Elle ne saurait dire combien de verres elle a bu, ce soir. Combien de bouteilles elle a bu, ce soir. Elle n’a pas cherché à compter, Kristina. D’ordinaire, elle est une grande fêtarde, elle l’a toujours été. Mais ce soir, ce n’est pas pour faire la fête, qu’elle a bu. Ce n’est pas pour faire la fête qu’elle s’est rendue dans ce bar. Non. Oublier. Juste tout oublier. En espérant que l’alcool l’y aide. En espérant que l’alcool la plonge dans un coma du quel elle ne se réveillera plus. Parce qu’elle n’en peut plus d’avoir mal. Elle n’en peut plus de ressentir toute cette douleur qui s’empare un peu plus chaque jour de son cœur. Elle n’a jamais eu aussi mal. Elle n’a jamais eu aussi mal qu’aujourd’hui. Même lorsque son père l’a abandonné, même lorsqu’elle a été violée par plusieurs hommes, même lorsqu’elle a assisté à cette fusillade, elle n’a jamais eu aussi mal. Et pour quoi ? Pour l’amour ? Ce foutu amour non réciproque. Ce foutu amour qui l’a brisé, complètement brisé. Elle ne cherche pas à savoir si cela en vaut la peine, elle ne cherche pas à savoir si elle en vaut la peine. Elle veut juste arrêter de souffrir, parce qu’elle ne le supporte plus. Parce que cette fois, le mécanisme qui s’opère d’habitude lorsqu’elle a mal ne veut pas s’enclencher. Cette fois, elle ne parvient pas à rentrer dans le déni qui la protège chaque fois qu’elle en a besoin. Elle est condamnée. Condamnée à souffrir. Elle a toutes ces larmes en elle qui menacent de s’évader sur ses joues à chaque instant. Elle a toute cette colère qui la pousse à tout faire valser sur son passage. Et la jolie rousse autrefois si étincelante n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle est dans ce bar, ce bar où tout le monde s’amuse, alors qu’elle, elle n’a qu’une seule et unique envie, fermer les yeux et oublier. Mais même cela, elle ne le peut pas. Parce que cela fait des mois qu’elle passe toutes ses nuits avec elle, Katheryn. Des mois qu’elle passe toutes ses nuits dans les bras de cette femme qui n’a fait que se foutre d’elle. Alors elle ne peut plus dormir. Et aujourd’hui, elle n’a plus rien. Elle n’a même plus d’appartement, puisqu’elle ne vit plus chez elle. Kristina attrape alors une bouteille de vodka qu’un des garçons a apporté, puis elle se dirige vers la plage. Seule. Seule. C’est tout ce qu’elle veut. Les yeux brillants, elle s’installe sur le sable. Et ce n’est que quelques secondes plus tard qu’elle remarque la présence d’une jeune femme, juste à côté d’elle, déjà installée. Un coup d’œil pour elle, elle prend la parole d’une faible voix. - Excuse-moi, je n’avais pas fais attention. J’espère que je ne te déranges pas. De toute manière, elle ne compte pas faire la conversation. Elle n’est pas en état, elle est ivre, et cette jolie brune a sûrement bien mieux à faire plutôt que de perdre son temps avec elle. Alors elle avale quelques gorgées supplémentaires de cette bouteille qu’elle a bien l’intention de terminer.
Lorsqu’elle voit l’eau, juste en face d’elle, elle aurait presque envie d’aller s’y noyer, Kristina. Elle aurait presque envie de fermer les yeux pour ne plus jamais se réveiller. Pour ne plus jamais avoir à ressentir cette souffrance, pour ne plus jamais avoir à penser à celle qui l’a détruite. C’est sans faire attention à ce qui l’entoure, qu’elle est venue s’installer ici dans le sable. Elle voulait être seule, ou plutôt, elle voulait s’éloigner de l’agitation du reste du monde. Mais cette jeune femme, juste à côté d’elle, elle n’est pas agitée. En réalité, elle semble être dans le même état qu’elle. Si ce n’est, un peu moins malheureuse, peut-être. Et alors qu’elle avale quelques gorgées de sa vodka, Kristina relève les yeux vers elle en entendant ses paroles. Elle a eu la même pensée qu’elle, la même envie, elle ne s’est donc pas trompée. - Peut-être que tu voulais le rester, seule, justement. En général, lorsque quelqu’un s’isole de cette façon, c’est souvent pour réfléchir. Réfléchir à sa vie, à ses choix. Kristina, c’est tout le contraire. Elle n’a surtout pas envie de réfléchir. Elle n’a surtout pas envie de se remémorer l’échec de sa relation avec Katheryn. Mais elle n’a pas non plus le cœur à faire la fête. L’alcool joue déjà bien trop sur son moral pour qu’elle parvienne à remonter la pente ce soir. - A la nôtre alors ! Dit-elle en levant légèrement la bouteille vers elle. Il est vrai que c’est assez significatif, toutes les deux, une bouteille à la main, seules sur cette plage. Mais puisqu’elles sont là, toutes les deux et visiblement dans le même état autant discuter. - Qu’est-ce que tu fais ici, loin des autres ? Ses yeux verts se posent de nouveau sur la jolie brune, juste à côté d’elle. Ses yeux se posent sur elle, vraiment, pour la première fois depuis qu’elle s’est installée.