it's peaceful in the deep

La houle piétine son abdomen, ses jambes et ses bras ballants ; l’eau est glacée, mais elle ne sent que le vide qui la submerge et les stries du levant sur son visage humide. Au-dessus d’elle, le ciel qu’elle darde de ses soucoupes. Et dans la ligne de l’horizon, elle a l’air parfaitement invisible dans ce camaïeu de bleu. Un souffle bat la surface et le saillant de ses traits se sent brûlé par le froid. Elle se laisse couler, Roseen, se réchauffe dans le ventre chaleureux de sa mère. Finalement, ses tiges fendent les eaux boudeuses jusqu’à la rive. Elle échappe la moitié de son faciès hors de l’eau, des lunes captant le sable martyrisé par les agitations d’un quidam. De loin les articulations du pantin lui paraissent absurdes, contrastent avec les corps et les astres encore assoupis.

Roseen s’exhorte des remous frénétiques, et sans prendre la peine de s’essuyer, enfile quelques vêtements pour railler l’air qui déjà lui mord la peau. L’étau de ses mains presse les dernières gouttes de sa crinière. Une tête curieuse se courbe sur le paysage d’une petite plage où l’homme s’est assis, engorgeant ses poumons d’un jour encore neuf ; c’est le même qui brassait le vent quelques minutes auparavant, maintenant le savoure. « Elle ne vous répondra pas, je crois qu’elle n’est pas du matin » elle claironne tandis que ses yeux désignent l’étendue. « Je lui parle à chaque premier rayon du soleil, mais elle ne me répond jamais » elle hausse les épaules, les mirettes divaguant sur l’inconnu aux sourcils épineux qu’il lui donne des attitudes étranges. Les grains dorées s’aimantent à ses pieds et l’extrémité de son pantalon, la blonde y plonge les fesses à quelques centimètres du garçon. « Elle est vraiment capricieuse, enfin, je pense que c’est parce qu’elle ne veut pas rendre jaloux le soleil » ses mots se parachèvent en même temps que les vagues sur le rivage.

@Leo Goldsmith

Première sonnerie de téléphone qui annonce l'achèvement d'une nuit sans sommeil. Leo frôle avec la correctionnelle en attendant le craquage mental. A la façon d’un automate, il s’habille sans réfléchir, les réflexions encore trop ancrés dans une souffrance nécessaire pour construire un mental solide. Les opales ne sont pas encore totalement alertes lorsqu'il foule le sable. Peu importe, l'habitude des entrainements douloureux et l'instinct de survie prennent le relai sur sa conscience anesthésiée. Le souffle faussement court, il est simplement à la recherche de sensation, d'un palpitant qui s'emballe, d'un challenge à court terme. Les pupilles s'accrochent quelques secondes à un remou de l'eau, une vague presque trop régulière. Une heure finit par s'écouler avant qu'il ne se décide d'abréger le moment pour s'échouer sur le sable, transpirant, la respiration anarchique.

L'anglais se redresse lorsqu'une blonde s’installe à quelques centimètres surement inconnue de la notion d’espace vital. Il fronce naturellement les sourcils, sans tourner la tête, peu aimable de base lorsqu’on l’aborde, pas très adepte des surprises et ou de tout ce qui relève de l’imprévisible en tant que parfait break du contrôle qu’il peut être. Son visage se décompose de façon imperceptible lorsqu’il entend sa voix avec la désagréable sensation d’avoir déjà vécu cette situation. « Tu ne dois pas utiliser les bons mots » esquisse Léo l’air détendu malgré la fille devant se shooter au Xanax ou Lexomil ayant pris place à ses côtés. « C’est toujours comme ça » il glisse en haussant les épaules. Ironie venant du premier incapable à s’exprimer, laissant pourrir ses essais trop intenses en interne, dans une frustration palpable. « Léo » il se présente futilement avant que ses opales ne dérivent vers elle le temps de quelques secondes. L’ancien seal se permet de détailler les traits de son minois trop familier. « On se connait ? » Il annonce sans question, peu capable de qualifier cette sensation qui l’envahit par vague successive. Elle est un personnage récurrent de ses souvenirs. L'impression est lancinante, mettant à mal sa matière grise trop pragmatique.


@roseen campbell

Elle pousse au mauvais endroit la Rose, sur le sable glacé de la nuit, les épines noyées dans l’océan, les pétales près d’un homme qui butine la lumière. À sa place nul part auprès des humains, une utopie qui les étouffe, capte les souffles haletants, elle disperse les chatoiements du grand monde. Dans les premiers instants de la rencontre, le solitaire ne saurait s’infliger le fléau d’un regard ; elle se sent comme quelque chose de plus inconnue encore pour cet anglais dont elle distingue l’accent avec malice. Elle penche à nouveau ses orbes sur son voisin : « elle serait donc aussi fière que les hommes? ». Une hypothèse qu’elle réfute d’un hochement de tête tant elle lui fait du mal, tant elle bouleverse un équilibre précieux rendu précaire. C’est toujours comme ça. De ses yeux, elle savoure le maigre espace qu’elle lui a laissé, elle fait dévaler ses billes sur les traits durcis, distants, cernés de son portrait. On dirait qu’on lui a peint la guerre sur le visage et la gamine s’en épate, parce qu’elle comprend. Elle comprend que les mots qu’elle ne peut dire à l’étendue sont les mêmes qui trahissent son silence à lui. Parce qu’on a bâclé l’étendue à grande horde d’humain, parce qu’elle s’est retranchée loin pour ne pas avoir à souffrir de plus belle. Un rictus apparaît sur ses lèvres alors qu’elle dévisage l’inconnu ; c’est l’étendue qui lui répond quand il parle. « Enchantée Leo, je suis Roseen » ses yeux se plissent, son nez se retrousse à l’aune du large sourire qui égaye sa face. « Probablement autant que le soleil côtoie la glace, que la pluie rencontre le ciel ; je crois que vous ressemblez à d’autres, qu’on se connaît d’un autre monde. Je ne sais pas… » elle exulte un soupir des plus profonds, se tourne vers l’opposé, s’allonge pour ne pas avoir à se confronter au regard inquisiteur de cet homme. « Évidemment qu’on se connait, je viens chaque petit matin pour te parler. Il n’y a qu’aujourd’hui que tu me réponds » Leo est l’étendue, ce paysage longtemps silencieux, elle relève les yeux vers le ciel parce que c’est à lui qu’elle s’adresse réellement, peu importe le messager qu’il a choisi d’envoyer.