Personne.
Le vide. Le néant.
Comme dans son cœur.
À chaque fois qu’elle rentre chez elle.
A chaque fois qu’elle réalise la tristesse de son quotidien.
Là où les billets ne suffisent plus à effacer les cicatrices béantes.
Alors elle a accepté, elle a accepté de venir à ce vernissage. La lumière glisse sur sa peau caramel. Elle se perd dans un instant d’évasion, les jambes élancées entre les expositions anguleuses et les toiles colorées. Tout comme les vagues, l’art n’est jamais absolu. Il s’enroule autour de ses prunelles afin de la transporter ailleurs, sur les reliefs de l’acrylique et les ondulations estompées de la peinture. Elle y croit de tout son cœur. Il y a de l’espoir dans ces tableaux. Des poussières d’étoiles qui remplissent les mailles vides du tissu. La main serrée sur la coupe de champagne, son esprit vagabonde d’image en image, souffle coupé, comme en apnée sur terre. Elle se noie dans la foule qui murmure son prénom.
L’enfant d'or, héritière saoudienne, Mira perpétue l’héritage de son père et ses passions.
Sa démarche chancelle dans les couloirs, éprise d’une mélodie qui flotte suavement dans l’espace. Elle agite ses paupières en avalant une gorgée d’alcool. Les souvenirs se fissurent sur les galets de la mer. Tout comme sa relation avec Bear. Un soupir s’échappe de ses lèvres. Elle voudrait s’isoler, partir à la dérive entre les escaliers menant vers la réserve et disparaître au milieu des cartons et pièces ignorées dans l’obscurité. Ses bras tremblent, fébriles et avides de frénésie. Elle s'approche lentement du serveur. Elle se sert un cocktail et le courage de continuer. Son élément est devenu étranger. Elle se sent inconnue au milieu de ses 'amis' et de ses connaissances. Sa gorge se serre. Elle avance à reculons, effleurant les silhouettes qui défilent entre ses paupières. Sa poitrine bourdonne, paralysée par la peur. Par cette sensation horrible de rejet social.
T'es plus à ta place ici, Mira. Tu veux descendre en bas, là où il se trouve peut-être. Alors la princesse s'enfuit. Elle traîne des pieds dans la grande rue. Ses escarpins détonnent à même les caillasses et l’ombre de la nuit vient lui masquer la vue. Une clope coincée entre ses lèvres suffit à calmer les angoisses du moment, et elle se rend dans ce club. Là, où elle travaille. Elle attends son rendez-vous précipitée devant l'entrée. «
Mira… je t’ai pas trop fait attendre j’espère ?! Un client qui voulait gratter des minutes en plus… » Elle observe ses yeux - aussi noirs que les profondeurs du bassin. Il y a des sirènes au fond de ses prunelles, comme il y en a au fond de l’océan. Elle retrouve l’esquisse d’un rêve envolé. Elle pince les lèvres, l’expression adoucie et les joues rosies. «
Non, je viens d'arriver. Mais tu pouvais prendre ton temps si c'était pour dépouiller un porc. » Elle ricane, alors qu'elle s'avance au bras de sa copine. Une danseuse exotique. Une fréquentation, qu'elle n'aurait jamais eut auparavant. «
Une bière, oui… me faut une bière… j’ai pas envie de rentrer chez-moi !! »
Les étoiles cheminent autour de ses paupières. Vestiges d’une beauté éphémère et essoufflée. Ses jambes se dérobent au sol - avides de fluidité, de reprendre leur forme de nageoires pour voguer au fond de l’océan. Sirène échouée sur Terre. Créature immonde aux griffes hideuses.
Qu'est-ce que tu fous avec une fille aussi gentille qu'elle ? Mira fixe le vide, les prunelles aveuglées par les ondulations des lumières du soir. Les nuances aquarelles se confondent sur les toiles dorées, racontant les histoires imaginaires de ces formes translucides figées dans le décor. Son cœur quant à lui part à la dérive, porté par les ondulations de l’eau au fond du bassin nocturne. Elle tournois dans l’espace, l’esprit chancelant au gré d’une voix qui résonne si loin - qui murmure des mots qui lui empoisonnent le cœur. Ce n’est pas son corps qui se dope de lui, mais son âme - sa poitrine avide de sentiment. Tout ce qui l’entoure semble vide.
Le monde se fissure. Il s’en va.
Ses larmes ont le goût du malheur.
Son amour, l’odeur de l'oublie.
«
Bonne idée, il faut qu'on parle. Je connais un bon bar dans le coin. » Elle se tourne vers son amie. Son regard la transperce. Il ouvre des lucarnes entres ses côtes asséchées. Elle l'observe avec émerveillement. Noir. Profond. La mer est née au ras de ses cils. Et Mira trouve refuge dans ses cornées.
@Autumn Rosenwald