I wanna be your lost boy (wendy & pan)

Accrochée à Shabh, Jill sent son coeur battre dans sa poitrine. La suite de ce qu’elle ressentait dans le bus, douceur mêlée d’excitation. Sentiment étrange d’être enfin à sa place, alors qu’elle se permet d’enrouler son corps autour du sien, rassurée par l’excuse du jeu. Elles ne font rien de mal, n’est-ce pas ? Petite culpabilité dans la poitrine alors qu’elle profite peut-être un peu trop, de sentir ainsi son odeur et sa chaleur contre elle. Heureusement qu’il n’y a personne pour les voir. Bien sûr que Wendy fait confiance à Peter mais, comme des enfants, elle s’amuse à imaginer qu’elle pourrait se venger. Se chamailler comme à l’époque, avec tout ce que ça sous-entend de rapprochement entre elles, qui lui a tellement manqué. « Je ne te laisserais pas cette occasion. » Jill rit un peu et s’accroche plus fort quand le vent s’intensifie, à mesure qu’elles approchent de la mer. L’iode qui leur emplit les narines, l’air de la mer qui glisse déjà contre leurs peaux, chassant la  pollution de la ville et, avec elle, les soucis de leurs vies dans le Queens.

Quand elle retrouve - bien trop vite - la terre ferme, ses talons s’enfoncent dans le sable. Elle les enlève sans vraiment faire attention, presque par réflexe, les yeux fixés sur les vagues, fascinée. Depuis combien de temps n’était elle pas venue voir la mer ? Plusieurs années sûrement. Plusieurs années perdues entres les murs d’un cabinet d’avocat, ou à arpenter la jungle urbaine sans prendre le temps de regarder autour d’elle. On peut dire que Shabh chamboule tout, à nouveau. Quand cette dernière s’étire, un petit air satisfait planant sur son visage, Jill sourit encore, totalement automatiquement. De toute l’évidence de cette simplicité. Elle détache même son regard des flots pour la détailler, elle. « On dirait le pays imaginaire Wendy. » Cette phrase, pourtant si simple, lui serre la gorge et elle se bat contre des larmes qui voudraient lui monter aux yeux. Ce n’est pas la mer, le pays imaginaire. C’est elles. Ce qu’elles ressentent quand il ne reste plus qu’elles et rien d’autre. « Tu vois qu’il n’a pas disparu. », elle dit doucement mais c’est plus à elle-même qu’elle le dit. Après tout, c’est sûrement elle qui en a le plus douté.

Peter ne reste pas sérieux bien longtemps, s’avançant déjà à reculons dans l’eau, ce regard si familier dans les yeux. Ce regard qui a déjà fait faire bien des conneries à Wendy, quand elles étaient plus jeunes. « Alors Darling. La princesse a peur de s’mouiller ? » Jill rit un peu, lève les yeux au ciel. « Tu vas quand même pas faire ça ?! » Et son sourire grandit au fur et à mesure qu’elle comprend que Shabh n’abandonnera pas que, si, elle va bien faire ça. D’ailleurs, Shabh se met tout d’un coup à courir vers le large, en lui criant : « La dernière à l’eau a un gage ». Scotchée sur place, Jill met quelques secondes à additionner deux et deux et réaliser le défi qui vient de lui être lancé.

Plus sage qu’elle, elle prend le temps de s’extirper de sa robe - bien trop chère pour prendre l’eau - qu’elle abandonne derrière elle sur le sable. Pourtant déjà perdante, elle se met à courir aussi. « Peter attend ! », elle crie, tout en sachant très bien qu’elle ne la fera pas ralentir. C’est fou ce que c’est libérateur. Et ça la fait rire, d’imaginer toute la réprobation de son entourage. Elle accélère, tente le tout pour le tout pour rattraper son amie, ignorant la détresse de ses jambes qui n’ont pas l’habitude de courir si vite. Elle s’arrête tout au bord de l’eau quand c’est trop tard, quand il est évident qu’elle a perdu et que Shabh plonge toute habillée dans les vagues. Tant que Peter est sous l’eau, sa respiration s’arrête. Elle est presque inquiète qu’elle ait disparu pour toujours et qu’elle se réveille, toute seule en sous-vêtement au bord de l’eau, comme une somnambule en plein cauchemar. Mais non, c’est bien réel, elles sont bien là et Shabh ressort de l’eau en riant à gorgée déployée. Le bonheur comme une onde de choc que Jill sent se répercuter contre sa peau et qui lui arrache, à elle aussi, un nouveau rire sincère. « T’es folle, putain ! », elle lui dit, toujours riante alors qu’elle s’enfonce dans la mer à son tour pour la rejoindre. L’eau est froide mais elle s’en fout. Ça la réveille. Elle se sent vivante. Ah putain, ouais, qu’est-ce qu’elle se sent vivante.

Est-ce que c’est à cause du froid, est-ce qu’elle cherche de la chaleur ? Ou à cause de ce lien presque palpable qui les unis ? Quoi qu’il en soit, une fois qu’elle est dans l’eau, elle nage vers Shabh sans même se poser la question, voulant rejoindre ses bras comme si c’était la seule chose à faire. Elle sent son coeur battre dans ton son corps alors que, comme dans une chorégraphie parfaite, Shabh s’approche aussi d’elle, cherchant aussi son contact. Jill s’accroche à nouveau à elle, ses doigts se ferment sur ses vêtements humides et avant même qu’elle ne réalise ce qui est entrain de se passer, elle l’embrasse. Et c’est tout son corps qui se consume dans cette eau pourtant fraîche, cette eau qui les enveloppe et les coupe du monde réel. Elle se presse contre elle alors que le désir, enfoui depuis trop longtemps, s’échappe par la brèche qu’elles viennent de créer, incontrôlable. Rien d’innocent dans ce baiser quand sa langue cherche la sienne et que l’idée même de respirer devient secondaire. Tout d’un coup, elle serait prête à se noyer pour ne pas devoir le briser. Pour ne plus devoir la lâcher.

Merde, merde, merde. La force du refoulement, de tous les interdits, et même Ethan lui reviennent en force. Comme une claque violente en plein visage. Elle se détache, commence à nager à reculons pour s’éloigner, sans encore savoir si elle devrait fuir pour de bon, retourner sur le sable, reprendre un taxi vers chez elle. « Je sais pas ce qui m’a pris, je suis désolée… » Elle n’aurait pas du, c’est n’importe quoi. Ce n’est même pas comme si Peter était du genre à prendre les sentiments au sérieux, si ? Elle l’a bien vue, avec ses ex. Est-ce qu’elle vient de tout foutre en l’air ? Toute leur amitié ? Ethan ? Toute sa vie ? Oh putain.

Ce baiser est bien trop bon. Bien meilleur que tout ce qu’elle a connu avant. Jill ressent tous ces trucs cheesy qu’elle a toujours voulu ressentir : cette impression que les étoiles s’alignent, que c’est là qu’elle doit être et nul part ailleurs, que son âme est enfin entière. Elle réalise à quel point ses étreintes passées étaient fades. Elle réalise qu’elle ne savait pas ce que c’était réellement, un baiser, avant celui-là. Celui qu’elles échangent aujourd’hui, alors qu’elles sont adultes, bien plus puissant encore que celui de leur adolescence. Dans ses bras, elle se consume de désir. Tous les barrages semblent céder d’un coup.

Jusqu’à ce que quelque chose d’encore plus fort la fasse revenir à elle : la peur. Une peur tétanisante, fracassante. D’avoir ruiné leur amitié, d’avoir brisé le cœur d’Ethan, d’avoir déçu ses parents, et la moins avouable, la plus effrayante de toutes : celle de découvrir enfin ce que c’est l’amour, de s’être trompée toutes ses années. Impossible, non ? Elle qui pensait être amoureuse de l’amour, qui s’imaginait épanouie dans une relation fleur-bleue avec son fiancé, homme parfait et attentionné, elle devrait tout d’un coup admette qu’elle était à côté de la plaque depuis le début ? Qu’elle ne sait absolument pas ce que c’est de réellement aimer, avec le cœur ? Elle croit percevoir là une vulnérabilité infinie. Putain, c’est qu’il en faut du courage pour donner son cœur pour vrai. Et si ce n’était pas réciproque ? Et si elle mettait tout en danger, pour rien ?

Alors, elle s’éloigne. Elle s’excuse. Ça brûle trop fort, tout ça. Et par dessus tout, c’est trop interdit. Trop tard. Trop n’importe quoi. Elle doit dérailler. Bonne pour l’asile, bien sûr. Il est temps de reprendre contact avec la réalité. Se calmer. Respirer. Être une adulte responsable. « Tu pourras rayer l’expérience lesbienne de ta liste avant d’être casée à tout jamais. » Shabh est blessée. Jill le réalise d’un coup, trop concentrée sur elle-même jusque là. Le mot « casée » qui résonne dans sa tête parce qu’elle aurait très bien pour dire « cassée », non ? Cassée à tout jamais. C’est sûr qu’elle ne sortira pas indemne de ce baiser mais ce sont ceux d’Ethan qui sont cassés, qui ne veulent plus rien dire. Elle voudrait lui dire qu’elle a déjà embrassé d’autres filles en soirée, pour des défis. Elle voudrait lui dire que ça n’a jamais ressemblé à ça. Jamais. Mais, encore une fois, les mots restent coincés dans sa gorge trop serrée par l’émotion. Parce que, ça, c’est de l’amour, ça ne pourrait pas être autre chose.

Le visage de Shabh change du tout au tout. Il y a quelque chose de plus doux, peut-être de la compassion ? « Je suis désolée Jill, j’avais envie de jouer et j’ai un peu oublié que t’étais pas si libre, toi, maintenant. Nos conneries du passé qui m’rattrape faut croire. J'dois avoir envie d'me sentir jeune à nouveau, j'sais pas. Et c’est con parce que je me rends bien compte qu’on est simplement amie, t’avais raison, et qu’on est plutôt chouette en amie. Je ne vais pas gâcher ça simplement parce que j’suis en manque de cul. C’est plus simple d’être amie… » Jill en suffoque presque. Putain. Elle était à deux doigts de tout envoyer en l’air, tout chambouler dans sa vie, pour un jeu ?! Il y a des larmes, qu’elle a du mal à ravaler, qui se bousculent au bord de ses yeux. Un peu de colère, aussi. C’est pas juste d’en vouloir à Peter pour ça mais Wendy vient de passer si proche de tout lâcher pour elle. Alors qu’elle, elle est simplement en manque de cul ? « On est okay ? » Cette main tendue qu’elle ne peut pas laisser dans le vent trop longtemps. Il faut prendre une décision, vite. Mettre de l’ordre dans son cœur, vite. Alors, elle se raccroche à l’évidence : elle préfèrerait mourir que la perdre. Le choix s’impose donc à elle. « On est okay. » Voix peut-être un peu trop mécanique, sourire peut-être un peu trop triste.

Elle prend sa main dans la sienne pour sceller le pacte et c’est là qu’elle le voit, ce reflet dans ses yeux. Se pourrait-il que… ? Non, pas le genre de Peter. Peter n’aime pas, Peter joue. « Recommence pas. Je tiens trop à toi pour te laisser jouer avec nous. On est au dessus de tout ça. Bros before hoes, j’imagine. Ou quelque chose du style. » Elle rit un peu, luttant toujours contre des larmes qu’elle ne comprends plus, parce que ça ne lui ressemble pas de lâcher ce genre de phrases de connards. Bros before hoes, ça veut surtout dire que ce qu’elles sont à deux, c’est plus fort que ce qu’elles sont avec les hoes qui pourraient passer dans leur lit, homme ou femme. Trop facile aussi, de faire comme si tout ça n’était que de la faute de Peter, comme si elle n’avait pas, elle aussi, foncé vers elle avec le seul objectif de l’embrasser. « Bon, on sèche au soleil puis on rentre ? », elle propose avec un aplomb complètement feint. C’est surtout qu’elle ne peut pas retourner encore vers sa vie d’avant. Elle est encore trop chamboulée, elle a besoin de se recomposer, remettre le mensonge bien en place, elle aussi.

Elle s’assied dans le sable, regarde vers la mer. Mieux vaut ne pas la regarder, elle. Parce que Jill a envie de recommencer. Putain, elle ne peut penser qu’à ce baiser et son envie de recommencer. Elle se sent presque capable de lui dire que, finalement, elle veut bien jouer. Tromper Ethan une fois avant le mariage. Personne ne le saurait jamais et elle, peut-être qu’elle n’en aurait plus envie une fois qu’elle aurait cédé à ce désir. Non, non ce ne serait pas raisonnable. Putain, faites que le soleil grille tout ça pour toujours, elle pense en se couchant dans le sable, peau prête à brûler sous les rayons du soleil.