sleep in peace when day is done -- (sage)

et tu marches sur les braises sage, depuis cette nuit où tout a basculé.
la brûlure est si vive qu'elle te tient éveillée toute les nuits. mais t'es pas plus à l'abris des cauchemars quand le sommeil ne t'atteint pas, et c'est sans doute le pire. y'a toujours des pensées malsaines pour te submerger, des songes assez féroces pour bouffer la moindre once de quiétude susceptible de s'installer quelque part. faudrait pas qu'tu penses que t'es sauvée, gamine. c'est pas parce que t'as réussi à fuir la culpabilité qu'elle ne te court plus après. et chaque fois que tu trébuches, elle est là pour te rattraper. alors parfois, tu sautes toi-même dans le vide, prends des directions interdites pour la plus nuisible des destinations - là où ta vie a chaviré.


l'échouée sur le trottoir, le vague à l'âme et la mort au coeur.
tu sais pas vraiment c'que t'es venue chercher, sage.
un visage.
un espoir.
quelque chose possiblement perdu au beau milieu des souvenirs maudits qui pavaient encore chaque millimètre de cette rue ; un peu de bien dans trop de mal. retrouver le réconfort d'une voix qui saurait étouffer celle qui ne cessait de transformer chaque brève lueur de foi en calomnie assassine.une voix comme celle-là.
« tu tires une de ces tronches. »
t'ignores le manque de douceur, le fond de ces propos et tout ce qui était susceptible de te faire oublier que c'était là tout ce que tu attendais, et que de surcroît, c'était lui.
a n d e r.
« qu'est-ce que tu fous là ? »
tu hausses les épaules avant même que sa question ne soit achevée. comme si tu l'attendais, sage. comme si tu te l'étais déjà posée un million de fois et qu'aucune réponse ne t'était jamais apparue. comme si tu ne saurais pas plus quand viendrait son tour.
comme si tu ne saurais jamais.
« qu'est-ce que j'fous là... », tu répètes dans un murmure, pour toi-même.
et quand le "là" ne désigne plus que le gouffre dans lequel t'as basculé, tu n'oses plus trouver de réponse.
« j'en sais rien... »
c'est mieux que l'absurde. mieux que cet impropre besoin de revenir à l'endroit où tes cauchemars étaient bien trop réels. jamais pire que cette attirance malsaine qui ne cessait de te traîner jusqu'ici. parce que les fantômes ne peuvent pas partir sans toi. pourtant, y'a comme un vent de détachement quand tes yeux se posent enfin sur le jeune homme, comme si ton esprit avait enfin trouvé un moyen de se défaire d'un supplice qui semblait jusqu'à lors inaltérable.
c'est à ce moment précis, sage, que tu réalises que peut-être tes démons n'étaient pas les seuls à t'avoir conduite sur ce trottoir. celui de la première fois.
il a l'allure d'un miracle inavoué, ander. la saveur d'un espoir tu, concrétisé pourtant sous ses traits - rassurants. alors, tu souris.
« c'est devenu ton coin déprime ? »
peut-être bien, oui. nul autre endroit n'était plus adéquat. pourtant, tu hausses les épaules comme si tu n'en étais pas certaine.
« j'ai constaté que je faisais des rencontres assez singulières ici, parfois intéressantes », tu déclares, faisant implicitement référence à cette nuit si particulière où il s'était arrêté là, pour toi.
« quand on ne me prends pas pour une pute, ça va de soi. »
un éclat narquois vient momentanément éveiller le regard triste. tu ne cherches pas à en rire pourtant, mais tu parviens à ressentir une certaine légèreté que tu ne peux t'empêcher d'accueillir à bras ouverts, de peur qu'elle ne file trop vite.
« j'peux te donner une ou deux adresses plus sympa pour ça. »
« Sympa ? » tu répètes, incrédule. « pour déprimer ? »
le sourcil arqué, tu laisses échapper un semblant de rire sans joie.
« j'ai comme l'impression que ces deux termes n'iront jamais ensemble. »
à moins que ce ne soit toi, mon adresse.
un silence. un soupir. une question au bord des lèvres.
« en quête d'âmes en peine ? » - à sauver ou à faire périr ?
t'as jamais su, sage. t'as jamais été capable de le cerner avec suffisamment d'aisance derrière les regards bienveillants et les sourires carnassiers ; derrière tout ce qui faisait de lui un paradoxe.
a n d e r -
pas plus homme qu'antinomie.

regarde-toi sage, t'as l'air de quoi ?
l'air d'un rien perdu dans l'univers, l'air d'un chien - sans but, sans repères.
les jambes flageolantes et le minois défait, on parierait que t'as pris trop de crack et que tu t'es paumée.
y'a rien à dire, tu fais pitié.
pourtant, de ce que la faible clarté de la lune naissante te laisse entrevoir, tu ne distingues rien dans le regard d'ander qui puisse s'en rapprocher. aucune fausse compassion à vomir, aucun semblant d’apitoiement mal placé. pauvre petite chose redeviendrait presque quelqu'un à l’impartialité de son oeil brun.
pas misérable.
ni proie.
ni pute.
« évite de t'asseoir sur le trottoir, la prochaine fois. »
les lèvres se déforment entre grimace et sourire tandis que tu dodelines de la tête pour lui signifier un accord certain. parce qu'il a raison, sage ; tu cherches et tu trouves. t'as la dégaine facile, le maquillage qui dégouline, et la carcasse refroidie qui demanderait bientôt n'importe quelle étreinte pour être réchauffée.
« que doit être la vie de tous ces baroudeurs qui ont mal aux pieds à la fin de la journée ? », tu plaisantes, un rire nerveux en guise de conclusion.
ta main triture ta cheville sans raison, et tu hausses innocemment les épaules. parce que toi, t'as aucune raison d'être là. pas de fatigue, pas de douleur. à seulement te faire remarquer en cherchant un coin où t'échouer et laisser pourrir en silence les pensées tortionnaires.
« c'est tout l'intérêt. »
les yeux vitreux retrouvent ander dans l'attente d'une suite, d'une explication à ce que tu ne comprends pas encore ; qu'on supporte plus facilement les idées noires en se sentant un peu plus en paix. le problème, c'est que la tienne, tu sais pas où la chercher. et le confort du réconfort, dans quels bras saurais-tu le trouver ?
« si tu restes dans c'coin dégueu à attendre qu'on te traite de pute ou qu'on te fasse les poches d'un peu trop près, tu risques pas de te sentir mieux. »
« c'est quoi ? de la bienveillance ? » et pourtant tant de désinvolture.
tu crois sentir de l'inquiétude quand il s'en fout ;
quand ça lui passe au dessus d'la tête que la déchéance te tienne en joug.
mais t'as pourtant la naïveté de croire que si lors de la chute son bras ne te rattraperait pas, il daignerait au moins te tendre quelques doigts.
c'est peut-être à cause de ses sourires.
« on tente n'importe quoi quand on ne sait plus quoi faire », que tu te justifies en ramenant tes genoux sous ton menton.
t o u t - jusqu'à retrouver le berceau de tes démons. et, bien que cette solution t'apparaisse exclusivement mauvaise, c'était bien la seule qu'il te restait encore.
« viens voir le match, la prochaine fois. ça t'évitera de rester là à regarder tes soucis dans l'blanc des yeux. »
les lèvres s'étirent.
« et prendre la peine de me déplacer pour assister à une défaite ? je ne soutiens pas les loser. »
le ton est moqueur, le regard rieur mais tendre.
« quels sont les résultats de ce soir ? »
l’allégresse de la victoire pouvait peut-être adoucir tes peines, comme une compensation par procuration.
à moins qu'il existe une méthode plus directe.
« si c'est d'te détendre dont t'as besoin, j'te suggère la beuh. »
tu suis ses mouvements, guettes ses réactions, et restes silencieuse une longue minute, si ce n'est deux. c'est à ce moment-là que tu réfléchis. tu réfléchis à tout ce qui te semble mal et que tu aurais déjà dû refuser. et puis tu réfléchis à tout ce qui a rabaissé ta vie au rang de vivotement minable, tout ce qui t'assaille, tout ce qui pourrait te détruire si le vase accueillait une seule et dernière goutte. tout ce que tu te donnes tant de mal à oublier, toi aussi. alors tu flanches, sage. c'est comme s'il arrivait à point nommé pour balayer un instant les douleurs morales que tu t'infliges. et c'est pour cette raison que tu lui adresses même un faible sourire. le corps légèrement tournée vers lui, tu te mords la lèvre inférieure avant de prononcer l'ultime erreur.
« t'en as ? »
la voix faiblarde se perd sans doute dans la brise nocturne, mais tu ne prends pas la peine de répéter. au contraire, c'est finalement un regard méfiant qui se pose sur lui.
que cherchait-il en s'arrêtant là ?
il n'y avait que les débris d'une âme perdue à ses pieds.
« j'ai c'qu'il faut. »
(pas besoin de toi, gamine).
« j'suis toujours pas sûr de comprendre c'que tu fous là, mais si c'était pour me trouver t'avais pas besoin de faire le tapin, tu sais.
tu lèves les yeux au ciel.
« t'avais juste à m'appeler. »
mais pour qui ? pour quoi ? il n'a rien d'un sauveur, ander. et il ne te doit rien.
« comme toutes les autres, tu veux dire ? »
d'un léger mouvement de menton, tu désignes la poche dans laquelle il venait de fourrer son téléphone qui n'avait de cesse de vibrer, comme tant d'autres appels à l'aide qui faisaient taire le tien.
« tu te donnes beaucoup d'importance, ander. crois-tu vraiment que j'aie besoin de quelqu'un pour semer le chaos dans mon propre chaos ? »
parce que telle était son oeuvre, pleinement assumée.
le fauteur de troubles, vil semeur du désordre.
s'il devenait ton seul recours sage, ton dernier appel, nul espoir était encore à nourrir.
(sauf celui du pire).