DOUBLE ASSASSINAT / barbie

souvent, le parking est désert, on y entend le bruit des gouttes de pluie sur le bitume terne, vidé des carcasses sur roues qui se perdent parfois en s'y aventurant. les égarés s'échouent dans un coin, regardent les voleurs devant ces portes qu'ils tentent de crocheter en vain, les orbes trop défoncées pour viser la serrure. les chats de gouttière reniflent les aiguilles vides et tordues, unique trace des derniers survivants. les nuits où la lune épuisée ne daigne pas se lever, les lampadaires s'endorment eux aussi, signalent par leur silence que les démons peuvent sortir. derrière les fenêtres dépravées, les vermines s'animent, montent les escaliers de fer rouillé, et pénètrent l'antre du pandémonium. au-dessus de la foule amassée dont les perles de sueur se mélangent à l'adrénaline qui suinte des tapisseries ornant les murs, les néons échauffent leurs neurones. partout le chaos sème les graines de la décadence. seulement, là où les enchères se font, la voix forte et sereine s'élève au-dessus des acheteurs, les orbes détaillent la corruption qui débecte mais ne doutent jamais lorsqu'est venu le temps d'abattre le fameux marteau. sur le crâne ou sur une table, quelle différence, barbie. dans les rêves morbides, tu imagines les extincteurs automatiques les arroser d'alcool plutôt que d'une eau limpide. et la jouissance envahit l'âme qui se gorge de leur peur quand les flammes lèchent les premiers tissus imbibés. t'aimerais être celle qui le déclenche, cet incendie barbie, voir les fragiles phalanges se délaisser du poids plume de l'antique briquet. leurs hurlements comme symphonie classique, vibrant dans le coeur immobile. des limbes se détache une silhouette familière. la carrure masculine qui se meut trop souvent à ton goût devant la vieille façade. longtemps il a observé les rideaux creusés par les fourmillements des mites, les portes striées des coups de ces animaux enragés et la carcasse sur laquelle il lorgnait. les obsidiennes ne s'attardaient jamais sur lui, fantôme, cadavre ou étrange vagabond. il n'était rien de plus qu'un passant ordinaire, enfermé dans la banalité de son monde. alors quand il pénètre la salle étriquée qui renferme le comptoir de la réception, c'est un soupir agacé qui s'échappe. la carcasse ne bouge pas, les prunelles enracinées sur lui sans que les cils ne s'abattent. comme une statue figée face aux souches du temps éreintant, la tombe scellée ne laisse rien entrevoir, les lippes cousues ensemble par le fil de l'ennui. il déblatère bien trop, entoure ses palabres d'un amas de fioritures qui font l'effet d'une veule bourrasque. la certitude est sans appel, l'homme brasse une quantité astronomique d'air.
« si vous essayez de m'faire une blague ce n'est pas le moment, ni l'endroit. »
il n'y a pas d'invitation à rester, c'est même plutôt le contraire, les sourcils arqués sur le front, le souffle du désintérêt qui flotte vers son visage. c'est un test, barbie, quand le corps se relève à sa hauteur, qu'il contourne le comptoir pour scruter davantage le profil du réalisateur. les mains sillonnent les éclats du bois abîmé, les peaux mortes des cuticules rougies écument la poussière incrustée, attirant sur elles les pupilles distraites. tu ne lui fais pas directement face, barbie, laisses planer l'atmosphère du doute, de cette incertitude qui commence à rugir dans ses entrailles. mais la pulpe curieuse se pique sur l'écharde qu'il dépose. dans ses propos sincères, il intrigue la bête dérangée dans sa léthargie mais dont les crocs agressifs ne se dévoilent pas.
« vous voulez donc filmer ici. mais qu'est-ce que j'y gagne moi là-dedans ? »
t'es pas une grande adepte des films d'horreur, barbie, la culture est lacunaire même après toutes ces années à tenter de rattraper le vide amer avec lequel ils te nourrissaient. d'un mouvement de tête furtif, la caboche se relève vers lui, toujours greffée sur elle les traits de l'indifférence, même derrière le sourire qui s'esquisse sur les lèvres.
« enfin j'imagine que vous êtes prêt à mettre le prix nécessaire vu à quel point vous l'aimez. »
le dos se presse contre la planche lambrissée, les bras comme remparts lorsqu'ils se croisent sur la poitrine. tu lui accordes de ton temps, barbie, dans l'extrême clémence d'une patience inexistante. il arriverait peut-être à te décrocher un sourire, barbie, si ses idées sont aussi folles que le champ de bataille dans lequel ses boucles ébouriffées sont malmenées.          

ce serait à s'y méprendre que de déceler dans l'interlocuteur l'esquisse d'une étrange passion qui anime son myocarde. préférant à la danse libidineuse et moite l'ondulation des corps devant sa caméra, l'émotion débordante d'un regard capturé dans la boîte noire. il est de ceux dont les prunelles s'illuminent quand les acteurs disparaissent, qu'ils se perdent eux-même dans les méandres d'un corps abritant mille et une personnalités. et alors le coeur se suspend, au bord de la falaise, s'abandonne aux talents exaltés. parce que la grâce s'étend en un halo mirifique autour de ces silhouettes bercées par le simple faisceau d'une lumière tamisée. celle qui, dans sa ligne continue, expose les failles, ces crevasses vulnérables, des instincts de survie de ces personnages rythmés par les affres et l'effroi. derrière ses orbes plissées, malignes, l'homme abrite sûrement la souffrance d'une vie pour vouloir seulement vivre à travers l'angle d'une caméra trop lourde. une profonde tristesse exacerbée qu'il dissimule sous les effusions de faux sang dégoulinant de ses victimes le temps d'un plan. t'aurais aimé, barbie, avoir pu faire comme lui. noyer ton âme dans cette folie créatrice, construire ces univers horrifiques et morbides qui se rapprochent plus qu'ils ne prétendent s'éloigner des miasmes qui pullulent dans votre monde bien pourri. là où les monstres arpentent les rues les plus chics, distribuent leurs cartes de visite rangées dans l'armoire où les cadavres s'accumulent.  
« vous avez au moins le mérite de savoir ce que vous voulez, je vous l'accorde. »
perçantes sont les obsidiennes sur la façade toujours de marbre mais qui semble légèrement se détendre. l'oreille de la poupée est attentive aux litanies qui envoûtent l'avarice. pourtant il n'y a pas l'ombre d'un chèque qui s'invite sur le comptoir, ni même celui d'un stylo mâchouillé qui viendrait finaliser une transaction alléchante. volage, la marionnette s'éloigne, retourne derrière la réception pour y décrocher la liqueur salvatrice. que d'honneur, barbie, que de servir à l'homme un calice si précieux, l'ambroisie cachée dans le double fond d'un tiroir qui grimace à chaque mouvement brusque. les verres saisis du bout des phalanges asséchées se déposent en silence, leur fracas inaudible témoignant de la vacuité de leurs conditions d'existence. l'alcool brun se déverse dans chacun d'eux, avant que tu n'en pousses un dans sa direction. elle est muette, l'invitation hagarde, s'accompagne de ces sourcils qui ondulent et de ces orbites qui indiquent la démarche à suivre.
« je me fiche pas mal d'avoir de la visibilité. »
car cela ne ferait qu'exposer au grand jour ces histoires qui défrayent la chronique. de ce mythe qui chasse les puritains et attire les fanatiques. l'antre aux effluves lucifériennes qui se glissent près des narines, se nourrissent des cervelles fêlées et désillusionnées. celles-là même qui attirent les vautours en manquent de carcasses à dépouiller. et elles ne sont pas faite de plastique ou de silicone maquillés, simplement de cette chair et de ces os qui démangent. la pulpe dont les squelettes veulent se débarrasser, imbiber d'éthanol jusqu'à la faire flamber. t'en fais sûrement partie, barbie, de cette ribambelles d'épaves échouées sur la rive, rejetée par la mer et ses vagues délivrantes.
« c'est quoi c'projet alors ? que voyez-vous de plus que je ne vois déjà ? »
la langue n'agresse pas, trahit simplement cette pointe d'intérêt qui grandit. barbie, la garde s'affaisse, s'accorde un unique instant de pause, détaché d'un quotidien harassant où le téléphone ne sonne jamais mais les plaintes et les emmerdes traversent les murs aussi fins qu'une feuille de papier translucide. t'en savoures chaque seconde, de ce jeu qui se déroule et qui t'amuse. celui qui est de percer à jour, les mystères de cette âme qui fait partie des rares à être encore lucides lorsqu'elles osent pénétrer l'autre monde.