Andrew… un nom que j’appréciais tout particulièrement quand mon téléphone portable vibrait à son effigie. Ses messages me semblaient toujours très courts, tantôt enivrants, tantôt scindants. Andrew me faisait parfois penser à ces femmes délicates, parfois indisponibles par humeur ou par périodicité.
Nous nous étions rencontrés dans le cadre d’une interview qu’il avait mené avec brio. Le sujet était bien sûr en rapport avec la justice, ses failles, ses instances et ses évolutions dans nos états. Je m’étais exprimée en toute transparence, favorisant certaines phrases au profit de La justice.
Pour moi le problème n’était pas lié au système carcérale américain, mais plutôt aux moyens. Qu’ils soient humains et matériels. Les budgets ne sont jamais assez conséquents pour répondre aux besoins de notre pays. Mais cela était une affaire de Politique, et je ne devais en aucun cas m’embourber dans ce genre de débat, aux risques de me voir amputer d’une éventuelle investiture dans le futur. J’embrassais ma carrière et j’espérais un jour atteindre le plus haut palier, celui d’être de Juge.
Nous avions eu un bon feeling, j’ai rencontré un homme intéressant et intéressé, lui faisant part de mes sources. J’avais pris plaisir à exposer nos projets pour la justice, mais aussi lui présenter des ouvrages à lire sur le sujet. Certains livres sont bien plus parlants et poignants que quelques mots devant une caméra de télévision.
Ce mec avait un côté intellectuel qui me plaisait bien, assez pour me dire qu’il avait sans doute le nécessaire pour être un bon amant.
Une connexion s’était plutôt bien présentée entre nous puisque ma démarche n’avait pas l’air de le surprendre. En effet, j’avais gardé sa carte de visite et l’avais rappelé quelques jours plus tard pour lui proposer un rencard dans Le Queens Huppé. Un quartier qui nous ressemblait pour la propreté de ses rues, le standing des bars et des restaurants, ainsi que la qualité des magasins.
J’avais apprécié cet échange autour d’un verre où je lui avais clairement exposé mon intime recherche, celle de trouver un amant régulier. J’avais clairement délimité le projet en rappelant que ce n’était qu’un moment éphémère, plusieurs fois par mois, à notre guise. Il connaissait ma réputation et pouvait s’y référer pour connaître mes limites.
Notre relation a terriblement bien débuté, commençant par des sorties discrètes, des invitations tardives et conditionnées, et ma manière de l’allumer par téléphone. Sa jeunesse et sa fourbe me satisfaisaient royalement, me rappelant que l'endurance des hommes de mon âge commençait doucement à s’éteindre. Avec lui, je n’avais aucun doute sur ses motivations, il ne m’avait jamais déçu. Enfin… il avait un penchant pour l’alcool qui pouvait parfois me faire frémir. Je surveillais toujours ses consommations afin de pouvoir partir au moment le plus opportun. Il m’avait toujours respecté car il semblait lui aussi apprécier la discrétion.
Notre histoire durait depuis quelques mois, j’aurais dit quatre tout au plus. Histoire, si on peut appeler cela une histoire. Il répondait aux critères que je lui avais fixé, c’est à dire me faire jouir dans les meilleures conditions et n’émettre aucune attache à ma personne. Il suivait bien le protocole. J’en étais satisfaite en tout cas.
Mon divorce m’avait servi de leçon et je n’avais clairement plus envie de m’ennuyer avec les hommes. Mon mariage avait été un fiasco, commandité par mes parents, me faisant croire pendant plus de dix ans que c’était la meilleure chose qui m’était arrivée dans ma vie.
J’avais réussi à me débarrasser de tout ce qui pouvait qualifier ce plan machiavélique, par conséquent je ne jouais plus avec les engagements.
Nos rencontres étaient sources d’amusements, d’entrains et de plaisirs. On se laissait des petites énigmes par texto, comme des indications à la réussite d’un plan sexuel bien accordé. Ce soir, je lui avais transmis ces quelques mots par SMS :
Selena Brown - Procureur
Annonce ta venue au tribunal en citant mon nom. Présente toi en journaliste studieux, et montre ta carte au vigile à l’entrée. Ne lui fais pas ressentir que tu es mieux membré que lui, ça reste entre nous…
J’ai réservé la salle des délibérations en prétextant une interview privée… Ne sois pas en retard. Tu sais que les procureurs n’apprécient pas que les prévenus ne se présentent pas à la barre pour assumer leurs actes…
Enfin, n’oublie pas d’avoir ce qu’il faut, c’est toujours mieux d’avoir une bonne protection...
21h.
Il commençait à me connaître sur ces choses là. J’aimais monter le rencard en énigme, lui faire des métaphores et le laisser un temps soit peu imaginer comment nous allions nous amuser.
Je n’avais eu qu’une seule audience ce jour là, mais la quantité de travail me poussait à travailler jusqu’à une heure tardive. J’avais profité d’un service spécial pour que mon repas du soir me soit livré. J’avais mangé quelque chose d’équilibré, sans prétention, passant mon temps à pianoter mes arguments pour les procès à venir sur le clavier de mon ordinateur.
Les affaires se ressemblaient et revenaient régulièrement en boucle. Divorces, meurtres, affaires de voisinage, recels, etc. Je traitais tout type d’histoire, même si mes préférées restaient les assises. Le pénal, mon domaine de prédilection. Je me surpassais en rédigeant des plaidoiries qui bousculaient et cognaient tant les jurés que le public.
Je me défiais toujours d’écraser ces avocats, qu’ils soient véreux, débutants ou chevronnés. Je jouissais de voir mes réquisitions confirmées par le juge ou les jurés. Mais on ne pouvait pas gagner à tous les coups.
Ce soir là, je voulais fêter ma victoire de la journée, Andrew était le bienvenu. J’espérais qu’il suive mon invitation parce qu’il lui arrivait de
me refuser.
J’attendais vingt-et-une heure moins cinq pour emporter un dossier contre ma poitrine, simulant une affaire importante en sortant de mon bureau. Je savais que cette salle était disponible car elle était aucunement utilisée la nuit.
En effet, les comparutions immédiates qui se déroulaient de nuit n’étaient aucunement jouées aux assises. Les juges de nuit n’utilisaient pas cette salle, mais je ne niais pas les enjeux. Coucher dans un tribunal était une faute grave et il y avait de quoi se faire punir sévèrement. A noter que j’avais pris soin de cacher une bouteille de whisky lors de la réservation de la salle. Cette pièce de quinze mètres carrés environs était composée d’une bibliothèque en frêne rouge lustré. Des livres dominaient par leurs titres grossiers, entre le code civil et le code pénal des années précédentes, abordant tous un thème autour de la justice et la magistrature. Une fenêtre tentait d’illuminer la pièce, laissant deviner que la nuit tombait doucement dans notre grande ville de New York. Les réverbères commençaient joyeusement à éclairer les passants, dessinant différentes empruntes jaunâtres sur les murs blancs de la pièce.
Les murs étaient scindés horizontalement en deux, embellissant la pièce d’une partie simple et blanche jusqu’en haut, alors que l’autre moitié était fixée par un lambris en bois rustique partant du milieu jusqu’en bas. Une table en bois massif, toujours lustré, trônait au milieu de la pièce, aguerrie par un certain nombre de chaises victoriennes. Une tapis ornementé de longues arabesques et de motifs supérieurs, soutenait le tout en bonne et due forme. Les chaises, riches de leur âge et de leur histoire, étaient recouvertes d’un capiton de couleur pâle parfaitement bien ficelé. Un fauteuil présidait cette assemblée au bout de la table, proche de la fenêtre, me laissant imaginer un instant le moment qu’Andrew allait pouvoir m’offrir en me laissant m’asseoir à la place du juge…
Je n’allumais pas la lumière et pris place dans le grand fauteuil au bout de table, après avoir déposé la bouteille de whisky et ses deux verres sur celle-ci. Je l’attendais, le voyant arriver par la fenêtre, en train de monter les hautes marches du palais de justice. Il était à l’heure et cela m’invitait à cocher un sourire. La lumière de l’éclairage public brillait de milles feux, appuyant lentement ses rayons sur ma personne. Le fauteuil était dos à l’unique porte de la pièce, tourné vers cette fenêtre sans rideau. La fameuse porte possédait d'ailleurs un jeu de clefs en sa serrure, facilement verrouillable. J’avais croisé mes jambes et allumais une cigarette avec désinvolture, me fichant scrupuleusement des interdictions. Je jouissais clairement de la mentalité du « faites ce que je dis, pas ce que je fais... »
Enfin, j’étais vêtue d’un tailleur bleu marine, en tissu fin, avec un pantalon assorti. Mes chaussures étaient des Louboutins achetés dans le Queens Huppé. Une chaîne en or ornait mon cou, accompagnée de ses boucles d’oreilles en même matière. Mon parfum se mariait doucement avec l’odeur de clope. J’avais détaché mes longs cheveux blonds pour inviter à la rebellions. J’aimais braver les interdits pour m’envoyer en l’air avec ce type, c’était franchement exquis et devenu notre petit jeu… Espérons qu’il respecterait minutieusement mes consignes, autrement les réjouissances auraient vite trouvé l’avortement…