Double je(u). [Ava]

01/ La famille. Petite princesse adulée, chérie et aimée. Enfance sans un nuage à l'horizon, rien qu'un ciel dégagé  rempli de contes de fées. Unique petit être de la descendance Carlton, l'amour régnait en maître dans ton cocon familiale. Éduquée au respect et à la valeur de la vie, tu as toujours eu ce besoin en toi de protéger les tiens. Rires enfantins qui résonnaient dans les murs de votre petit nid douillet, l'innocence intacte jusqu'à ce que les années passent et que l'oisillon dû prendre son envol et se retrouver confronté aux difficultés d'un monde paré de merveilles et de dangers. Loin de te laisser démonter, tu as le tempérament fougueux et conquérant de ton père, la douceur et la grâce de ta mère. Et déjà, à l'époque, tu es restée ce voile mystérieux qu'on tente d'attraper, de déchiffrer sans jamais pouvoir s'en approcher ; cet oasis tropical qui miroite tant de promesses mais qui disparaît lorsque l'on aimerait y boire une gorgée. Carrière toute tracée, c'est dans les pas de ton mentor que tu t'es engagée. Celui qui t'a tout appris, celui qui t'a ouvert les portes de ton futur métier. Celui qui t'a appuyé et toujours poussé à te surpasser. Celui qui t'a permis d'obtenir le badge que tu portes fièrement à la ceinture. Un soutien inconditionnel qui t'a fait découvrir ta vocation. Protéger et servir. Celui qui a rendu tes parents fiers malgré leurs réticences à laisser leur fille s'embarquer dans une voie semée d'embûches et de pièges mortels. 02/ La tragédie. Comme la vie peut être cruelle. Dernière ligne droite et ton père pourrait laisser sa place pour une retraite bien méritée. L'Irlande fut sa tombe. Un voyage d'affaire anodin. Au rendez-vous : réunions barbantes et dîners fastueux. Rien qui ne laissait envisager l'issue mortelle de ton cher paternel. Au mauvais endroit, au mauvais moment, il l'était sûrement. Une balle perdue, qu'ils ont dit. Un dommage collatéral. Son collègue était la cible. Absent pour un prétexte bidon, il avait sûrement flairé l'entourloupe mais il s'était bien gardé de partager l'information à ses confrères. Résultat, la faucheuse est venue rendre des comptes à ton père. Destin tragique. Deuil publique d'un homme aussi respecté qu'authentique. Et c'est alors que le ciel gris de ton Angleterre autrefois si chaleureux, t'a paru bien hostile. La pluie plus brutale et glaçante. La nouvelle de sa disparition amena à beaucoup de questions. Sous-estime l'ennemi et attends-toi à ce qu'il te plante un couteau dans le dos à la première occasion. C'est ce que te martelait sans cesse Iskandar et il avait raison sauf que ton géniteur était juste assis sur le mauvais siège. Une regrettable perte, qu'ils ont commenté. La colère a tout embrasée sur son passage. Trop impliquée émotionnellement, ils t'ont qualifié. Les informations gardées jalousement, t'as été évincée mais tu t'es accrochée, t'as refusée que l'on t'écarte de la vérité. Tu as prouvée par a + b, en ramenant ce sale traître du bout de ton revolver, le doigt tremblant sur la gâchette, que tu étais plus que capable de les aider. Ils l'ont criblé de questions mais le murmure indistinct de son trépas a été leur seule réponse. La cible a été abattue comme prévu avec un peu de retard. Des Irlandais, qu'ils t'ont chuchoté. Une promotion, qu'ils t'ont proposé. L'Amérique. L'espionnage. Être sur le terrain, loin, loin de ton Angleterre. Et t'as pas hésité. Le même gang qui était responsable de la disparation de ton père, ceux qui, par inadvertance, avait ôté son souffle, laisser son âme s'envoler trop loin pour que tu puisses la rattraper. 03/ La vengeance. La rage dans les tripes, ton mentor croyait dur comme fer que tu ne perdrais pas le contrôle, que tu serais maître de tes émotions comme il te l'avait enseigné. Un art difficile et fastidieux, il n'avait pourtant de cesse de répéter que tu étais sa meilleure élève. Foutaises. T'as balayé, d'un revers de main, ses conseils et avertissements. Œil pour œil, dent pour dent. Tu voulais les annihiler. Et c'est avec cette unique pensée que tu t'es envolée. Malgré l'inquiétude grandissante de ton ex coéquipier, t'as foncée sans te retourner. L'Amérique, une destination qui fait rêver mais toi, t'avais pas le temps pour ces choses-là. Infiltrer et détruire l'ennemi, voilà ce qui tournait en boucle dans tête. La Ava insouciante et ivre de joie n'était plus, trop d'images qui ont défilé devant tes prunelles et qui ont terni l'idée que tu te faisais d'un monde trop parfait. C'est dans la rue que tu as appris que les méchants et gentils n'existaient que dans les contes qu'on te racontait le soir pour te protéger de la barbarie de la vie en te berçant de doux rêves histoire que tu puisses fermer les yeux. Rusée plus que de raison, tu as su rendre ta présence indispensable au bon déroulement de cet univers à l'opposé du tien. Espionne comme deuxième peau, tu imposes le respect dans tes rangs comme dans les leurs. Ton équipe se met à espérer avec plus d'ardeur que tu réussirais à les faire tomber mais c'est là que tu l'as rencontré et que depuis, tout c'est mélangé. 04/ L'accoutumance. Barman comme habit de nuit, agent secret comme habit de jour, tu perds pied dans ces deux destinées si proches, pourtant si opposées. Impossible de ne pas remarquer que tu manques  beaucoup de tes rapports journaliers. Impossible de s'apercevoir que tes mots sont moins tranchés, plus tempérés. Impossible de ne pas voir que cette immersion spontanée ne t'as pas changée. Rancœur inversée, incompréhension d'un système dans lequel tu avais une confiance aveugle et qui t'as trahie lorsqu'il t'a confondu avec les rejets de la société. Ceux qui n'entrent dans aucune catégories. Ceux qui ne sont pas assez discrets et connus pour être publiquement respectés. Ceux qui agissent dans l'ombre et qui ont les mains trop sales pour être saluées. Ceux qui n'ont pas le pedigree des hommes blancs qu'on dit bien pensant. Ceux à qui la famine vole des années de vie mais permet à  ceux qui en ont déjà trop dans les poches de se gaver toujours plus. Tu te surprends à huer tes consœurs, ceux que tu aurais, autrefois, défendus contre les préjugés et les attaques injustifiées. Mais quand il est impossible de réellement se positionner dans un camp comme dans l'autre, comment peut-on continuer à tolérer des injustices de plus en plus criantes au profit de l'un et au détriment de l'autre ? Tu t'es imprégnée de la rue et elle t'a complètement adoptée. Tu t'attaches beaucoup trop à ces gens que tu voulais réduire à néant. Tu fais fi de leurs travers et t'abreuves de la bonté que tu sens émaner en chacun d'eux. Le bar, cet endroit rocambolesque et bruyant se transforme lentement en un foyer étrangement familier. 05/ La confusion. Petite brebis égarée, se voit captiver par les opales hypnotisantes du loup tapi dans l'obscurité, attendant un faux pas pour mieux encercler sa proie. Beaucoup trop de pensées contradictoires te vrillent le crâne et t'amènes à re-considérer ta façon de pensée. Et dans tout ce micmac de sentiments, il y a ce prénom qui revient assez souvent : Cahal. Cinq lettres, à la sonorité chantante, qui mettent à mal ta loyauté envers ton badge. On t'avait pourtant averti que tu risquais d'être chamboulée par ce que tu vivrais. Une expérience aussi enrichissante que traumatisante. Et tu pensais avoir les épaules pour supporter le poids de cette double-vie que tu as de plus en plus de mal à concilier. Baignée dans un milieu aux multiples tentations, tu t'évertues à reconnaître les âmes perdues et le Closer en est pourvu. 6 mois que tu coules toujours plus profond dans un gouffre qui t'entraînes dans sa déchéance. C'est la première fois qu'un homme arrive à t'attraper. C'est à la fois effrayant et plaisant. Il ne s'est, pourtant, toujours rien passé. Pas de lèvres pressées de se retrouver scellées, pas de plaisirs charnels partagés. Rien que de la tentation et du désir. Et tu le sais qu'il est en train de craquer, et tu le sens que t'es à deux doigts de flancher. Seulement s'offrent à toi deux options : la fuite ou l'abandon.