Y’a jamais eu que du hasard pas vrai ?
Y’a jamais eu qu’un loto d’vie, où t’as jamais eu les bons numéros.
« Eh petit ? T’es tout seul ? Sont où tes parents ? »
T’avais une sale gueule. Gamin d’trottoir, ça faisait combien de jour que t’étais là ? T’aurais pu crever mille fois. Un pédophile aurait pu passer par là. Et hop. Plus de gamin. Débarrassé. T’avais une mère qui se plantait les veines, qui partait souvent dans les nuages, qui se cassait la gueule dans les couloirs à force d’être trop high, une mère qui t’tapait parce que c’est toi qui avait volé le sucre pas vrai ?
« rends moi l’sucre connard ! », tu lui as donné le mauvais sucre, tu t’es pris une gifle, t’as pleuré et papa il a dit
« ferme ta gueule ». à peine né que t’avais mal joué, mal lancé les dès, que la partie était terminée. T’allais crever. Personne s’occuper de toi, même le chien mangeait mieux que toi, et maman elle gueulait, elle se piquait, puis elle dormait. Et papa, il payait, il préparait, et il sniffait. Tu pensais que c’était normal. Un jour t’as voulu essayer, pour faire comme papa et maman, t’aurais pu crever, peut-être pour la centième fois, mais l’papa il t’a propulsé en arrière.
« Touche pas à ça toi », en même temps c’était trop cher pour partager, l’môme avait qu’à s’envoyer en l’air avec d’autres drogués. Juste ça.
T’étais qu’un gamin encombrant.
T’étais qu’un gamin arrogant.
Six ans que tu les faisais chier avec tes bras tendus vers eux, avec tes larmes, avec tes paroles mâchouillées, ton mimétisme à deux balles,
combien de fois tu as failli crever déjà ? Maman elle était high, papa était en manque, t’as fait pipi dans ta culotte, ils en ont eu marre, il t’a trainé jusqu’à la voiture,
« vas l’jeter dans une benne ! » qu’elle a crié l’autre, parce que t’étais qu’un jouet aux piles trop vivantes, et eux ils voulaient simplement pas de cette responsabilité là. T’as pas compris au début. Tu regardais le paysage défiler, et papa énervé à tes côtés.
« Sors d’la bagnole », tu l’as regardé,
« sors d’la bagnole la p’tain d’ta race ! », alors tu l’as fait. Et puis il est parti.
T’as relancé les dès.
« Hey, tu vas bien ? On ne te veut pas de mal, petit, tu as un nom ? »
Oui, tu en avais un : « connard ».
à l’orphelinat ils t’ont emmené.
T’as pas compris.
Tu les a mal regardé.
Orphelin.
C’est ce que tu étais devenu.
Jared Williams.
C’est qui celui-là ?
Apparement c’était toi.
Y’a un gamin qu’essaie de grimper les murs, à se couper avec les briques, y’a un gamin qu’essaie d’atteindre le toit, peut-être même les étoiles s’il trébuche bien. Il se casse la cheville, il se casse le bras. Puis il recommence. Toujours le même. Il écoute pas en cours. Il gigote, il crie, il pleure quand des parents viennent. Et puis il lit. Il lit beaucoup ce gosse. Qu’est-ce qu’il découvre entre les pages ? Il écrit aussi. Dans une langue étrangère. C’est du français. Pourquoi ? Et puis des nouveaux parents viennent le chercher, il gigote, il crie, il pleure. Il gagne et il retourne lire. Qu’est-ce que tu fous Jared ?
« je veu pa de parent. Il aiment pas corectement. Et mes ami, il partent tous et moi je me sen seul j'esai de monté sur le toi, y a un chat la ba.
Maman et papa son toujour pas la, je veu pa les autre mais ils comprenne pa
-Jared »
T’es bizarre comme garçon.
« Aujourdui y a eu de parent qui son venu, et j’ai tapé la dame et il m’ont puni. Mais je m’en fous. Tu sais, avec Mehdi on a fait la promesse de jamais se quitté, il a dit que j’étai comme son frere, qu'il ma compris, il veut monter sur le toi avec moi.
Mehdi est parti.
Je le déteste.
- Jared »
Tu fugues maintenant. T’as dépassé la dizaine, t’as pas eu de cadeau, tu t’en fous, tu veux juste courir. Alors tu cours. Vers la forêt. Et puis vers la ville après. T’as failli crever dix mille fois
mais t’as toujours relancé les dès. « Ils viendront jamais. Je le sais. Et je veux pas de toute façon, je veux plus. J’aime pas les parent. J’aime pas l’orphelinat. Sa craint. Ils me comprennent pas, de toute façon qui ma dejà compris ?
-Jared de la Rose »
T’aimes la poésie. Et de la Rose, c’est plus joli. C’est toi qui l’a choisi. T’apprends le français, en lisant la nuit avec Musset, en ayant mal avec Baudelaire, en t’isolant avec Lamartine. Tu tombes dedans, en plein dans ces vers, on t’perd,
on t’perd… Voilà que tu parles encore moins qu’avant. Voilà que t’es plus turbulent.
« Je marche dans l’incompréhension,
Et dans mes poches, les désillusions
D’un môme qu’on a oublié
Qui passe ses journées à s’ennuyer.
Je suis peut-être comme tout ceux-là
A côté de la société, en marginal,
Mais quand il faut choisir entre la peste et le choléra,
Moi je préfère jouer l’infernal.
- de la rose »
T’étais en ville ce soir-là. Ce soir où tu as rencontré
l’autre. Il était beau avec ces tatouages, son regard glacé, son air de voyou, peut-être qu’il sortait de prison qui sait, il était plus vieux que toi. Beaucoup plus vieux que toi. Un bar, deux tabourets. Il était avec son verre de whisky. Toi t’avais ton livre de poésie, ton livre à toi aussi. T’écrivais, tu recopiais, tu raturais, t’inventais. Et lui, il t’observait.
Il t’a vu, tu l’as vu. Et le soir suivant tu es revenu.
« Ô muse ! Que m'importe ou la mort ou la vie ?
J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ;
J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ;
J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie
Ruisseler une source impossible à tarir. » c’est ce que tu lisais quand au bout de trois semaines, il est venu t’accoster.
« Tu lis quoi ? », « Les nuits, de Musset », tu jouais. Tu jouais tous les soirs l’enfant innocent, intouchable, celui qui vient jouer dans la cour des grands, qui pense gagner la partie sans connaître les règles. Tu jouais avec lui. Avec Alwin. Tu pensais gagné quand il venait vers toi, contre toi, tu pensais gagner quand il lisait avec toi cette langue qu’il ne connaissait pas. Il t’a embrassé. T’es tombé amoureux. Il est tombé amoureux. Tu pensais gagner.
… T’as pas relancé les dès. C’était pas un taulard non. C’était ni un voyou. Mais sûrement un fou.
« Vous l’avez vu revenir ? Est-ce que vous l’avez vu revenir ?! »
C’est vrai un matin, tu n’es jamais revenu de l’orphelinat. On ne parlait plus que de toi, on s’inquiétait pour toi, t’étais peut-être chiant, mais t’étais pas méchant, on t’aimait bien dans l’fond. On t’a cherché de partout, c’était le bordel, c’était le chaos. On a attendu le lendemain. La semaine suivante. Mais t’es jamais revenu.
Y’avait ta photo.
Jared Williams
13 ans
brun, yeux bleus
Porté disparu.
« Bouge pas », tu bougeais pas. T’étais nu mais t’aimais bien. Ouais… Enfin tu crois. Y’avait que lui et toi. T’aimais bien lui plaire, et lui il te dessinait. C’était le peintre et son poète, c’était le peintre et sa muse. Il posait le pinceau, il te souriait, il venait t’embrasser, te caresser. T’aimais bien toi. Il était doux, et tu l’aimais. Pour sûr que tu l’aimais.
« Qu’est-ce que tu dis d’Art ? Ça te va bien… Tu seras mon Art. T’es d’accord ? », « oui » t’as souri, t’as hoché la tête, tu l’avais pas choisi ce prénom-là aussi. Mais il te faisait croire que si. Il était tellement fort pour jouer avec toi. Toi, t’avais minablement perdu.
Art. « Bouge pas Art »
« T’es beau Art »
« T’es magnifique Art »
« Tu es parfait sur mes toiles Art »
« Je t’aime Art »« Bouge pas Art, sinon tu vas avoir encore plus mal »
Tu sens ?
Tu sens cette lame sur ta peau, venir la mettre en lambeau ? découper ta chaire pour un peu de couleur sur cette porcelaine, cette blancheur pure d’enfant à peine grand. Tu sens cette lame revenir à la charge, n’évitant que ton visage ? Tes bras, ton ventre, ta poitrine, tes cuisses, ton dos. Le long de ton échine. Il n’oublie aucun endroit, c’est pour sa toile.
Tu vois ?
Tu vois cette lame chauffer au dessus du gaz ? Tu la vois venir brûler ta peau dans des coupures ou des caresses ? Tu vois les traces sur ta peau ? L’intérieur des bras pour que tu ne puisses plus les bouger, derrière les genoux pour que tu ne puisses plus marcher.
Tu entends ?
Tu l’entends ?
« Tu t’es vu ? Tu ferais peur si tu te promènerais dans les rues, personne ne te voudrait, qu’un jouet cassé, tu dégoûterais les hommes, tu effrayerais les femmes. Personne ne te trouverait beau. à part moi. Moi je t’aime, et moi je te trouve beau Art. C’est pour ça que tu dois rester avec moi » Non, tu sens plus, tu vois plus, tu entends plus. T’as tellement mal… Que tu ressens plus rien.
Est-ce... Oh... Est-ce
Est-ce qu'il a raison ?
Il a surement raison. T'es moche. T'es hideux.
Tu voulais te rebeller. Tu voulais protester. Mais ça ne faisait que plus mal encore. Et ton corps il n'en pouvait plus. Ton corps qui mourait d'impuissance.
Alors t’as arrêté. Tu t'es effondré. Et t’as fait ce qu’il te demandait. Tu l’as aimé.
Puis un jour, t'y as même cru.
Tu l’as aimé après ça. Après ces quelques mots. Ces quelques mots que t’as écris avant de mourir.
« J’ai mal quand je bouge. J’ai le poignet gauche attaché au lit, alors j’essais d’écrire avec la main droite. Il ne m’empêchera pas d’écrire.
… je l’aime. Ça me fait crever. Je suis épuisé. Et il est jaloux Alwin. Je l’ai su il y a quelques jours. Peut-être une semaine. Peut-être hier ? Je viens à peine de me réveiller. J’ai mal quand je bouge les jambes. J’ai pas la force d’écrire en rime, mais tu dois juste te souvenir que ça fait mal. Atrocement mal. Personne ne pourra le comprendre. Surtout pas les femmes. Tu dois juste te souvenir que ça fait mal. Horriblement mal. Et que les gens ne voudront sûrement pas savoir.
Tu sais ce qu’il faudra faire pas vrai ? Je compte sur toi. Même si ça doit prendre des années. Peut-être que ça ne te soulagera pas, peut-être que tu t'en voudras. Mais fais-le. Pour moi. Jared.
Il a dit que je le méritais… Moi, je ne pense pas.
Personne ne mérite ça.
- de la Rose »
Tu parlais pas de tes cicatrices. Ni de tes brûlures.
T’es fracassé. Complètement fracassé. T’as le corps écorché, la cervelle explosée. Jared ? Jared il est mort. Y’a plus que cet Art. Sage. Docile. Pantin.
Réduit à un putain d’art.
L'art de l'horreur.
T’as 19 ans.
Joyeux anniversaire. C’était y’a 7 mois, le 2 décembre. Il te l’a pas souhaité. Peut-être parce que tu lui as jamais dit la date, peut-être parce que vous êtes deux à vous en foutre maintenant plus la terre entière. Tu l’attends sagement. Il te manque, tu veux qu’il soit là avec toi. Ton amour. Tu l’aimes. Tu l’as pas assez marqué. Tu prends ton carnet et tu le gribouilles au coin d’une page. Tu l’attends. « Je l’aime, je l’aime, je l’aime ». T’essaies peut-être de convaincre quelqu’un. Il est peut-être minuit passée, les minutes sont plus longues que d’habitude… Qu’est-ce qu’il fait ? T’attends, les yeux sur la porte, t’attends qu’il entre, peut-être qu’il est derrière la poignée. Mais les secondes passent et il n’a toujours pas débarqué.
Ça vrille peut-être dans ton cerveau à ce moment-là. Tu t’inquiètes pour lui. 10 secondes peut-être 20. Et puis après plus rien.
Survie.
Rien que de la survie.
à t’en blesser le poignet, à t’en déchirer la peau. Tu saignes, mais t’as pas mal. Les secondes défilent, et tu survies. Rien que de la survie.
Art… Art, tu… tu as réussi ?
T’as relancé les dès ?
Cette fois... t’as gagné ?
Entre deux poèmes parfois tu raturais,
et peut-être que c'est plus beau que tes rimes,
quand l'on s'approche de plus près.
« C’est dans le Bronx que je suis tombé. On me tape beaucoup. Mais c’est plus supportable qu’Alwin. Alors ce n’est pas grave. Je laisse faire.
Il y a Deirdre qui m’a hébergé. Elle est sympa. Je travaille à son garage. Avec Donald, Ario et Al. Ils me font un peu peur. Surtout Donald. Je ne parle pas trop avec Al. On se dévisage. Je suppose que c’est notre façon de se dire bonjour. »
« J’ai rencontré Orri. Je lui donne des cours de français, j’avoue qu’il me plait. Je commence à parler avec Al. On prend la pause ensemble. Il est sympa. »
« J’ai embrassé Orri. Alwin le tuerait avant de me tuer. J’ai fauté. Je ne sais pas quoi faire mais Orri… Je pense que je suis amoureux de lui. Enfin je ne sais pas… Alwin me manque. Et puis il y a Jacek aussi. J’ai commencé à travailler pour Al. Je vends de la drogue. Je pense que je me perds. Une raison de plus pour qu’on me frappe. J’en ai marre. Alwin avait raison. Sans lui, je ne suis rien. »
« Orri est parti. Alwin avait raison. Al m’a donné son flingue pour que je me protège. Il m’a appris à m’en servir sur le toit de l’immeuble. C’était sympa. Al est vraiment sympa. »
« J’ai rencontré Gal. Il est beau. Peut-être que je lui plais ? Alwin me manque un peu. »
« Gal est beau mais il n’est jamais là. Jacek au moins, il s’occupe de moi. Al m’a invité à sa soirée, c’était le jour de mon anniversaire, on a bu beaucoup. J’aime bien boire avec lui, il me fait rire. Et je crois que je le fais rire aussi. »
« C’est le jour de l’an. Gal n’est pas là. J’ai un message d’Al. Une photo. Il est dans son lit... Il m'a demandé de dormir avec lui. J'ai dit oui. »
« Gal est parti. Lui aussi. J’en ai marre. Ce soir, je bois. »
« Je crois qu’Al est venu me récupérer au bar hier »
« J’ai passé la meilleure soirée de ma vie. Avec Al on a volé une voiture, et on a roulé jusqu’à une plage. J’ai fait une petite bêtise. Je crois que je suis en train de tombé amoureux. »
« Je suis tombé amoureux. » XERXES. (Lucie) ---- / 17 ans ---- / rpgiste