfant qui écoute pour éviter les orages )

tu sais sourire quand le noisette de tes opales rencontre les opposants. tu sais faire mentir les gestes et les sentiments d'une manière si éhontée que tu t'en veux parfois. c'est comme si tu enfonçais un doigt rageur dans la terre pour empêcher la fleur d'éclore sous le soleil d'or qui te tendait pourtant les bras. t'étais si belle quand tu rêvais d'autres imaginaires, que les illusions des lendemains nouveaux étaient ton seul berceau. mais au lieu de t'en nourrir sage, t'es restée bourgeon. c'était simplement pour te conformer à ce que les abberline voulaient bien. pour plaire. pour ne pas décevoir. pour qu'on t'aime et te chérisse jusqu'à la fin d'un temps qui te semble pourtant interminable. parce que tu veux le bonheur d'une averse en plein mois d'août sans la menace de la foudre.

( sage elle n'est pas sage, elle aime en douce, elle est sauvage, comme une lionne tantôt libre, tantôt prise en otage )

on a allumé les feux de détresse. on t'a trop souvent dit de rester sur tes gardes, de penser au danger des flammes avant d'en apprécier la chaleur. on t'a dit d'éteindre le coeur-incendie. Mais Sage, c'était pas pour toi d'aimer comme ça. d'aimer un peu, mais juste assez pour ne jamais risquer de marcher sur la braise. Tu leur a répondu que la passion, c'était rouge aussi, qu'il n'y avait de nuance que la couleur des coeurs qu'elle enchaînait, du carmin au vermillon, du bordeaux à l'andrinople, de l'écarlate au rubis. On n'a jamais réussi à apaiser tes émois parce que quand tu trébuches gamine, il est rouge aussi le sang qui parsème tes genoux. qu'elle te semble douce alors la douleur sage, et pour rien au monde tu ne cesserais de concourir à la course folle du divin amour.

( sage elle est passage, transition au niveau dix sur douze étages, attendant le moment propice pour remettre sa vie sur le mode démarrage )

t'as vu passer un peu de la vie, et puis la mort aussi. t'as souvent souhaité effacer tes erreurs à coups de gomme, mais cette fois-là sage, t'aurais frotté si fort que t'en aurais troué la page jusqu'à en créer le gouffre au bord duquel tu t'es retrouvée. depuis ce jour, tu crains à chaque seconde d'y tomber. les souvenirs te tourmentent, les détails oubliés mènent la vie dure à ces nuits trop courtes qui ne te laissent plus le temps de rêver. le soir de l'accident, la lune était pleine, autant que l'est ta peine. la goutte d'eau dans le seau déjà bien rempli des culpabilités que tu te traînes depuis qu'on a remplacé les ailes de l'ange par la queue du diable. et tous les jours sage, tes songes vivent en enfer, en proie à la tourmente des âmes qui ne méritent plus le repos.