exquis mensonge (euphrasie)

les minutes s'allongent, deviennent des heures et des heures à tes yeux. c'est long et pas franchement évident pour toi jeune euphrasie, de travailler des journées entières sans broncher dans le garage de ton oncle alors que ce dernier ne t'adresse presque plus la parole si ce n'est pour t'indiquer de nouvelles directives. c'est que t'as pas l'habitude de jongler tant de fois entre les différents outils dans une même journée, ces dernières années t'es plutôt passée en coup de vent que sérieusement. t'es loin d'être une apprentie modèle, alors c'est normal que tu en sois réduite à serrer les dents tout en espérant que la journée passe le plus vite possible. l'homme qui t'as élevé pense probablement que tu tentes de te racheter car même si tu comprend sa décision de te mettre à la porte de son appartement, tu as encore aujourd'hui du mal à digérer et t'aimerais sincèrement te convaincre que tes agissements n'ont que ce seul but  mais tu sais au fond de toi et d'ailleurs tu en honte, que la vérité est toute autre. t'es seule jolie fleur. et si tu ne viens pas travailler au garage, tu n'as plus rien. alors tu t'accroches à ce qu'il te reste et à tes espoirs aussi, en attendant des jours meilleurs pour toi. tu as l'impression de ne pas voir le bout du tunnel, pourtant il se peut que les heureux changements aient déjà un peu commencés. tu te retournes vers ton amie nouvellement retrouvée, un large sourire dessiné sur tes lèvres et des étincelles dans les yeux. « hey perle ! » vous vous étiez perdue de vue, un peu par ta faute d'ailleurs, mais le destin a fait en sorte que vos chemins se croisent de nouveau il y a peu et pour ton plus grand bonheur. son retour dans ta vie ne pouvait pas mieux tomber. t'as l'impression que pour une fois, la vie a bien fait les choses dans ta vie. elle te met des bâtons dans les roues mais pas que. « je pense que non. » ton oncle t'en veux toujours autant que le jour où il t'as annoncé être au courant au sujet de ta grossesse mais il ne s'acharne pas sur toi. il reste juste et te traites comme les autres employés du garage. t'en fais ni plus ni moins que les autres. il y a juste certaines choses qui sont dans tes cordes mais qu'il ne te demande plus de faire. il n'a pas donné d'explications, n'a même rien du tout à ce sujet. ça pourrait être parce qu'il ne te fait plus confiance ou qu'il ne souhaite plus que de tonner des tâches ingrates à faire mais toi t'es convaincue que c'est à cause du bébé dans ton ventre. « je crois même qu'il fait attention au bébé. » tu confies à voix basse à ton amie, non sans avoir jeter un rapide coup d'oeil autour de vous. il y a peu d'employés au garage alors t'es à peu près sûre que tous sont au courant de ta situation mais c'est pas une raison pour parler haut et fort de ta grossesse. c'est un sujet délicat pour toi et tu ne te confies pas à n'importe qui.

tu t'investis dans le garage de ton oncle comme tu ne l'avais jamais fais auparavant. t'es sérieuse et tu t'intéresses à tout, en dépit du fait qu'on continue de t'attribuer les tâches les plus ingrates qui soit. tu pourrais prétendre que tous ces efforts sont destinés à te permettre de trouver un un nouvel employeur prochainement, histoire de fuir un environnement dans lequel tu peines de plus en plus à te sentir à ta place et te venger du fait d'avoir été mise à la porte mais il n'en est rien du tout. tu ne comptes pas partir. tu n'y as même pas songé une seule seconde, pourtant tu aurais des circonstances atténuantes. mais t'as besoin de ta famille, aujourd'hui comme demain. ton frère est en prison, tu veux par perdre le dernier qu'il te reste pour une histoire (entre autre) de bébé. tu veux pas lui tourner le dos, en plus tu n'aurais rien à y gagner. si t'as réussis à t'en sortir plutôt correctement en trouvant un autre logement rapidement, t'es pas sûre d'avoir la même chance avec un boulot. t'as de l'expérience dans le garage de ton oncle mais pas de diplôme alors c'est pas trop un bon plan. ta meilleure option est probablement d'attendre que les choses se tassent d'elles-même; il finira forcément pas arrêter de t'en vouloir à un moment ou à un autre, n'est-ce pas ? « oui. tu verrais les regards qu'il me lance le matin quand j'arrive. si ses yeux pouvaient tirer des lasers je serais déjà morte. » tu savais que la nouvelle serait un choc pour lui mais ses réactions sont allées au-delà de ce qui t'imaginais. tu pensais qu'en une semaine les choses iraient déjà mieux et qu'il t'apporterait à lui seul tout le soutien qui t'es nécessaire mais tu t'es planté en beauté, joli coeur. il ne décolère pas, c'est pourtant pas faute de te montrer à la fois aussi discrète et irréprochable que possible. tu sais pas trop si t'as raison de croire que ça finira par aller mieux alors heureusement que perle est là pour le faire (en mieux) à ta place. t'aimerais être aussi positive mais t'as du mal, y'a trop de choses qui vont pas. parlons-en du père. il y a qu'une possibilité, du coup tu sais très bien qui c'est mais t'évites généralement soigneusement de répondre quand on te demandes. tu restes vague, c'est plus prudent pour l'instant. en fait, tu ne fais que retarder l'inévitable; c'est pas franchement une solution et tu le sais. mais avec perle, tu te sens plus à l'aise d'en parler. tu peux parler librement, elle ne te juge pas. pourtant elle pourrait, elle qui a su si bien s'en sortir. elle aurait tellement plus à gagner à traîner avec ses copines de fac que toi, pourtant elle est bien là. ton amie est venue pour te voir et t'écouter alors t'as confiance. tu sais qu'elle est de ton côté. « un ami de mon frère...  » son meilleur ami, en fait. c'est dix fois pire. « on avait besoin de se soutenir l'un et l'autre après le départ de pablo en prison. » t'as bien essayer de trouver du réconfort ailleurs, auprès d'autres membres du gang mais aucun n'a su te comprendre et t'aider à surmonter l'éloignement de ton frère. « il sait pour moi, c'est mon oncle qui lui a dis. par contre il sait pas qui est le père. j'ai peur de sa réaction quand il saura. à vrai dire, le futur papa ne sait pas non plus ce qui l'attend. » t'as pas eu le courage de lui dire non plus, pourtant c'est l'autre principal concerné. t'as pas non plus eu trop l'opportunité de le faire avec les mesures d'éloignement avec le gang. ça t'embête de plus pouvoir traîner avec tes amis mais tu te caches aussi derrière ces mesures car elles te fournissent l'excuse parfaite pour taire plus longtemps ton secret. tu te comportes comme une gamine, euphrasie, mais en même temps tu n'as jamais prétendu ne plus en être une.

t'en as connus des bouleversements au cours de ta courte existence, il semble même que ça en soit sa définition mais cette fois tu as touché le grelot. c'est la cerise sur le gâteau, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. appelle ça comme tu veux, gamine mais si il y a bien une chose sur laquelle tu ne peux tergiverser, c'est que ce bouleversement là n'est pas simplement comme les autres. il va marqué ta vie à jamais. d'ailleurs, ça a déjà commencé. ce n'est pas comme pour ton grand-frère avec qui tu t'imagines, avec le temps, faire comme si la case prison n'avait jamais existé. t'effaces pas un bébé d'un geste de la main, par la seule force de ta volonté. même si tu abandonnais l'idée d'être mère, ça n'empêcherait pas les changements qui se sont opérés et s'opèrent encore dans ta vie. il n'y a pas de retour en arrière possible. l'angoisse terrible qui en découle noue un noeud dans ta gorge, dans ton estomac et se mue en un obstacle infranchissable. il faut que tu parles au deuxième futur parent mais t'en es incapable et quelque part au fond de toi, tu espères que ton amie te pousses à le faire. tu sens bien que toute seule tu ne parviendras pas à te mettre un coup de pied suffisamment fort pour te convaincre et parler. sans quoi, tu le sais, t'attendras d'être au pied du mur. mais c'est pas son rôle de te bousculer. elle est là pour t'écouter, pas pour te donner des leçons et c'est certainement ce que tu apprécies le plus dans votre relation. pour un peu, c'est comme si vous deux ça ne s'était jamais arrêté. tu opines d'un geste lent. tu ne parviens pas à savoir si ça aurait été pire ou mieux de tomber dans les bras d'un garçon en dehors du gang. peut-être. peut-être pas. en vrai, tu peux pas savoir. tu peux uniquement constater que les faits actuels sont pesant pour tes frêles épaules. tu sembles tenir le coup mais pour combien de temps, encore ? tu baignes dans l'ignorance, bien plus que tu ne le penses, loin de te douter des vérités qui font mal. « plus ou moins. » l'éloignement forcé avec le trois quart de tes repères rend les choses plus difficiles qu'elles ne pourraient l'être et engendre des petits coup de blues. mauvais timing pour cette grossesse.« je vais le garder. » une décision que tu as prise seule et que tu es prête à défendre bec et ongles. tu ne sais expliquer pourquoi tu ne te vois pas faire autrement. tu ne sens pas devenir mère mais tu te sens encore moins de ne pas lui laisser sa chance. « toi aussi tu penses que je suis inconsciente ? » ce serait normal. c'est ce que tu penses aussi, au fond. c'est ce que tes proches te disent. parce qu'il faut être honnête, ce n'est pas avec tes maigres butins de cambrioleuse que tu vas le nourrir ou lui apporter tout ce d'un enfant à besoin pour grandir.

t'as l'air de vouloir faire croire au monde entier que t'es désormais prête à voler de tes propres ailes (après tout, ton ventre porte la vie et dans quelques mois tu deviendras une mère) mais espères-tu sincèrement convaincre qui que ce soit quand toi la première ne t'en pense pas réellement capable ? c'est pas (plus) comme jouer à la maman pour de faux avec des poupons, cette fois c'est la vraie vie. t'essayes de garder la tête haute et d'assumer toutes tes décisions mais derrière cette façade que tu t'efforces de garder pour tenir le coup, tu n'es qu'un animal apeuré et fragile. et tu penses que tu supportes actuellement le plus dur, sans songer une seconde que tu n'es qu'aux prémices de la douleur. tu ne sais pas encore dans quoi tu t'es embarqué euphrasie, mais ce qui est sûr c'est que tu ne comptes pas faire machine arrière. pour le meilleur et pour le pire. « j'suis pas prête. » ça te fait du bien de les sortir enfin, ces satanés mots. cette confession prononcée dans un murmure, plus loin que jamais de toutes les oreilles indiscrètes, brûle tes entrailles mais soulage ton esprit épuisé par les nombreux silences que tu gardes pour toi. parler à perle de ce que tu n'oses avouer à personne d'autre, c'est la preuve ultime de la confiance que tu as naturellement choisis de lui accorder de nouveau, quand bien même à une époque vous vous étiez perdue de vue. à tes yeux, ça n'a pas d'importance. c'est presque déjà tout oublié. tu n'y ferais même plus allusion si tu n'étais pas forcée de combler encore tes lacunes sur les années passées l'une de l'autre.  « évidemment, avec les études ce serait compliqué... » mais tu peux pas savoir et tu ne le pourras jamais, les portes te sont fermées et tu te demandes même si elles ont un jour été ouvertes pour toi. tant pis, t'as réussi à tracer ta voie sans. et même si c'est pas brillant, c'est pas bien grave. tu as fais ce que t'as pu et t'as pas envie de te reprocher tes décisions jusque là parce que t'en regrettes aucune. « des études de quoi, déjà ? » tu es une mauvaise amie, euphrasie. elle, elle t'écoute mais toi non. est-ce que tu lui a au moins poser une fois la question, au moins ? franchement, t'es même pas certaine. tu crains, gamine. tu n'as pas d'excuses même si elle est revenue au moment où tu es sans doute la moins encline à tendre l'oreille pour les autres. c'est pas que tu veux pas, c'est que tu n'y arrives pas. t'as sérieusement besoin de décompresser car t'as le cerveau aussi en vrac que tes émotions. « tu bois ?  » tu lèves un sourcil, surprise. tu ne juges pas ton amie, juste que ça te surprend un peu. en fait, ça ne colle pas avec l'image que tu t'es faîte d'elle depuis ton retour dans ta vie mais à bien y réfléchir ça doit faire parti du quotidien des étudiants ou du moins de celui de leurs soirées. « va pour le coca. on se fait ça après ? j'termine dans quelques minutes... » tes horaires ne sont pas censées être flexibles mais tu sais faire en sorte que ce soit le cas. tu les arranges à ta sauce, tu grattes des minutes ici et là. c'est pas très sérieux comme attitude mais tu ne l'as plus fait depuis un moment (depuis que tu viens bosser tous les jours du matin au soir parce que t'as rien à faire d'autre) donc tu peux te le permettre. de toute façon, à cette heure-ci il n'y a que les rendez-vous de dernière minutes qui viennent vous trouver et ce n'est généralement pas toi qui a ton mot à dire si le garage les prend ou non; ainsi que les gens qui viennent récupérer leurs véhicules et comme ton oncle n'a pas suffisamment confiance pour laisser la caisse à ton unique surveillance, tu ne manques rien à partir maintenant. personne ne verra la différence. du moins au niveau du travail effectué car t'es bien forcée de prévenir ton oncle que tu vas pas rester jusqu'au bout aujourd'hui. c'est un peu chiant de lui parler en ce moment, t'as toujours l'impression de marcher sur des oeufs avec lui, mais t'as vraiment besoin de décompresser. de souffler un bon coup et de t'éloigner quelques heures de tes problèmes. « j'reviens. »

les gens qui te sont proches ne te le répèteront jamais assez : tu es aveugle, euphrasie. tu ne vois pas le mal, tu ne vois pas le monde tel qu'il est vraiment. tu as pourtant conscience de son imperfection, de son injustice, malgré tout tu nourris des espoirs improbables à son sujet. tu es complètement naïve. il est plus facile de te duper que l'inverse. malgré tout, aussi incroyable que cela puisse paraître, tu as échappé aux griffes des flics. tu as su les convaincre que tu ne savais rien au sujet des activités illégales de ton grand-frère et de son appartenance aux red wolves. tu as mentis en jouant de ton point faible, de ta naïveté, probablement la seule fois que tu as pu en tirer du positif. tu as fais comme les autres membres, comme ton oncle aussi, et pour une fois tu t'es sentie capable de faire plus que ce à quoi tu t'étais résignée. mais tu n'es maîtresse du bluff et tu ne sais cultiver le mystère. ceux qui te connaissent vraiment savent facilement démêler le vrai du faux ou à défaut, comment te faire flancher. pour ces deux choses, ton aîné est très doué. il t'as fait cracher le morceau, tu lui as révéler le nom du futur papa. un garçon qui ignore encore tout du bouleversement que tu t'apprêtes à faire tôt ou tard dans son existence parce que ce môme, tu vas le garder. tu veux qu'il vienne au monde et l'entourer de tes bras pour lui apporter amour et chaleur. c'est sûrement une bêtise mais tu t'obstines. « j'sais pas. » il n'y a pas grand chose à comprendre, il y a des choses comme ça dans la vie qui ne s'expliquent pas; c'est le cas de ta décision. c'est peut-être un caprice ou bien l'instinct maternel. tu ne penches ni pour l'un, ni pour l'autre. tu ne te poses pas la question plus que ça, d'autres interrogations taraudent déjà ton esprit d'enfant qui ne sait comment grandir. dans quelques mois, tu vas faire un bond dans un autre monde. brutalement mais sûrement. c'est peut-être tout simplement ta façon à toi de franchir un cap. tu es obligée de trouver tes propres solutions, tu ne peux pas faire comme perle. l'université, les autres étudiants, les cours en amphithéâtres, tout ça se sont autant de choses qui t'échappent gamine. c'est hors de ta portée, aujourd'hui comme demain. « le droit ? ça doit être prenant. tu veux être avocate ou quelque chose dans ce genre là ? » tu vois ton amie d'enfance s'élever dans la société alors que toi, tu restes tout au bas de l'échelle. à ta place. tout le monde ne peut pas quitter le monde dont il vient mais tu n'es pas jalouse. tu as accepté ta condition il y a longtemps, même si tu es loin d'en connaître toutes les subtilités. « c'est le destin. t'es née pour réussir. » de jolis mots en lesquels tu crois dur comme fer. ils sont pour toi, à l'image de ton amie d'enfance : parfaits. comme prévu, ton oncle ne te retient pas. tu as vaguement l'impression que ton départ pour traîner avec perle ne l'enchante pas mais comme il a cet air bougon constamment en ce moment, tu n'es pas certaine. et de toute manière tu t'en fiches. « j'suis toute à toi ! » le sourire aux lèvres, tu abandonnes sur une étagère les derniers outils de travail en ta possession pour entraîner ton amie vers la sortie du garage.  « alors, on va où ? » l'air frais te fait du bien, t'es pas mécontente de quitter plus tôt que prévu les odeurs d'huile et de moteurs.