if tomorrow never comes - Suile

Comme j'aimerais lui faire comprendre ce que je ressens. Tout ce tourbillon d'émotions qui gravitent autour de sa personne constamment. Pouvoir enfin vider mon sac et libérer mon coeur trop plein de ce fardeau. Mais comment le pourrais-je sans risquer de le perdre à mon tour ? Il est tout ce qui me reste. Je ne peux pas faire n'importe quoi. Il y a bien trop de chose en jeu. Notre amitié d'abord. Puis ce lien familial que l'on tisse chaque jour un peu plus avec les enfants. Tout ça est bien trop important à mes yeux pour que je fasse une erreur. Ça me brise le coeur de le voir aussi désemparé à cause de moi et de mon silence. Je m'en veux tellement de lui ajouter des soucis supplémentaires. J'aimerais pouvoir verrouiller mes sentiments et les enfermer quelque part à double tour pour ne plus y penser. Que ça n'ait plus aucune incidence sur ma vie. Je le vois qui cogite. A chercher ce qu'il a pu mal faire sans doute. Il est totalement innocent pourtant. C'est moi qui part totalement en vrille. Et tel que je le connais, si je lui fais part de mes problèmes, il va vouloir m'aider. A juste titre puisque je l'aide moi même au quotidien. Sauf qu'il ne ferait qu'envenimer les choses cette fois. J'ai envie de me tirer les cheveux et de crier ma frustration face à cette situation impossible.

C'est encore plus mal que j'ouvre la porte de son appartement. J'ai le coeur dans les talons, le ventre noué. Je pose ma main sur l'encadrement et m'arrête une dernière fois avant de me tourner vers lui. « Bonne nuit Suileabhan. » Je n'ai pas l'habitude de l'appeler par son prénom complet. Il va pourtant bien falloir que je m'y fasse. Lui n'a jamais utilisé de diminutif pour moi. Cette marque d'affection est une première et je n'arrive toujours pas trop à en comprendre le sens. En attendant, je dois protéger mon coeur déjà au plus mal. Je dois prendre mes distances, jouer la sécurité pour ne pas flancher. Peu importe ce que je fais, je vais le blesser avec je le sais. Mais entre le perturber une soirée à cause de mon humeur plus sombre que d'habitude et créer un réel faussé entre nous, mon choix est vite fait. Je ferme la porte derrière moi, retrouvant le silence du couloir. Je lâche un soupir mêlé à un sanglot. Mais je retiens mes larmes, si possible au moins jusqu'à ce que j'atteigne ma voiture. L'étau qui me comprime le coeur se resserre à chaque pas que je fais et je suis obligée de m'arrêter en haut de l'escalier, me tenant au mur pour reprendre mon souffle. « Respire Amara.  » je me répète doucement en prenant de grandes bouffées d'air. Je dois partir pour qu'il ne m'entende pas mais mes pieds refusent d'obtempérer. Je m'assieds sur la plus haute marche et prends ma tête entre mes mains, mes coudes sur mes genoux. Bordel pourquoi maintenant ? J'ai plutôt bien caché mon jeu jusqu'à présent. Pourquoi ce soir est différent ? Tout ça parce que je l'ai imaginé avec une autre ? C'est ça l'élément déclencheur ? Je ne suis pas sortie de l'auberge si c'est le cas. Je laisse les larmes couler, c'est trop tard pour les retenir de toute façon. Je me fais discrète pour qu'il n'entende rien, mais j'ai besoin d'évacuer ce trop plein avant de rentrer. Je me sens si faible. Si seule. J'ai froid, j'ai des frissons. Et ces sanglots qui deviennent plus forts chaque seconde. Comme pour mieux me rappeler que je ne peux pas lutter. Que c'est déjà trop tard pour moi.

Pando

Sa venue alors que je suis au plus mal est prévisible. Je n'ai pas lâcher les armes au meilleur endroit. En craquant au bout du couloir de son appartement, je sais qu'il peut entendre. Mais ça ne m'empêche pas de m'écrouler et de rester plantée là comme une idiote. Je suis dans ma bulle, totalement noyée par mes larmes et mes regrets. J'entends à peine sa voix quand il demande s'il peut se joindre à moi. Je me contente d'hocher la tête pour répondre. Je n'arrive pas à ouvrir les yeux et encore moins à le regarder. Je déteste qu'il me voit dans cet état pitoyable. J'essaye moi aussi de donner le change depuis trop longtemps. Je renifle, j'essuie mes yeux embués mais rien n'y fait. Ça continue de couler, encore et encore. Suile reste assis à côté de moi sans un mot. Sans me toucher non plus. Comme s'il a peur d'aggraver les choses en prenant cette initiative. Vu ma réaction un peu plus tôt, je ne peux pas lui en vouloir. Je ne sais même pas si j'apprécierai qu'il me prenne dans ses bras. Rectification. Bien sûr que j'aimerais qu'il me prenne dans ses bras. Mais pas pour constamment me réconforter. J'en ai marre qu'il me considère comme une petite chose fragile.

Je ne fais rien pour lui montrer le contraire en même temps. Je souris autant que possible, je me montre enjouée avec ses enfants, presque sereine non stop. Et quand ça ne va plus, je n'arrive plus à cacher la vérité. Comme ce soir. Mon humeur est passée du soleil à l'orage en deux secondes. Je tâtonne de la main pour trouver des mouchoirs dans mon sac et tenter de calmer le flot de larmes qui poursuit sa route sur mes joues. Je me sens ridicule de pleurer ainsi dans les escaliers. Encore plus maintenant que j'ai un spectateur. Je n'arrive toujours pas à parler. Ma gorge est nouée, tellement serrée que j'ai même du mal à respirer. Je lève enfin la tête et essuie mes joues avec le mouchoir avant de refaire des longues séries de respiration. C'est sensé calmer. Ça marche la plupart du temps. Mais là c'est plus compliqué. Je plante mon regard sur le mur d'en face, me concentre sur un point fixe. J'oublie presque la présence de mon beau frère. Mon esprit en tant cas. Mon coeur lui, a senti sa présence dès le début et se remet à battre plus vite. C'est discret, c'est caché avec le reste de mes symptômes mais c'est là. Cet amour impossible que je m’évertue à renier. « Je suis désolée. »

Je ne reconnais pas ma voix. Elle est rauque, tellement cassée par mes pleurs qu'elle pourrait très bien faire l'affaire pour la fameuse imitation du méchant. Si je n'étais pas dans un tel état de nerfs, j'en rirais. A la place, je balance mes cheveux en arrière et soupire profondément. Les larmes se calment enfin. Ce n'est pas entièrement terminé mais c'est un mieux. J'arrive à respirer et à parler. « Je voulais pas que tu m'vois comme ça. » que j'ajoute pour expliquer pourquoi je m'excuse. Je ne sais pas s'il va croire que tout ça a un rapport avec lui ou non. J'aimerais qu'il pense le contraire. Ou que je n'ai pas besoin de donner d'explications du tout. J'en ai pas la force de toute manière. Encore moins le courage. Je rejoins mes mains sur mes genoux et je joues avec les différentes bagues que je porte aux doigts. La dernière fois que j'ai fait ça, Suile avait posé sa main sur les miennes pour calmer mes tremblements. Va-t-il faire de même cette fois ? Ou se contentera-t-il d'être une présence réconfortante ?

Pando

J'ai beaucoup de mal à me calmer. Je pensais même que sa présence allait empirer les choses puisque c'est justement lui que je fuyais. Mais au final ça va. Sa venue a en moins eu l'effet de me sortir de ma transe pour que je reprenne doucement mes esprits. Très doucement certes, mais tout de même. Je ne dis pas que je suis suffisamment en forme pour me lever, marcher et prendre la voiture pour rentrer chez moi. Cette crise de larmes m'a totalement lessivée. Je suis émotionnellement vidée. Comme une coquille vide. Tout le surplus s'est échappé et mes batteries sont à plat. Au point que j'ai beaucoup de mal à ouvrir les yeux. Ils me piquent à cause des pleurs, mais si je commence à les frotter, je vais encore plus étaler mon mascara et ressembler à un panda. Alors j'attends, je reste patiente et je me concentre sur ma respiration. Je préfère me focaliser là dessus plutôt que sur Suile. Et risquer une nouvelle vague de larmes.

J'arrive enfin à parler et les premiers mots que je sors sont des excuses. J'ai l'impression de lui en faire beaucoup ces derniers temps. En même temps j'ai l'impression de constamment merder. Je ne contrôle plus mes émotions ni ce que je dis. Je ne parle déjà pas beaucoup en règle générale mais quand je commence à me laisser aller, ça part en vrille. J'exagère peut-être, sans doute même, mais c'est ce que je ressens en ce moment. Je fronce les sourcils quand il me propose un marché. Je ne sais pas du tout ce qu'il va dire alors je lève les yeux vers lui, juste deux secondes avant de les reposer sur le mur d'en face. Il me faut du temps pour répondre à sa suggestion, pour en comprendre les implications. Dire quand ça ne va pas semble assez facile en soi. Du moment que je ne suis pas obligée d'en dire plus. Par contre, quand il me demande d'être honnête avec lui par rapport à son comportement, je n'arrive tout simplement pas à me décider. Suis-je capable d'être aussi franche avec lui ? Je ne veux pas devenir une de ces personnes qui a quelque chose à dire à propos de tout. Je n'ai pas le droit de le juger, ni lui ni ses choix.

« J'aimerais te dire oui... » que je commence en regardant à nouveau mes doigts. Si seulement c'était aussi facile. Est-ce que tout le monde a ce genre de difficulté ? Ou alors nous étions les deux seuls handicapés des émotions. « J'ai envie d'essayer. Vraiment. » Je suis très sérieuse quand je dis ça mais je ne peux pas non plus lui faire une promesse que je n'arriverais pas à tenir. J'essuie une nouvelle fois mes joues, les rendant sèches pour la première fois depuis de longues minutes. Le fait de discuter avec lui a stoppé mes larmes et j'arrive doucement à récupérer ma voix normale. Je dois plusieurs fois tousser pour y arriver, ça me permet de prendre mon temps et trouver les mots adéquates. « Mais jamais je ne me permettrais de critiquer ce que tu dis ou fais. Je suis mal placée pour ça. » Mes prunelles cherchent les siennes. Je tente de comprendre ce qu'il attend exactement de moi avec cette demande. Je ne pense pas avoir été malhonnête avec lui. En dehors de mes sentiments refoulés, je donne mon avis quand ça me semble important. Mais je n'insiste jamais, je ne me montre pas intrusive non plus. Ce n'est pas dans mon caractère. Alors je ne sais pas trop quoi lui dire de plus, sans m'avancer sur un terrain qui me semble inconnu.

Pando

Bien sûr que ça me touche qu'il tente de me consoler et surtout de me faire me sentir mieux. Qu'il veuille qu'on passe ce marché prouve bien que mon avis compte pour lui. J'en ai jamais vraiment douté, puisque je me suis toujours contentée de donner mon opinion dans des sujets que je connaissais. Je ne lui reproche pas son deuil qui s'allonge, ni sa personnalité peu loquace. Ça n'apporterait rien que je le fasse, puisque c'est ce qui fait qu'il est lui. C'est comme ça que je l'aime, avec ses qualités et ses défauts. Je comprends qu'il veuille que je me confie plus à mon tour, parce qu'il sent bien que quelque chose cloche ce soir. Je suis encore trop à fleur de peau pour me détendre mais je sais que si je ne fais rien, je risque de perdre ce truc, cette complicité ou que sais-je le nom que ça peut porter, qui se tisse entre nous. « J'ai rien à te reprocher Suile, je t'assure. » j'essaye même de sourire pour ponctuer mes dires, histoire que ce soit plus sincère.

Je comprends quelques secondes plus tard le sous-entendu de sa dernière phrase. Croit-il que je me suis sentie mal à l'aise quand il m'a pris dans ses bras ? Ce n'est pas totalement faux mais c'est surtout la surprise qui m'a fait me tendre au lieu de répondre pleinement à l'étreinte. Puis son parfum m'a perturbée, j'en ai assez facilement perdu le fil de mes pensées. S'il avait fait durer la chose, je ne sais pas du tout ce que j'aurais fait. « En fait, c'est tout l'inverse. » Je me redresse un peu, les larmes bien évaporées cette fois. Je ne me vois pas m'épancher d'avantage à ce sujet, surtout pas dans un escalier comme ça. Même si je me sens moins gênée que dans son appartement. C'est étrange d'ailleurs. Mais j'ai  peur que Lily nous écoute ou que mes paroles soient mal interprétées. J'en sais rien. Je suis totalement perdue en réalité.

Mes gestes le prouvent d'ailleurs. Je triture mes mains, je joue avec mes cheveux, je mordille ma lèvre, je pose le regard un peu partout sans jamais m'arrêter jusqu'au sien. Ça me fait gagner un peu de temps encore une fois, pour rassembler mon courage pour ce que je m'apprête  à lui dire. « J'apprécie tout chez toi. C'est vrai, t'es un modèle de force et de contrôle. T'es un père et un ami formidable. » je m'arrête là, pas du tout habituée à lui faire autant de compliments d'un coup. Je suis sincère tout le long même si c'est délicat pour moi de dire tout ça. J'ai peur qu'à chaque mot que je prononce, l'amour que j'éprouve pour lui transparaisse. Je déglutis, j'hésite à poursuivre mais si je ne le fais pas, il ne saura jamais ce que je pense vraiment. Alors je finis ma déclaration « Ta présence m'aide à aller mieux, autant que la mienne pour toi, je l'espère. J'ai apprécié que tu me prennes dans tes bras, j'ai juste été.. un peu surprise sur le coup. C'est nouveau. Ça me plaît. » Je me sens bête, à me mettre à nue comme ça dans le couloir. J'espère ne pas en avoir trop dit, qu'il ne se mette pas à avoir des soupçons sur mes sentiments. En même temps, j'aimerais qu'il prenne ça comme une invitation. A recommencer, à ne surtout pas se retenir. J'en souffrirais forcément à un moment donné mais pour l'instant, c'est le bien que ça peut me procurer qui me fait poser ma main sur les siennes. Délicatement. Sans forcer.

Pando

Je me sens d'un coup apaisée de lui avoir dit tout ça. C'est encore loin de tout ce que j'aimerais lui avouer mais ça permet au moins de le rassurer un peu. Je n'aime pas le savoir inquiet de ce que je peux penser de lui. Il a déjà assez de soucis comme ça, je ne veux pas lui en rajouter pour rien. Je ne lui dis pas clairement pourquoi je suis mal ce soir mais au moins, j'espère avoir calmer sa soudaine angoisse d'être fautif. C'est drôle quand on y pense. On passe notre temps à se faire du soucis pour l'autre et à croire qu'on est responsable s'il ne va pas bien. Notre relation a beaucoup évolué cette dernière année pour qu'on en soit arrivé à ce point. J'espère que ça restera ainsi, il est devenu encore plus important pour moi. Pas seulement à cause de mes sentiments pour lui, c'est sûr que ça joue, mais il est un pilier dans ma vie, un élément de stabilité sur lequel je peux me raccrocher quand j'en ressens le besoin. C'est simple, je ne peux pas vivre sans lui près de moi. Que ce soit en tant que beau-frère, ami ou autre chose, peu importe. Du moment que je peux profiter de sa présence, je suis rassurée.

Jusqu'à un certain point cela dit. Je sais bien qu'à force de jouer avec le feu, de tirer un peu plus sur la corde, je risque de me faire du mal. Mais c'est plus fort que moi. Je suis trop attirée par lui pour résister. J'ai voulu fuir quelques minutes plus tôt et voyez ce que ça m'a apporté ? Je me suis sentie comme une vraie merde, perdue et désemparée au point d'en faire presque un malaise. Je suis foutue, je le sais bien. C'est ce que je devrais me dire quand il répond à mon geste de tendresse et qu'il tourne sa main pour la plaquer contre la mienne. Mon coeur loupe un battement à cette sensation si paisible et douloureuse à la fois. Mais cette fois j'arrive à ne rien montrer, je ne veux pas qu'il arrête toutes ces marques d'affection. Elles sont rares et précieuses et s'il me les retire, je vais mal le vivre. « T'as pas besoin de faire grand chose pour m'aider. T'es là, c'est déjà beaucoup. » C'est tellement vrai en plus. Lui qui n'est pas bavard, n'est pas du genre à savoir comment faire pour gérer les situations compliquées de peur de mal faire, juste sa présence physique et son soutien font beaucoup.

Je souris à sa proposition suivante qui, je le sais, est faite pour me mettre plus à l'aise. Mais c'est tellement ridicule que ça me fait même un peu rire, ce qui détend automatiquement l'atmosphère. « Pitié, non ! C'est quand c'est spontané que c'est le plus sincère. » S'il se met à me demander l'autorisation de me toucher à chaque fois, je n'en retirerai plus aucune satisfaction. J'aime quand il prend ce genre d'initiative et que ça me surprend. Ce soir n'est pas un bon exemple, j'essayais de le fuir dans l'espoir de fuir également les sentiments que j'ai pour lui. Vu l'échec cuisant de la manœuvre, autant changer de tactique. « Et moi ? » que je demande ensuite en croisant son regard, soudain de nouveau très sérieuse. « Est-ce que ça te dérange ? Que je te touche ? » Je désigne nos doigts d'un signe de la tête. S'il a répondu à ma caresse c'est qu'il n'est pas gêné mais je veux quand même clarifié ce point pour savoir si moi aussi je peux le prendre dans mes bras quand j'en ressens le besoin ou l'envie.

Pando